Alger, été 1988. Alors que les assises du VIè Congrès du FLN s’approchaient à grands pas, un petit événement, mais qui a toute son importance, survient au moment où l’on s’attendait le moins : au cours d’un exercice de ski nautique, l’espace d’un moment de répit, un petit incident causa au président Chadli Bendjedid un sérieux glissement dans la colonne vertébrale, qui nécessita son transfert d’urgence en Belgique.
Et, comme à l’accoutumée, les rumeurs des coulisses ne tardent pas à propager la nouvelle de l’indisponibilité «irrémédiable» du président et qu’il fallait d’ores et déjà songer à celui qui lui succédera. Pour Mohamed Chérif Messadia, premier responsable du Parti FLN, c’était l’occasion pour faire part publiquement de son souhait d’un «Homme fort dont a besoin l’Algérie» pour prendre la succession de Chadli au sommet de la magistrature suprême. L’opportunité se présentait ainsi, de façon tout à fait inattendue, pour pouvoir présenter au prochain Congrès du Parti la candidature du choix approuvé par les militants du FLN, pour l’investiture électorale, après l’observation de la période de vacance du pouvoir durant 45 jours à laquelle on s’apprêtait à préparer le président de l’Assemblée nationale, M. Rabah Bittat, en vue d’assurer la présidence par intérim, dans le cas, évidemment, de l’indisponibilité totale de Chadli Bendjedid. Dans cette optique, Rabah Bittat fut sollicité pour la tenue préalable d’une séance à huis clos du Conseil de l’APN afin d’adresser un discours à la nation faisant état de la santé vacillante du Chef de l’Etat, mais l’initiative fut annulée à la dernière minute.
Cette véritable situation d’anomie, comme la qualifient les psychosociologues, offrit plus que jamais l’opportunité aux antagonismes au sommet de régler leurs comptes entre eux, recourant notamment aux dossiers compromettants de la corruption, des passe-droits illégitimes, et autres, aux fins d’exclure tels ou tels éléments indésirables des divers postes de responsabilités institutionnelles et les remplacer par d’autres, etc.. Pour Mouloud Hamrouche, proche conseiller à la Présidence, après étude par son cercle intime des dossiers de l’économie nationale et évaluation de la situation générale prévalente, la nécessité d’application des réformes envisagées s’imposait d’urgence, à présent, afin de favoriser le lancement des nouveaux réaménagements structurels escomptés, et contrebalancer, du coup, les anciens équilibres politiques perdurant.
Et alors que beaucoup songeaient à la nouvelle ère de l’après-Chadli, ce dernier se remettait de sa maladie et ne tarda pas à se remettre, plus tôt que prévu, au service, dans un contexte socio-économique qui a empiré, avec notamment la dégringolade des prix du pétrole qui l’a certainement incité à attendre pour un autre moment propice le renvoi de certains éléments proéminents de la tendance lourde classique.
C’est que la conjoncture était surtout aux questions immédiates liées au devenir de l’économie nationale, la nouvelle des caisses vides du Trésor ayant complètement mis hors de lui le président, qui procéda, en conséquence à une série de mesures restrictives draconiennes, supprimant toutes les allocations, et ne tolérant pour le pays que l’importation des produits essentiels. Des propositions d’assainissement furent proposées par la cellule de Hamrouche, de même que par les services de El-Hadi Khediri (les deux responsables divergeant en bien des points) au président, mais ce dernier, comme à son accoutumée, signifia d’attendre encore des circonstances plus favorables. Le Président, soucieux de veiller à l’équilibre des forces en présence, aurait constitué une commission pour la révision de la Charte nationale, présidée par Boualem Bessaieh, mais qui ne parvint pas à modifier un iota de la mouture originale.
