Par
Du siècle avant Jésus- Christ, à l’exode de 1911, en passant par l’épopée de l’Emir Abdelkader, Kamel Bouchama a signé une trilogie qui «raconte nos ancêtres». L’homme est passionné et passionnant. Il a ouvert son coeur à L’Expression et c’est avec bonheur que l’on suit les tribulations de l’écrivain. Entretien.
Dihya Guellid: Avant même d’aller dans le contenu de vos ouvrages que vous présentez à cette 21ème édition du Sila, quelle est d’abord votre première impression?
Kamel Bouchama: Je suis très satisfait, franchement. Et comment ne pas l’être quand, chaque jour, indépendamment de ce vendredi 2 novembre – jour de ma dédicace officielle -, je suis face à une foule de lecteurs passionnés qui viennent se faire dédicacer mes deux ouvrages et entamer un dialogue avec moi? De là, je me dois tout d’abord, de remercier sincèrement – et le verbe n’est peut-être pas assez fort – le personnel de l’Enag et à leur tête le directeur général, M. Messaoudi Hamidou, qui est en même temps commissaire général de cet important événement international culturel, pour l’excellent travail qu’ils présentent à ce public nombreux et assoiffé de lecture. L’Enag démontre par sa présentation d’ouvrages produits dans les normes internationales de l’édition, son professionnalisme et même plus en ce qui me concerne, et d’autres auteurs d’une certaine pointure. Ainsi, elle a pris des dispositions à mon égard par un geste professionnel, d’abord courageux, et citoyen ensuite, qui me laisse croire à un meilleur avenir au sein de l’édition, dans le vivre ensemble et la démocratie. Encore une fois merci, un grand merci à l’Enag – et ce n’est pas un dithyrambe – pour cette remarquable production qui a fait dire à d’aucuns, devant mes deux ouvrages:
– «Ah, si on pouvait produire un travail pareil, aussi beau que celui-là qui nous vient de l’extérieur…!».
Ma réponse a été spontanément aussi claire que convaincante: «Non, messieurs, ce travail vient de Réghaïa!!»
Vous dites de beaux ouvrages, effectivement, et ils sont devant nous. Pouvez-vous nous en dire davantage?
Oui, assurément, ils sont beaux et bien finis…, ce qui a laissé certains penser qu’ils sont faits ailleurs, plutôt que chez nous. Est-ce un complexe, ou parce qu’il est vrai que quelques éditeurs ne donnaient pas, il y a quelque temps, tellement d’importance à la meilleure présentation de leur produit? C’est cela en réalité, parce qu’avant, en effet, nous-mêmes nous dénoncions quelques manquements aux normes de l’édition. Enfin, ce qui est certain aujourd’hui, est que moi, comme d’autres auteurs, je suis plus que satisfait et fier devant une telle production car, présenter des ouvrages de cette tendance, je veux dire de cette beauté, de cette élégance c’est un honneur pour l’entreprise qui les a soigneusement réalisés et, bien sûr, pour la personne qui les a écrits. Maintenant, les ouvrages sont là…, et mes lecteurs, particulièrement, les amateurs de beaux livres et les jeunes à qui je m’adresse, n’auront pas été privés par la publication de deux beaux ouvrages, tant dans leur forme que dans leur contenu…
Beihdja Rahal, vous lui avez consacré un des deux beaux livres. Pourquoi ce choix et cet intérêt pour cette dame et sa musique?
D’abord, ce choix s’est imposé à moi, parce qu’il est naturel, en ce sens que Beihdja Rahal est un des plus grands talents de notre pays, en matière de répertoire andaloud’où le titre que je lui consacré dans mon ouvrage. Il est évident que j’aime et respecte les autres – inutile de les énumérer, au risque d’en oublier quelques-unes ou quelques-uns -, mais le choix de cette talentueuse interprète de la musique andalouse, m’a été prescrit par le fait que je la vois en tant que représentative d’une école, d’un style, et d’un monde de mélomanes, aussi bien attaché à sa belle musique traditionnelle, qu’à son mode représenté par la «Çanaâ d’Alger» et dont elle excelle, depuis le temps de ses maîtres, les Fakhardji, Khaznadji et autres, et après… leur disparition.
Ceci dit, il y a cette tradition qui me vient de ma famille, celle où, nous tous, avons baigné, depuis notre tendre enfance, dans le «mouwacheh», c’est-à-dire dans cette musique qui nous ensorcelait, et qui nous permettait de l’adopter comme faisant partie de nous-mêmes. Voilà pourquoi, j’ai choisi Beihdja Rahal qui, comme celles ou ceux qui l’ont précédée, nous convie à travers ses «noubas», dans ce carrefour de civilisations nombreuses, à vivre en osmose avec une partie non négligeable de notre patrimoine qu’elle nous traduit si bien, de sa voix chaleureuse, en magnifiques chansons andalouses, en se fondant sur un passé qui appartient simultanément au mythe et au réel, et qui a été conforté par les apports conséquents des nôtres.
Votre deuxième ouvrage est aussi beau, parce qu’il nous est présenté dans un beau coffret. Qu’avez-vous à nous dire sur cette présentation?
