« Pendant notre guerre de libération, c’était au peuple de choisir sa voie. Ceux qui l’ont privé de la parole, qui l’ont empêché d’exercer ses responsabilités, avec l’arrière-pensée de vivre comme des rois et de régner sur l’Algérie, ont commis une faute grave », Ferhat Abbas, dans L’autopsie d’une guerre.
L’acte qui entérine définitivement cet état de fait est indubitablement le coup d’État du 19 juin 1965. Bien que le chef déposé, en l’occurrence Ahmed Ben Bella, ne soit pas un modèle à regretter, dans la mesure où il rêvait du même pouvoir personnel, il n’en reste pas moins que le successeur ne le fait qu’exacerber.
Comment se fait-il que les deux hommes, qui ont scellé une alliance en 1962 pour écarter le peuple algérien et son représentant légitime, le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne), ne se supportent plus une fois la situation normalisée? La réponse est toute simple. Aucun régime dictatorial n’a à sa tête deux chefs. Et si, à un moment donné, ils ont conjugué leurs efforts dans un projet de conspiration, cette alliance ne pouvait être que temporaire.
D’ailleurs, de 1962 à 1965, Ben Bella a essayé de s’emparer des postes clés en vue de marginaliser son concurrent. À quelques jours de son éviction, il concentrait entre ses mains les pouvoirs suivants: président de la République, ministre de l’Intérieur, ministre de l’Information, ministre de la Réforme agraire, secrétaire général du FLN. En outre, bien qu’il ait un droit de regard sur la diplomatie, Ben Bella projette de déposséder son titulaire, Abdelaziz Bouteflika.
Ainsi, au moment où le peuple algérien est livré à lui-même, ses dirigeants se battent pour des postes. D’après plusieurs versions, c’est la perspective de la mise à l’écart de Bouteflika qui déclenche les hostilités. « Il faut écarter définitivement le spectre des renversements militaires, assurer avant la conférence afro-asiatique la primauté du pouvoir civil et prouver au pays son aptitude à trancher les conflits », résume Jean Daniel la stratégie de Ben Bella qu’il compte mettre en œuvre après ladite conférence, prévue à Alger le 29 juin 1965.
Par conséquent, il commence alors, des deux côtés, une course contre la montre. En fait, pour Boumediene et ses amis, la seule question qui les taraude est de savoir à quel moment il faudrait organiser le putsch? Sous la houlette de Boumediene, une réunion, regroupant Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Medeghri, Cherif Belkacem, les commandants Chabou et Hoffman, a eu lieu à Alger, deux semaines avant le coup de force. Le groupe s’est entendu sur la nécessité de renverser Ben Bella avant la tenue de la conférence afro-asiatique. Le 19 juin 1965, à 2h25 du matin, Ben Bella est arrêté.
Dans la foulée, un communiqué, au nom du Conseil de la révolution, est lu à la télévision vers midi. La teneur du discours résume le fossé, ou plutôt la rivalité, entre les deux hommes: Ben Bella et Boumediene.
Dans le fond, rien ne les différencie. Leur soif de pouvoir est, pourrait-on dire, identique. En revanche, l’atout de Boumediene, comme le décrit si bien Abdelkader Yafsah, est inhérent au contrôle de l’armée. « Le président du conseil de la révolution, ministre de la Défense, Chef du gouvernement, Boumediene, s’était imposé comme chef d’État et cumulait de ce fait, comme son prédécesseur, tous les postes importants. À ce titre, il se confondait avec l’État, le parti -tout comme Ben Bella-, mais avait en plus de ce dernier, et pour lui seul, l’armée », écrit-il.
Pour conclure, il va de soi que la propension de certains dirigeants pour ériger un pouvoir personnel en Algérie est la principale cause de son sous-développement. D’ailleurs, si le pouvoir personnel -générateur de corruption, d’injustice, etc.- était un bon modèle, les autres pays copieraient volontiers notre système.
Hélas, depuis plus de 50 ans, l’Algérie continue à être gérée de la même façon. Et pour ceux qui croient que l’Algérie a évolué, ils n’ont qu’à demander le bilan financier de l’actuel chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika. À vrai dire, ces gens-là n’ont pas de comptes à rendre, car ils ne tiennent pas leur mandat du peuple.