Pour sa part, El-Hadi Khediri exhiba un important rapport faisant état, affirme-t-il, de multiples entorses causant des retards considérables au niveau des appareils d’Etat, particulièrement dans l’administration centrale et le Parti, le ministre mettant en cause «certaines tendances s’attelant tout particulièrement à court-circuiter les projets réformistes de la Présidence». Le rapport évoquant également les abus économiques, ayant trait aux dépenses faramineuses dans des missions répétées à l’étranger de ministres et hauts cadres, et s’agissant souvent de congés d’été présentés sous forme de missions à l’étranger, le texte se clôturant par le rappel de la fameuse boutade répercutée à tous les niveaux : «L’erreur vient d’en haut !». Chadli Bendjedid le savait très bien, et il était parfaitement au courant de ceux qui couraient d’une part, derrière les postes de conseillers et hautes fonctions étatiques, sans nul autre souci que de s’y éterniser, et de ceux qui, d’autre part, cherchaient dans les rouages du parti à asseoir leur dictat hégémonique. Et alors que Hamrouche ne cessait de lui répéter qu’ils faisaient là face à un conflit d’appareils du système, et Larbi Belkheir qu’il s’agissait-là de laisser-aller continu, ou encore El-Hadi Khediri qui lui signifiait avec insistance qu’ils étaient en présence d’une faille effective entre appareils du Parti et institutions étatiques, Chadli demeurait imperturbable : en tant que chef de toutes les fractions rivales et fidèle à sa démarche adoptée du wait and see, il préférait continuer à veiller à sa politique de jeu d’équilibre, accédant aux voeux par-ci des uns, et aux voeux par-là des autres, soucieux d’être tenu constamment au courant de ce qui se trame des deux côtés, avant d’entreprendre quoi que ce soit.
Ainsi, lorsque durant ce même été 1988 jaillit la proposition d’El-Kadhafi d’union avec la Libye voisine, le staff de la Présidence et proches de Chadli songèrent que ce dernier était sérieusement sous l’influence de ses alliés modérés de l’aile FLN avec lesquels il entretenait des relations. Mais ce qui importait le plus au président derrière l’idée d’association avec la riche Libye voisine c’était surtout la perspective de pouvoir disposer d’une issue salutaire à la crise économique qui étranglait le pays, le pétrole n’étant plus à 40 dollars, surtout que Kadhafi ayant clairement signifié aux parlementaires algériens, lors de sa venue à Alger, suite à la visite éclair de Messaadia en Libye, qu’il était disposé à laisser tomber son Livre vert au profit de la Charte nationale algérienne. Pour Chadli, c’était là l’opportunité qui s’offrait afin de remédier amplement aux insurmontables problèmes financiers qui menaçaient son régime d’effondrement.
Mais, ses proches immédiats ne l’entendant pas de cette oreille, tout particulièrement Larbi Belkheir et Hamrouche, qui, quoique rivaux acharnés, se prononçaient néanmoins d’un commun accord sur le refus de ce projet d’unité qu’ils jugeaient superficiel, sans grande portée véritable comme le promet l’autre union stratégique en perspective du «Maghreb des peuples et non des gouvernants». Mais l’idée poursuivait son bonhomme de chemin et ce qui retenait l’attention dorénavant c’était la question de concertation et de modification adéquate de l’avant-projet d’union, en fonction d’intérêts vitaux en jeu, et sa soumission préalable à un référendum populaire. Pour Chadli, tout semblait aller pour le mieux, et il ne lui restait plus qu’à attendre la tenue du VIè Congrès du FLN pour l’élection, à nouveau, de sa candidature à sa propre succession, davantage confortée à présent, apparemment, par le témoignage de considération par nombre de FLNistes…
Mais, coup de théâtre ! Voilà que le Président Chadli est brusquement surpris par ce qu’il n’avait jamais envisagé auparavant : les congressistes préparent minutieusement à l’investiture suprême la candidature d’une autre personnalité politique et non la sienne : celle de son ministre des Affaires étrangères, M. Ahmed Taleb El-Ibrahimi, recueillant les faveurs de diverses notabilités au poids déterminant dans les instances du parti, de l’armée et de l’administration. Messaadia s’étant employé activement à présenter, comme il se doit, l’image de son «homme fort dont a besoin l’Algérie» en la personne de M. Ahmed Taleb El-Ibrahimi, futur candidat unique du parti FLN à la magistrature suprême au VIè Congrès qui s’annonçait…
Chadli se voit ainsi pris de court et pire encore, de folles rumeurs courent sur son dos, le discréditant totalement, lui et sa famille. C’est le temps des feuilletons réguliers d’été des scandales livrant à la vindicte publique, via médias, des personnalités du sérail et leurs proches impliqués dans des affaires illégales, trafics douteux, etc.. C’est le cas, largement répercuté par la presse, du scandale de la Banque extérieure d’Algérie où l’on rapporta l’implication du fils de Bendjedid, certains médias ayant reçu l’aval pour la publication d’une liste de noms d’accusés dont certains en fuite, comptant des personnalités importantes et hauts fonctionnaires qui se retrouvaient brusquement menacées de chute fracassante… Accusations à tort ou à raison, qui suscitèrent l’indignation de l’opinion publique. Cette opinion publique fut davantage défrayée lorsque durant toujours ce même été 1988, la presse fit état de l’autre scandale de la distribution de terres agricoles au profit de hauts responsables, sous couvert d’opérations d’assainissement du secteur, et qui vit monter au créneau le moudjahid notoire Ali Kafi, s’opposant fermement au projet de transformation des bois de Bouchaoui en lieux résidentiels destinés à la cession au privé.
