Laxisme et insécurité : quelle triste évidence

Laxisme et insécurité : quelle triste évidence

2013_03_barrage_police_algerienne_507071017.jpg«Tardive !» pourrait être qualifiée la présente contribution pour évoquer la dramatique affaire de Constantine (assassinat de deux enfants). Intervenir «à chaud» aurait signifié pour moi me montrer indécente face au terrible malheur des parents.

Le silence était de mise, car aucun mot ne pourrait apaiser leur peine. N’a-t-on pas vu des «casseurs » sans scrupules profiter d’une marche de solidarité avec les familles des victimes pour détruire et piller ? N’at- on pas vu des islamistes purs et durs s’introduire dans ladite marche pour réclamer l’application de la Charia ? L’occasion était trop belle pour ne pas la saisir. Et puis, il y a ceux qui se sont exprimés sur la peine de mort : les abolitionnistes, les non-abolitionnistes, pour ou contre, les contributions affluèrent dans la presse. Il y a même eu la rétractation du président de la Commission consultative des droits de l’Homme. Hier abolitionniste acharné, le juriste qu’il est a déclaré via la presse qu’en matière d’assassinat d’enfants la peine de mort serait justifiée. (Après le crime de Constantine). Ce n’est pas la première fois qu’une conviction de ce genre connaisse des retournements. En sens inverse, François Mitterrand qui est entré dans l’Histoire comme l’abolitionniste de la peine de mort dans son pays en 1981 ne fut-il pas le ministre de la Justice qui cautionna en 1956 l’exécution de nationalistes condamnés à mort pour leur engagement dans la guerre de Libération ? Bref ! ce débat a le mérite d’être posé, il faut juste regretter que ce soit un crime effroyable qui l’ait initié et réveillé nos consciences. Mais au-delà de cette question fondamentale relative à la sanction pénale ne serait-il pas judicieux de dire que le problème est beaucoup plus grave et plus profond qu’il n’apparaît ? Comment être surpris, en effet, de voir les crimes les plus horribles se multiplier dans notre pays lorsque l’Etat ne protège plus les citoyens et fait de l’impunité des criminels un principe sacro-saint et du laxisme une politique de «lutte» contre la délinquance ? Quelle valeur revêt donc la vie humaine lorsqu’un assassin de la pire espèce est honoré, anobli, pardonné et déclaré non coupable ? Qu’on l’appelle «repenti » ? Quelle valeur revêt donc la vie humaine lorsqu’un Patriote, ancien combattant de la guerre de Libération est condamné à mort pour avoir tué en légitime défense un terroriste islamiste «blanchi» ? Certes, l’homme a bénéficié d’une libération conditionnelle, mais la leçon retenue par ses compatriotes fut : tu tues, tu violes, tu détruis, tu es honoré. Tu défens ton pays, ton honneur, tu es condamné à mort. Quelle valeur revêt donc la vie humaine dans notre pays lorsque les grâces sont accordées aux délinquants aveuglément ? La grâce est certes une prérogative présidentielle mais n’est-elle pas aussi une mesure méritée après examen minutieux de dossiers ? Serait-elle devenue pour l’Etat incapable d’assurer la sécurité des citoyens, l’unique moyen de lutter contre le surpeuplement carcéral ? Est-ce un Etat responsable que celui qui libère de dangereux récidivistes, multirécidivistes qui terrorisent les populations et calculent avec pertinence la période qui correspondra à une grâce ? (5 juillet – 1er novembre). Est-ce un Etat responsable que celui qui accorde 5000 grâces en une seule fois ? Est-ce un Etat responsable que celui dont la «clémence» et le laxisme s’apparentent à un outrage fait aux magistrats et aux policiers chargés pour les premiers de juger les délinquants débusqués par les seconds ?

