Le 10 mars 1980, voulant se rendre à l’université de Tizi-Ouzou pour donner une conférence sur les « Poèmes kabyles anciens », en compagnie de Salem Chaker (chercheur en linguistique berbère), Mouloud Mammeri est intercepté par un barrage de police à Draa-Ben-Khedda (10 km de Tizi-Ouzou).
Conduit chez le Wali (Préfet) de Tizi-Ouzou), Mammeri se voit interdire la présentation de sa conférence, sous prétexte de « risque de troubles à l’ordre public ».
Mouloud Mammeri donnant un cours de tamazight
Mouloud Mammeri donnant un cours de tamazight
Par Smaïl Medjeber
Le 11 mars : Avertis de l’annulation de la conférence de M. Mammeri, les étudiants se réunissent en assemblée générale et décident d’une manifestation dans les rues de la ville de Tizi-Ouzou. Deux cents étudiants environ défilent dans la ville en scandant des mots d’ordre : « A bas la répression », « Halte à la répression culturelle », « Tamazight t-tameslayt nnegh (Tamazight est notre langue, « Naaya deg lbadtel » (on en a marre de l’injustice »… Les manifestants se dirigent d’abord vers le siège de la préfecture, le lycée Amirouche par la suite, pour faire sortir les élèves…
Le 12 mars, dans une lettre ouverte au « Président » *de la République, les étudiants du centre universitaire de Tizi-Ouzou, suite à une assemblée générale, revendiquent le droit au développement de la langue et de la culture berbère et l’adoption de tamazight comme seconde langue nationale. La lettre est transmise par une délégation d’étudiants le 15 mars. Elle sera reçue par A. Benhabyles, secrétaire général de la Présidence de la République… (1) S’ensuivront diverses réactions : de la part des militants de la langue amazighe, dont plusieurs seront aussitôt arrêtés, et, de la part des tenants du Pouvoir dictatorial et de leurs larbins, anti-langue amazighe. Comme ce sempiternel discours du « Président »* Chadli Bendjedid, au lendemain de cet évènement, un discours négateur, perfide, annihilant, et ce, afin de justifier cette injuste et déraisonnable interdiction : « Nous avons parlé de la langue nationale – c’est-à-dire l’arabe – et de la nécessité de lui redonner la place qui lui revient dans un Etat algérien, arabe et islamique mais il ne peut être question de s’interroger sur notre identité. Nous sommes arabes que nous le voulions ou non. Nous appartenons à la civilisation arabo-islamique et l’Algérien n’a d’autre identité que celle-ci. »
Ces tenants du pouvoir et leurs serviteurs accuseront même les militants de notre langue ancestrale de traitres vis-à-vis de nos Martyrs. Alors que les véritables traîtres c’étaient eux.
Mouloud Mammeri avait prévenu et écrit dans l’un de ses livres, Le Foehn ou La preuve par neuf : « Quand on bâillonne trop de rêves, quand on rentre trop de larmes, quand on ajoute bois sur bois sur le bûcher : à la fin, il suffit du bout de bois d’un esclave, pour faire dans le ciel de Dieu et dans le cœur des hommes, le plus gigantesque incendie. »
Voilà donc, en résumé mais à garder dans notre mémoire, l’interdiction d’une simple conférence littéraire – et non politique – que devait donner notre Grand Maître Feu Mouloud Mammeri, l’incorruptible intellectuel et un apolitique en plus, ce jour du 10 mars 1980, dans un centre universitaire. Une aberration de la part des tenants du pouvoir despotique, inculte et extrêmement anti-langue amazighe. Des Amazighs, des Berbères, eux-mêmes, de surcroît, quelle que soit leur région de naissance, qui renient leur identité, leur culture, leur langue et leurs ancêtres. Interdiction et aberration qui provoqueront, ensuite, l’explosion estudiantine et populaire du 20 avril 1980 : Le Printemps berbère.
S.M.