Le 1er novembre et la mafia de la mémoire

Le 1er novembre et la mafia de la mémoire

L’hymne national va retentir avec fracas, les drapeaux vont claquer au vent et les discours vont abreuver les oreilles de l’héroïque histoire sacrificielle. Ce 1er Novembre, nous l’aurions souhaité silencieux du respect aux disparus et muet de la honte que nous devons éprouver envers les caissiers de la mémoire.

Il n’y a aucun doute que nous devons gratitude pour tous ceux qui sont morts pour nous permettre de vivre une jeunesse algérienne dans la plénitude d’une citoyenneté refusée à nos anciens. Nous aurons toujours la reconnaissance du ventre et de la dignité par l’instruction scolaire sans laquelle nous aurions vécu une vie bien misérable. Tout cela est entendu et il n’y a aucune réserve à formuler notre attachement au 1er Novembre.



Mais en revanche, nous avons payé cher le tribut d’une histoire nationale qui nous a été vendue par les survivants. Jusqu’à présent, nous l’avons remboursée au quintuple et il faut craindre que les marchands pleureurs ne se soient mis en tête de nous la faire payer éternellement car le sacrifice des martyrs n’a effectivement pas de prix.

Cet hymne national résonne à nos oreilles comme un demi-siècle de mise aux pas par une chanson des dupes qui n’a plus de sens. Les malheureux morts sont partis mais les vivants se sont bien nourris sur le dos de leurs petits camarades. Cela fait si longtemps que nous payons le prix exorbitant d’une libération que nos aînés auraient du nous laisser entreprendre si c’était pour que nous subissions, en retour de facture, une violence et une escroquerie financière qui a indemnisé les survivants et leurs enfants jusqu’à plus soif.

Nous sommes maintenant adultes et émancipés pour nous laisser en paix avec notre propre conscience de ce que nous devons commémorer et, surtout, la façon de le commémorer. Il nous appartient de choisir notre mode de reconnaissance qui n’est pas dans la posture ostentatoire et dans les larmes hypocrites.

Nous savons ce qu’il aurait fallu faire pour honorer le courage de ces valeureux morts. C’était s’instruire et construire une démocratie humaniste qu’ils auraient souhaité nous voir s’atteler à faire. C’était venger leur condition de sous-citoyens par l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité entre toutes les cultures, l’explosion de toutes les avancées humaines et scientifiques ainsi que la liberté de conscience (surtout à l’égard de la religion). Ils auraient aimé voir une société ouverte et intelligente, ce qu’on leur avait refusé dans leur condition d’indigénat.

En ce 1er novembre, comme à tous les autres, nous nous tairons car s’il fallait dire un seul mot à nos morts, c’est « pardon » comme l’a si bien écrit dans un article, l’un des contributeurs du Matin, à propos du 5 Juillet.

Et s’il fallait leur transmettre, outre-tombe, un amical mot de vérité, nous leur dirions que ce furent, certes, de grands hommes mais qu’ils avaient, franchement, de très mauvaises fréquentations. Ils nous les ont laissées, bien vivantes et résolues à nous en faire payer le prix, par la brutalité et les fortunes amassées jusqu’aux descendants perpétuels.

Les hommes libres ne passent plus à la caisse des survivants (depuis longtemps d’ailleurs) et ne déversent plus une seule larme si ce n’est dans leur for intérieur, reconnaissants du sacrifice des disparus.

Sid Lakhdar Boumédiene