Des instructions furent données en conséquence à la presse pour calmer les esprits surchauffés, tout en laissant du lest pour l’étal de certains aspects secondaires de ces sombres affaires, par exemple, faire cas de certains hauts dignitaires apparatchiks s’adonnant à un commerce douteux avec des entreprises étrangères fournisseuses de produits alimentaires en Algérie. Ce qui n’a fait qu’attiser davantage la réprobation populaire, fustigeant directement les instances dirigeantes du pays, et ce d’autant plus que le gouvernement avait décrété une série de mesures restrictives, telles que l’accroissement des impôts, l’augmentation du prix des produits de première nécessité de l’ordre de 10 à 30 %, le blocage de l’allocation devises touchant les jeunes (désireux de voyager à l’étranger) essentiellement, ceci alors que la presse répercutait l’écho de la décision de l’Etat de ne plus prendre en charge la construction de logements sociaux, de même que courait la rumeur d’exclusion du secteur éducatif de tous les enseignants comptabilisant moins de cinq ans d’exercice de fonction…
A propos de ces détails particuliers, Mohamed Khodja rapporte dans son important ouvrage, que cela faisait partie d’une stratégie visant à préparer la population pour les temps durs qui s’annonçaient, mais dont on ne pouvait assurément pas imaginer l’ampleur qu’ils prendraient : «(…) La cellule de circonstance de Hamrouche s’activait avec une extrême célérité afin de muer la calamité en exaspération populaire. Et tout au long du mois de septembre, les marchés d’approvisionnement étaient vides et les financements bloqués» (in «Sanaouet El Fawdha oua El Djounoun», p. 41, Alger 2000). Et lorsque prit fin le congé d’été et son feuilleton mouvementé, la rentrée sociale de septembre 1988 s’annonçait d’ores et déjà des plus chaudes : toutes les contradictions paraissaient s’exacerber, pesant de tout leur poids sur la scène politique nationale, moment que jugea favorable le Président Chadli Bendjedid pour signifier le feu vert, à présent, à ce qu’il hésitait auparavant à «lancer» ouvertement. Ainsi, s’étant préparé pour la circonstance, il convia le 19 de ce même mois de septembre, au Palais des Nations du Club des Pins, les membres des bureaux de coordination des wilayas, en présence de tous les responsables des instances dirigeantes du pays, à un important discours qui fera date. En effet, le discours minutieusement préparé par Bachir Rouis et Hamrouche, visait en filigrane trois objectifs essentiels : susciter un consensus populaire pour la réprobation de la situation contradictoire perdurant, la destitution de responsables incompétents et l’assumation de leurs erreurs devant le peuple, mettre un terme à la propagation de dossiers explosifs, la mise en chantier d’une stratégie communicative au sein des couches populaires afin d’approuver la nécessité des réformes économiques.
Quelques extraits significatifs:
Chadli fustigeant ses adversaires qualifiés d’incompétents :
«(…) Nous ne sommes pas aujourd’hui pessimistes quant à la situation, mais je rappelle qu’il existe certains éléments dans l’appareil qui entretiennent le doute. Que celui qui est incapable d’accomplir son devoir ait le courage de reconnaître son incapacité, car nul n’est indispensable. Que certains rejoignent l’autre bord et lancent leurs critiques cela me parait acceptable, mais nous n’accepterons jamais que l’individu demeure au sein de l’appareil tout en semant le doute» ; (…), «(…) Nous ne devons pas nous leurrer par les rapports présentés car le devoir nous dicte d’assumer pleinement la responsabilité et de combattre tous les maux et les carences dont souffrent les secteurs. Nous citerons le gaspillage, les lenteurs bureaucratiques, l’inertie, le monopole de l’autorité, l’absence des instances d’Etat pour le contrôle et les sanctions à prendre contre quiconque se joue des prix. Il y a lieu de remarquer que les instances de l’Etat sont peu efficaces dans le contrôle et le suivi, ce qui engendre l’incapacité de maîtrise de l’économie nationale et fait que les questions de compétence se posent à tous les niveaux. C’est pourquoi tous ceux qui sont compétents trouveront tout l’appui et l’assistance nécessaire (…) Ceux qui ne peuvent suivre doivent choisir : se démettre ou bien ils seront écartés. Il appartient aux responsables de démasquer les incapables qui ont pour toute compétence l’appartenance au groupe de telle ou telle personne».(…)».
