Le nouvel ordre pétrolier mondial est arrivé plus tôt que prévu. La mise sur le marché de la production américaine de pétrole et de gaz de schiste a créé une situation où l’offre croît plus vite que la demande. Les conséquences sur les pays, dont les revenus dépendent à plus de 70% des hydrocarbures, se font déjà sentir. Désormais, les économies des pays producteurs sont mises en demeure de se réformer.
“Les États-Unis deviendront le numéro un mondial incontesté de la production gazière mondiale autour de 2015, dépassant ainsi la Russie. L’AIE appuie ses prévisions sur l’essor de la production des hydrocarbures non conventionnels, autrement dit le gaz et le pétrole de schiste, ainsi que sur les réservoirs imperméables de pétrole léger ou ‘tight oil’, qui furent longtemps considérés trop coûteux et trop difficiles à extraire.”
Cette annonce a été faite par Fatih Birol, le chef économiste de l’Agence internationale de l’énergie, lors d’une conférence de presse à Londres. C’était il y a deux ans, plus exactement le 12 novembre 2012. Le temps a fini par lui donner raison et les effets de cette prévision annonciatrice d’un véritable chamboulement de l’ordre pétrolier mondial tel que connu dans les années 2000 sont arrivés plus tôt que prévu.
En effet, le prix du baril commence à connaître une chute significative depuis la mi-année 2013 descendant sous la courbe des 100 dollars une année plus tard.
Cette nouvelle donne a poussé des pays producteurs comme l’Arabie saoudite, membre influent de l’Opep, à réviser ses prix afin de préserver ses parts de marché et à arranger son allié américain, devenu producteur et exportateur d’hydrocarbures de schiste, afin que le baril se stabilise désormais autour des 80 dollars.
Bien évidemment, pour un pays qui met sur le marché plus de 11 millions de barils/jour, le niveau de prix est à même d’arranger le financement de son économie qui dépend à 80% des recettes pétrolières. En attendant la réunion de Vienne prévue le 29 novembre prochain et dont l’influence sur le prix du baril sera très probablement minime, il faut bien se rendre à l’évidence que le marché pétrolier est bel et bien entré dans une phase où l’offre croît plus vite que la demande.
L’offre croît plus vite que la demande
C’est un nouvel ordre pétrolier qui se dessine. La banque allemande Commerzbank a évoqué un “changement de paradigme”, alors que la banque d’affaires américaine Goldman Sachs a parlé d’un “nouvel ordre pétrolier”, tandis que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) conclut à l’ouverture d’un “nouveau chapitre dans l’histoire des marchés pétroliers”.
Il y a une sorte d’unanimité qui s’est formée. “Le monde est entré dans une nouvelle phase, avec, d’un côté, une offre qui a été stimulée, en particulier les pétroles de schiste en Amérique du Nord, et de l’autre côté, un ralentissement de la demande par érosion lente à cause du niveau élevé des prix puis, plus récemment, à cause d’une conjoncture macroéconomique particulièrement dégradée”, a expliqué à l’AFP Frédéric Lasserre, président de la société de gestion Belaco Capital.
L’évolution du prix est très significative du profond changement que connaît le secteur pétrolier.
La Chine moins gourmande
Qu’on en juge : aux USA, la production est passée d’une moyenne de 5 millions de barils par jour (mbj) en 2008 à près de 8,4 mbj lors des huit premiers mois de 2014 grâce à l’exploitation du pétrole de schiste. Il est prévu qu’ils atteignent 9,5 mbj en 2015. Ce qui équivaut à l’arrivée sur le marché d’un nouveau producteur de pétrole de la taille de l’Irak et du Qatar réunis.
Cette nouvelle donne a impacté le marché mondial à tel point que depuis cet été, la demande ne parvient plus à croître autant que l’offre. Selon l’AIE, “le développement économique ne stimule plus autant qu’avant la croissance de la demande de pétrole, notamment en l’absence de hausse des salaires. La Chine, principale source d’augmentation de la demande pétrolière ces dernières années, est entrée dans un stade de développement moins gourmand en pétrole”. La conséquence s’est fait immédiatement ressentir. Le marché connaît une période de prix relativement plus bas que ce qu’on a connu au cours des 3 ou 4 dernières années. Pour leur part, confirment les experts du cabinet Capital Economics : “Nous pensons que les bas prix du pétrole sont là pour durer.”
D’autres experts, à l’exemple du patron de Belaco Capital, affirment que cette situation “ne va pas non plus durer 20 ans”. Mais en attendant, les économies des pays producteurs sont mises à mal et l’AIE ne cache pas sa crainte quant aux “effets négatifs sur la stabilité sociale”.
Réduction budgétaire et stabilité sociale
Au-delà du fait que l’Algérie calcule son budget sur la base d’un baril à 37 dollars, il faut savoir que son économie est sérieusement menacée avec un baril à 80 dollars. Pour l’Iran, le budget 2014 a été calculé sur un baril à 100 dollars, alors que le Brent évolue actuellement juste en dessous des 80 dollars. La baisse affectera le prochain budget avec un “déficit des recettes pétrolières de l’ordre de 8 à 10%”. En Irak, le prix d’équilibre se situe également autour de 100 dollars le baril.
Selon le ministère du Pétrole, “plus de 27% des recettes budgétaires prévisionnelles” ne rentreront finalement pas dans les caisses, à cause de la chute des cours. En Russie, où l’or noir représente la moitié des rentrées budgétaires, le budget 2015 a été bâti sur une prévision du prix du baril à 96 dollars. Les économistes de la banque russe Alfa ont estimé, récemment, qu’une chute de 10 dollars du baril de pétrole coûtait 10 milliards de dollars au budget fédéral russe et 0,4 point de croissance du produit intérieur brut.
Au Venezuela, le budget 2014 a été échafaudé avec un prix du baril relativement bas (60 dollars), alors que plusieurs analystes soulignent que le prix d’équilibre pour le Venezuela se situerait bien au-delà des 100 dollars. Le Nigeria va revoir à la baisse le prix de référence du baril de pétrole pour le budget 2015, de 78 dollars à 73 dollars. De leur côté, l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis ont des prix d’équilibre bien moins élevés que la plupart des autres pays de l’Opep. Cela fait qu’ils sont mieux armés pour résister à une baisse prolongée des cours du brut.
S. T.