Un outrage et une injure. Comment s’étonner alors qu’en sus de la violence politique, de la violence économique, le citoyen soit contraint de subir une totale insécurité pour lui-même, pour ses proches et pour ses biens ? Comment en effet s’en étonner lorsque les grâces distribuées plus que les logements par un Etat irresponsable n’ont pas engendré la seule banalisation de la mort mais également celle du crime ? Quand donc prendra-t-on conscience qu’un Etat de droit fort n’est certainement pas celui qui réprime férocement le moindre rassemblement et toute forme d’expression ? Un Etat fort est celui qui protège ses citoyens et qui ne crée pas par sa politique criminelle laxiste la peur, voire la terreur au sein des populations. Et si l’émotion et la colère ont fait réagir cette fois-ci (crime de Constantine) ces mêmes citoyens, il y a lieu de dire que l’impunité érigée en règle par l’Etat a engendré la démobilisation. Comment s’en étonner ? Un Etat qui piétine le code pénal et la morale n’est pas un Etat faible, c’est un non- Etat. Comment s’étonner alors que la loi de «la jungle» soit devenue une référence ? On tue pour une place de parking, on tue pour prendre de force ce que l’autre possède, on tue pour assouvir des pulsions bestiales. Cela vaut quoi ? Quelques années de prison et au bout du chemin une grâce présidentielle ! N’a-ton pas entendu il y a quelques années une émission fort heureusement supprimée à la chaîne El-Bahdja donner la parole aux détenus ? Il n’y a jamais eu d’espace d’expression identique pour les victimes ou leurs familles. Lorsqu’on évoque l’abolition de la peine de mort dans notre pays, je ne peux m’empêcher de repenser à la petite Lamia âgée de cinq ans qui avait suivi avec son innocence d’enfant son voisin qu’elle connaissait bien. Elle fut violée, étranglée et son assassin participa avec un cynisme inégalé à la battue menée par les gendarmes pour retrouver la victime.

Le tribunal criminel que j’avais présidé en 1982 pour juger cette affaire avait prononcé la peine capitale. C’était donc en 1982. Et à l’époque la presse ne parlait pas de ces «choses-là». Comme Chaïma, comme Haroun, comme Brahim, Lamia a subi les pires atrocités de la part d’un adulte. Et puisqu’il était précisément adulte, alors un Etat digne de ce nom doit être capable au nom de la justice, au nom de la morale, de dire à tous les autres adultes : «Celui qui sait tuer doit savoir mourir.» Bien entendu, il y aura toujours ceux qui diront que la peine capitale n’est pas dissuasive. Sans doute y aura-t-il encore des crimes d’enfants, mais je souhaiterais alors répondre par trois questions :

1) Un Etat laxiste ne va-t-il pas finir par donner raison à ceux qui ne cessent de rappeler leurs coupeurs de mains et leurs lapideurs ? Dieu merci, l’Algérie a une législation pénale qui permet aux magistrats d’équilibrer la sanction aux faits. Encore faudrait-il que le coupable prenne pleinement conscience de sa faute et qu’il ait au moins accompli plus de la moitié de son temps de réclusion (crime) si la peine capitale ne lui est pas applicable.

2) Jusqu’à quand la politique irresponsable faite de grâces imméritées ou d’impunité totale va-t-elle continuer à engendrer peur et angoisse ?

3) Il semblerait que l’un des deux assassins des deux enfants de Constantine aurait bénéficié selon la presse d’une grâce pour des faits antérieurs à son crime. Si cela s’avérait être la vérité je dirais alors sans cette grâce présidentielle ces deux enfants ne seraient-ils pas encore de ce monde ? Question stupide ? Pas tant que cela parce que il serait grand temps pour nous tous de croire à la raison et à la logique, deux valeurs sûres et non au «mektoub». La première règle élémentaire de cette logique étant qu’un criminel et une victime n’ont pas à être confondus (charte de l’impunité). La seconde règle étant que le laxisme en matière de lutte contre la délinquance est le signe d’un Etat malade, gravement malade.

L. A.