Le président prévenant des réformes à venir :
«La responsabilité à l’avenir, sera la résultante du travail sérieux. Dans ce cadre, des mesures sont actuellement en cours d’études au niveau du gouvernement et leur application interviendra au début de l’année prochaine, et ce, pour faire face à la situation économique et pour maîtriser les effets de la crise économique. Parmi les insuffisances, nous constatons que certains comportements sont franchement irresponsables. L’intérêt personnel prévaut sur l’intérêt général et national d’où la propagation de rumeurs sur la dévalorisation du dinar».
Chadli faisant allusion aux gros barons du trafic des frontières :
«(…) Qui est responsable ? Nous avons vu des chaînes aux portes de souk-el-fellah pour l’acquisition de produits qui sont écoulés aux frontières voisines, et cela se fait au détriment de l’économie nationale, car tous ces produits sont importés et payés en devises».
Chadli appelant les citoyens… à défendre leurs droits !
«(…) Il est impératif de créer des associations de protection du consommateur. Certains bouchers ont essayé récemment dans un pays, dont je ne citerai pas le nom, d’augmenter les prix de leur marchandise. Les habitants du quartier ont spontanément décidé de suspendre pendant une semaine la consommation de viande, et ils n’en sont pas morts. Bien au contraire, ils ont contraint les vendeurs à baisser les prix» ; «Nous devons quant à nous éduquer notre peuple dans le cadre du Parti du Front de Libération Nationale et lui apprendre à s’autodéfendre».
A propos de l’union avec la Libye et du Maghreb, en général :
«(…) S’agissant de l’édification du Maghreb arabe, nous pensons que les peuples de la région sont convaincus de la nécessité d’unifier leurs rangs et de rassembler leurs potentialités (…) Beaucoup de facteurs favorisent la convergence de nos points de vue surtout lorsque nous axons nos efforts sur l’union et non l’unité (…) Nous voulons d’un Maghreb arabe qui se construise progressivement (…)».
Concernant la perspective du congrès du FLN et la sensibilisation aux réformes :
«(…) Nul n’ignore que le congrès se tiendra alors que la conjoncture internationale, au plan économique, est déplorable en raison, notamment des cours du pétrole qui ont brusquement chuté, à 13 et même à 12 dollars, pénalisant ainsi les revenus en Algérie. Les responsables, les cadres aussi bien que les travailleurs et les paysans, sont appelés à se mobiliser davantage et à mieux comprendre les problèmes auxquels fait face le gouvernement (…) L’Etat à lui seul ne peut pas faire des miracles tant que le citoyen continuera à fuir ses responsabilités. Tout le monde doit se sentir impliqué dans la bataille que nous menons, du simple citoyen jusqu’au niveau central (…)».
(Extraits du discours du président Chadli Bendjedid, publié dans El Moudjahid du mercredi 21 septembre 1988).
Au cours de son discours en présence des responsables des bureaux des coordinations et instances centrales au niveau du gouvernement, du parti, du secrétariat permanent de l’APN et des organisations de masse, ainsi que des unions professionnelles, le Président Chadli Bendjedid ne pouvait s’empêcher de s’emporter, par moment, lorsqu’il faisait allusion à ceux qui lui multipliaient les embûches à l’intérieur du système. Certains, parmi ces derniers, ne paraissant nullement affectés par les propos égratignant, témoignaient au contraire une certaine nonchalances, cigares en main, impassibles devant les caméras de la télévision nationale. C’est vrai qu’ils avaient en tête la perspective du VIè Congrès pour tout revoir autrement. Mais ils étaient loin de s’imaginer que Chadli et son équipe avaient décidé de leur couper l’herbe sous les pieds pour que tout n’advienne justement pas conformément à ce qu’ils s’attendaient tranquillement à voir le jour de la tenue du congrès FLN pour tout reconsidérer avec leurs alliés congressistes majoritaires.