Je vous l’accorde; il est aussi beau que l’ouvrage de Beihdja Rahal. Ce deuxième qui, en réalité, est constitué de trois livres, puisqu’il s’agit d’une trilogie, a été sérieusement pris en charge dans les ateliers de l’Enag, je tiens à le souligner. Ainsi, les responsables ont insisté sur la qualité du produit et son étalage dans un coffret, également, bien conçu pour être présenté dans une entité qui se respecte et qui plait aux lecteurs. Ce coffret, en lui-même, a fait l’objet d’admiration de la part des visiteurs…, c’est dire que rien n’est passé inaperçu dans ce Sila de 2018 qui a tenu ses promesses, dans tous les domaines. Encore une fois, un produit de cette propension – en parlant de ma trilogie et mon ouvrage sur Beihdja Rahal -, nous laisse dire que par les efforts de ses concepteurs, l’Enag, encore une fois, a rendu au livre ses lettres de noblesse en mettant en évidence la richesse du patrimoine national et en soulignant l’importance du livre, ce moyen de communication le plus ancien. Alors, les jeunes qui étaient nombreux dans ce Sila, que j’ai rencontrés et avec lesquels j’ai entamé de longues discussions, vont découvrir et, pour d’autres, redécouvrir le plaisir et l’amour de la lecture, comme nous les avions à leur âge.
La trilogie…, est-ce une façon à vous de faire l’Histoire de notre pays, selon certaines de vos déclarations? Ou est-ce une simple fantaisie, celle de réunir trois livres pour les présenter à vos lecteurs?
Cette trilogie s’est imposée à moi parce qu’elle raconte nos ancêtres, dans trois ouvrages indépendants, mais complémentaires, du siècle avant Jésus-Christ à l’Émir Abdelkader et ses compatriotes en pays du Levant, avec leur dernier exode de 1911, en passant par ces Algériens, de fiers Berbères qui ont fait l’Andalousie, du temps de Tariq Ibn Ziyad jusqu’à la prise de Grenade le 4 janvier 1492 par Isabelle la Catholique.
Nos ancêtres sont ainsi racontés au cours des siècles, dans cette trilogie, pour dire par quoi ils se sont caractérisés, par quoi ils ont brillé et comment ils ont géré leur existence chez eux et dans les pays du Bassin méditerranéen qu’ils ont investis pour de bonnes et nobles causes et à la libération et l’émancipation desquels ils ont participé.
Alors, en réunissant mes trois tomes, en une trilogie, j’ai eu à l’esprit cet objectif d’être efficace et de faire partager mes évidences et mes révélations à la majorité des jeunes dont je souhaite obtenir leur adhésion et leurs encouragements. Je souhaite également et surtout, avec ce travail qui répond aux besoins du moment, participer à l’éducation de cette frange essentielle dans notre société, en allant droit dans la présentation objective où se dégage la réalité dans laquelle ont vécue nos ancêtres. Mes trois tomes sont rédigés dans un style simple, sans fioritures, mais surtout dans un style non ésotérique, pour ne pas afficher cette volonté de paraître, à la limite, différent et supérieur à d’autres auteurs. Alors, ma trilogie, puisque j’ai décidé de l’appeler ainsi, et parce qu’elle l’est dans l’absolu, doit remplir sa fonction du fait, comme expliqué auparavant, qu’elle est réservée à tous et non pas seulement à un cercle d’initiés en histoire.
Maintenant, vous me demandez est-ce que cette trilogie est une simple fantaisie. Non, ça ne l’est pas, franchement! Parce qu’elle vient pour nous interpeller de la sorte: ne doit-on pas dire aujourd’hui toute la vérité sur des moments exceptionnels, à tous égards, ces moments que nos ancêtres ont bien remplis sur tous les fronts de leur participation effective et combien bénéfique à l’histoire de l’humanité? Ne doit-on pas nous remémorer ces braves combattants, ces valeureux érudits et savants du Maghreb, et principalement les Algériens, que nous avons sous-estimés, ou carrément ignorés, parce que nous ne disposons pas de ce réflexe des gens du Machreq qui font honneur aux leurs, à leurs compatriotes?
Les termes ne sont pas excessifs, ils sont vrais; n’en démontre que les XXXX pages de la trilogie qui vont suivre pour nous révéler de légendaires hauts faits qui ont caractérisé cet amour de la justice et de la vérité dont nos ancêtres ont été de friands adeptes. Il fallait, à mon sens, dévoiler toutes ces richesses et les soumettre – toujours modestement – à ces jeunes que nous devons constamment maintenir dans le sentiment de la mobilisation autour d’objectifs nationaux. Comme cela, sur la route de l’Histoire, nos chemins se croiseront souvent, et ainsi nous rétablirons la vérité, après des décennies où le mensonge et la falsification se sont érigés en option de «bonne gouvernance».
Nous clamerons que notre pays n’est pas né du néant par la grâce d’une quelconque mission «civilisatrice», ni par celle d’une «fetwa» de quelques illuminés.
Notre pays a une Histoire plusieurs fois millénaire! Nous leur disons tout cela, dans cette trilogie…, nous leur disons voici ce que nous étions dans le passé, il n’y a pas de raison à ce que nous ne fassions pas de même, sinon mieux aujourd’hui, avec tous les moyens qui existent dans le pays.
En conclusion, et pour répondre davantage à votre question pertinente, je me permets d’ajouter que cette trilogie, sous le titre: «La glorieuse épopée de nos ancêtres», n’est pas un travail d’historien et n’a pas cette prétention.
Il y a certainement des insuffisances dans ce que j’ai écrit, et je n’ai jamais pensé être au summum de la connaissance et de la compétence en matière d’histoire. Cependant, j’ose prétendre que les ouvrages (trois tomes) qui la constituent sont le fruit du désir d’ouvrir les yeux sur la richesse culturelle, sociale et historique de notre pays, en même temps que sur l’apport de nos ancêtres dans certains pays du Bassin méditerranéen. C’est pour cela que la réhabilitation de l’histoire authentique, la vraie, l’incontestable, l’incontournable, et son enseignement avec l’esprit de l’honnêteté, de l’impartialité et de la vertu, sont une oeuvre vitale pour l’avenir. Car, on ne le dira jamais assez, le besoin d’enracinement pour l’homme est naturel…, il est vital, tout comme l’air.