L’autre Vietnam

L’autre Vietnam

Le « Free Iraq » de la mystification impériale, promettant monts et merveilles à un peuple appelé à se défaire de la tyrannie pour vivre l’ère de la liberté et de la démocratie, plonge dans la violence abyssale le modèle de construction démocratique laminé par le terrorisme renaissant et la haine confessionnelle et communautaire de plus en plus marquante.

Ce Mardi, la veille du 10e anniversaire de l’invasion américaine, la dérive sanglante d’El Qaïda s’est révélée dans la vague d’attentats à la bombe qui a fait au moins 65 morts et plus de 220 blessés. Plus d’une vingtaine, les attaques ont visé, à Baghdad et sa périphérie, la communauté chiite. « Ce que vous avez subi …n’est qu’un avant goût », proclame l’ISI (Etat islamique d’Irak) regroupant les groupes sunnites affiliés à El Qaïda. L’Irak à feu et à sang est l’héritage de la guerre impériale destructrice.

« Vietnam, Irak, Afghanistan : nous avons beaucoup d’anniversaires à oublier », conclut plein d’amertume le New Yorker, conforté par le Times évoquant le coût humain fort élevé (100 000 victimes irakiennes, 4.485 soldats américains morts) et financier (4.000 milliards de dollars). Le New York Times a stigmatisé la « marche folle » des néo-conservateurs qui a tout emporté sur son passage. Depuis le funeste jour de l’occupation illégale de l’Irak jusqu’à la proclamation de la « mission accomplie », le processus de balkanisation du nouvel Irak a mis le feu aux poudres dans ce Moyen-Orient des « guerres civiles » à répétition, dédiées au néo Sykes-Picot des temps impériaux.

Il se légitime par l’effet de contagion d’un « Irak libéré » qui, selon le promoteur du GMO du désastre arabe, peut « servir d’exemple édifiant…à d’autres pays de la région ». Le feu vert de Bush, explicitant sa vision du Grand-Moyen-Orient, a été donné, le 26 février 2003, lorsque, dans le discours prononcé, à l’American Enterprise Institute, il a mis en exergue l’exigence de la démocratisation pour assurer la sécurité dans la région.

« Un Irak libéré peut montrer que la liberté a la force de transformer cette région vitale », a-t-il alors déclaré. Son vice-secrétaire à la défense, Paul Wolfowitz, pouvait donc savourer une telle opportunité, longtemps rêvée, pour rallumer le grand brasier « à portée décisive », non seulement pour l’Irak, mais également pour l’ensemble des pays de la région. Car, pour lui, « cela (le changement de régime en Irak, NDLR) aura une très vaste influence, à commencer par la Syrie et l’Iran, mais aussi dans tout le monde arabe ».

Dix ans plus tard, le GMO en lambeaux atteste de la faillite dramatique de la pensée néo conservatrice qui, pour tout modèle de démocratie, a participé activement à la destruction d’un Etat millénaire et laïc, vite remplacé par le confessionnalisme triomphant aux couleurs chiites en confrontation permanente avec les Kurdes, tentés de plus en plus par la partition, et la rébellion sunnite. La théorie du « chaos constructif » a semé les graines du démembrement de l’Etat national, de la guerre civile aux conséquences régionales inévitables et de la résurgence du mouvement insurrectionnel.

La poudrière irakienne a provoqué les dégâts en Irak et dans toute la région livrée à une instabilité et à l’insécurité grandissante. Dans une analyse comparative des changements en Europe et au Moyen-Orient, le penseur David Fromkin, cité par Fred Kaplan, écrivait, dans « A peace to end All peace », qu’ « il a fallu à l’Europe un millénaire pour résoudre sa crise d’identité sociale et politique post-romaine, presque mille ans pour s’arrêter à la forme d’organisation de l’Etat- Nation et presque 500 ans de plus pour déterminer quelles nations auraient le droit d’être des Etats…La crise actuelle ininterrompue au Moyen Orient pourra s’avérer n’être ni aussi profonde, ni aussi durable. Mais, les problèmes sont les mêmes différents doivent trouver le moyen de se regrouper pour se créer de nouvelles identités politiques après l’effondrement d’un ordre impérial immémorial auquel ils sont habitués ». La problématique du nouvel ordre impérial, prenant le relais d’un Sykes-Picot colonial largement dépassé, a ainsi imaginé le cheval de Troie du « printemps arabe » en substitution à l’effondrement du modèle irakien de démocratisation à l’américaine.

Le syndrome du nouveau Vietnam, enjambant les crimes de guerre impériaux et les violations massives des droits de l’homme révélés par le scandale d’Abou Ghrib et les pratiques immorales des G’Is en folie, a pesé sur la nécessaire réévaluation de la stratégie américaine acquise au « soft power », imposé par la défaite militaire et le gouffre financier proche du trillion de dollars que l’Amérique en crise ne peut plus consentir. Dans une contribution sur « l’empire américain ruiné par ses guerres », Eric Margolis a soutenu, en Février 2010, que « les Etats-Unis ont clairement atteint le point de rupture de leur ambition impériale.

Les dépenses militaires et le service de la dette cannibalisent l’économie américaine qui est la base réelle de leur puissance mondiale.0utre l’URSS sur le déclin, les Etats-Unis ressemblent également de plus en plus à l’Empire britannique agonisant de 1945, écrasé par les dettes immenses souscrites pour mener la seconde guerre mondiale, devenu incapable de financer ou à défendre l’Imperium ». Les leçons sur « l’erreur stratégique » commis par son prédécesseur ont forcément été tirées par Obama qui a annoncé la « fin de la décennie de guerre » en Irak et le nécessaire désengagement militaire pour se consacrer davantage aux impératifs de la guerre impériale par procuration sublimée par l’intervention de l’Otan en Libye et les enjeux de la « guerre froide » en Syrie.

Larbi Chaabouni