Chadli semblait, ainsi, avoir attendu au tournant, les gardiens du temple qui attendaient avec véhémence les assises du VIè Congrès du Parti FLN, pour proposer la candidature de M. Ahmed Taleb El-Ibrahimi à la magistrature suprême, et contrer, ainsi, définitivement les manoeuvres des partisans de changements structurels dans les modes de gestion et de gouvernance établis depuis des lustres. Cet impératif des pro-réformistes s’imposait surtout que la crise économique, la chute du cours des hydrocarbures, conjugués à l’inflation et maux sociaux aigus, frappait de plein fouet à présent une société aux abois. C’est ce qui incita, apparemment, les initiateurs de projets de réformes à ne pas hésiter à tirer le diable par la queue s’il le fallait pour parvenir à leurs fins. Selon Mohamed Khodja, «dans le but de contrer l’aile adverse de leurs opposants apparatchiks, l’aile rivale parallèle misa sur le mécontentement populaire, discrètement suscité, aux fins de l’utiliser comme moyen de pression en sa faveur : de la disparition des étals de certains produits alimentaires de première nécessité, à la réduction de postes de travail notamment dans le corps enseignant, en passant par certaines mesures contraignantes touchant les lycéens, jusqu’à la suppression de l’allocation de devises étrangères allouée habituellement pour chaque voyageur en partance pour l’étranger, pratiquement tout semble avoir été soigneusement mis en oeuvre pour susciter la colère de la rue et discréditer, ainsi, les poids lourds inamovibles du système». (in Sanaouet El Fawdha, ibid).
Pour sa part, Belkacem Ahcène-Djaballah, ancien DG de l’APS, quoique mettant en garde contre les mille et une rumeurs «parfois princesses, souvent reines de la communication nationale» caractérisant un paysage médiatique totalement sous contrôle politique des apparatchiks, n’hésite pas cependant à écrire, à propos des événements d’Octobre, se basant sur de multiples sources concordantes «(…) ce qui est absolument certain, c’est qu’il y avait un appel de grève générale pour le 5 Octobre. Qui l’a lancé, qui a participé à sa propagation à travers le pays, là est encore tout le mystère (…)», citant l’avis, entre autres, de Saad Bouokba, d’El-Massa (6 octobre 1991) affirmant que le 5 Octobre a été «exigence de pouvoir pour casser la stagnation politique et idéologique qui présidait à la préparation du 6ème Congrès», Ahcène-Djaballah signalant par ailleurs, « Tous les recoupements et toutes les analyses poussent à croire qu’effectivement, l’événement a été préparé, «quelque part», (…) ce qui laisse croire, au cas où l’hypothèse de la fabrication de l’événement est retenue, que le facteur de la spontanéité a tout de même un grand rôle, allant au-delà des espérances… des factions qui s’affrontaient dans les coulisses. Chadli Bendjedid contre Messadia, ou le gouvernement contre le FLN si l’on s’en tient à la thèse de Rachid Boudjedra (El Watan 2 avril 1992), ou la bourgeoisie bureaucratique contre la bourgeoisie libérale (Abderrahmane Mahmoudi). En effet, les dates de «grève générale» ou de «soulèvement généralisé» ont été multiples, tout particulièrement à partir de la mi-septembre», l’ex-DG de l’APS rapportant alors ce bien étrange et troublant détail, «Le 19 septembre, dans la matinée, c’est-à-dire juste avant la diffusion du fameux discours, significatif du «ras-le-bol» selon certains, (…) prononcé par le président Chadli Bendjedid, après une absence de la scène qui a duré près de deux mois, devant les membres du Bureau politique du Fln, du gouvernement et des bureaux de coordination des wilayate, un journaliste rapportait (de la ville natale d’un membre influent de la grande nomenklatura, «grand manipulateur» devant l’Eternel), une folle rumeur (dans les cafés entre autres) sur des manifestations populaires dans les jours qui suivent (c’est-à-dire entre le 20 et le 25). Cette information valut, parait-il, à son auteur, bien des tracasseries et ce, plusieurs jours de suite. Pourquoi ? On se le demande encore. Ce journaliste aurait été même «interdit de se déplacer hors de sa wilaya sans autorisation préalable». Il était évident que le jour J approchait à grand pas et devait, très certainement, se dérouler bien avant le 6ème Congrès du Fln qui entrait alors dans sa phase ultime de la préparation… et, aussi, dans l’étape des négociations finales pour la redistribution des postes et du pouvoir (…)» (in Chronique d’une démocratie «maltraitée» (Octobre 1988 – Décembre 1992), éditions Dar El-Gharb, Oran 2005).
Ainsi, loin d’être une résultante accidentelle de conjonctures sociopolitiques et économiques immédiates et passagères, les historiques événements d’Octobre 1988 furent, au contraire, précédés par divers facteurs générateurs de complexes contradictions exacerbées, longtemps en fermentation, et qui au zénith de leur paroxysme ont fini par s’étaler et éclater au grand jour. Et le fameux discours du 19 septembre 1988 prononcé sur un ton ferme par le président Chadli Bendjedid qui servit, apparemment, de point de départ à la lutte ouvertement déclarée entre fractions rivales apparatchiks, etc., ne constituait, en vérité, que le constat, pour la première fois dévoilé en public, des luttes acharnées au sommet de la nomenclature dirigeante du système.
C’est du moins ce que rapporte nombre d’ouvrages consacrés à cette mémorable explosion politico-sociale d’Octobre 1988 en Algérie, dont ceux, entre autres, de Abed Charef «Octobre», l’analyse socio-économique du regretté Mohamed Boukhobza, «Dossier octobre, ils parlent», des éditions du quotidien dissous Le Matin, «Sanaouet El Fawdha oua El Djounoun» (Les années d’anarchie et de démence) de Mohamed Khodja, «El Mou’amara» (Le complot) de Larbi Zoubeiri, et autres ouvrages, documents, articles de presse francophones et arabophones de divers horizons, etc. Et bien que divergeant sur certaines considérations de cet important événement de l’histoire de l’Algérie post-indépendance, pratiquement la majorité des témoignages s’accordent sur le fait que bien avant cette fracture politico-sociale de 1988, la rupture s’annonçait déjà avec notamment les indices visibles des multiples frictions débordantes au sommet, entre «conservateurs» et partisans du «renouvellement institutionnel », : les premiers guettant le tournant du VIè Congrès du Parti FLN pour asseoir leur hégémonie sur les éléments déviants de leurs options conformistes, les seconds recourant aux manoeuvres des coulisses et soutiens hors des instances officielles pour appuyer, au prix que cela coûtera, leurs projets nourris de refontes structurelles socio-économiques, affranchis de la tutelle traditionnelle du bureau politique du FLN.
Mais sans se référer aux multiples écrits sur ces rivalités ataviques entre clans rivaux du pouvoir, d’aucuns, y compris l’humble citoyen, auraient observé depuis belle lurette, dès l’entame des années quatre-vingt, surtout, les frictions qui commençaient à avoir cours au sein des gouvernorats régionaux de chaque wilaya : le fameux triumvirat Wali-Commissaire politique FLN-Chef de secteur ANP, inamovible jusqu’ici… Et, en effet, tout au long de la période mouvementée de 1980-1988, la presse nationale, dont Algérie Actualité, La République d’Oran, l’hebdomadaire culturel arabophone ADHWA, entre autres, ne manquaient pas, en maintes occasions, de faire part des brouilles relevées entre walis et commissaires politiques du parti FLN, rapportant, notamment certains antagonismes exaspérés entre administrations publiques locales et centrales et institutions du parti unique, ou avec ses organisations affiliées de masse. Les observateurs avertis constatant, ainsi tôt, le torchon qui commençait à brûler entre tenants de la continuité du Boumédiénisme et les partisans du changement. Surtout qu’en ces mêmes conjonctures parvenaient des ex-pays communistes, tels que la Pologne, l’ex-URSS, etc., les échos de certains mouvements «réformistes», dont la «perestroïka» (réforme institutionnelle) et «glasnost» (transparence), l’effondrement du mur de Berlin, etc, et comme tout retentit dans tout, les vents du changement se propageaient naturellement partout. Ce qui alimenta en Algérie les ferments de l’explosion d’Octobre 1988 sur laquelle on aura à revenir prochainement, si les éventualités de libre expression démocratique médiatiques le permettraient bien…