«Cela me fait craindre le pire quant au futur de la Tunisie»
En plus du nombre élevé de leurs concitoyens faisant partie des terroristes de l’attaque d’In Amenas, c’est la réaction timide et tardive de leur gouvernement par rapport à ces attentats qui fait jaser la rue tunisienne.
L’attaque du site gazier d’In Amenas n’a pas laissé la rue tunisienne indifférente. Dès que nous avons foulé le sol de l’aéroport international Carthage à Tunis, on nous interroge sur cet attentat de Tiguentourine.
Même à la PAF nous avons eu droit à ce genre de questions. Cela a été de même tout au long de notre séjour. Mais qu’est-ce qui motive autant de curiosité? «En plus du fait que tout ce qui touche notre voisin algérien nous concerne directement; le fait que 11 des 32 terroristes qui ont attaqué le site gazier soient de nationalité tunisienne fait que nous soyons très attentifs à la question», explique Samy, journaliste tunisien. «11! Vous vous rendez compte? C’est la nationalité la plus présente dans ce groupe», ajoute-t-il. «Cela me fait craindre le pire quant au futur de la Tunisie»,
soutient-il.
Comme Samy, le «onze» terroriste tunisien de l’attaque d’In amenas inquiète Mounder. Rencontré à la terrasse d’un café de la rue Habib Bourguiba, il nous parle de son inquiétude de voir la Tunisie «post-Benali» plongée dans la violence. «Il est vrai que jusqu’à maintenant on s’en est pas mal tirés. Mais il n’en demeure pas moins que la présence de 11 terroristes dans cet attentat d’In Amenas a réveillé les vieux démons de l’après-révolution», assure-t-il d’un air abattu.
Préoccupé, il réplique. «On craint qu’on ait, nous aussi, notre décennie noire et que nous plongions comme vous dans une guerre civile qui détruirait à coup sûr la Tunisie».
Armes, terroristes… un mélange explosif
L’inquiétude de Mounder est partagée par beaucoup de ses compatriotes. Surtout que, comme nous l’explique Emna, jeune étudiante tunisienne: «Les chiffres donnés sur le nombre de terroristes tunisiens qui combattent en Syrie sont effrayants». «Selon une enquête publiée dans les colonnes de la presse nationale (tunisienne, Ndlr) ils seraient près de 4 000 à combattre en Syrie», souligne-t-elle. «Ce qui ferait des Tunisiens le premier «contingent» de combattants islamistes en Syrie», assure Emna qui nous édifie que même au Mali, il y a des terroristes tunisiens.
«Toujours selon la presse nationale, ils seraient près de 300 à combattre au Nord du Mali», dit-elle. «Ces chiffres sont une réalité qui me fait craindre le pire. Je me pose beaucoup de questions. La Tunisie n’est-elle pas devenue une base arrière des jihadistes? Après leur retour de Syrie et du Mali que vont-ils faire? Sont-ils allés en Syrie et au Mali pour se perfectionner avant le véritable combat qui est… la Tunisie?», s’interroge avec angoisse cette étudiante en médecine. Cette crainte est également palpable chez Karim, ancien militaire qui s’est reconverti dans le commerce. «Les 11 terroristes tunisiens ont confirmé mes appréhensions sur l’existence de cellules terroristes tunisiennes», révèle-t-il. «Avec les armes livrées au Mali par la Libye, qui transitent par la Tunisie, il y a de gros risques à ce que certaines restent en Tunisie», estime cet ancien soldat qui s’appuie sur les déclarations du président Merzouki qui qualifie la Tunisie de «corridor» pour acheminer les armes vers le Mali.
Pour confirmer un peu plus sa théorie concernant une quantité de ces armes qui resterait en Tunisie, il prend pour exemple une saisie d’armes de guerre qui a eu lieu à la mi-janvier dans l’extrême sud tunisien. «Près de la ville de Médenine, les autorités tunisiennes ont découvert une importante cache d’armes: des dizaines de Kalachnikov, des lance-roquettes, ainsi qu’une grande quantité d’explosifs», rapporte-t-il, précisant, toutefois, que plusieurs autres réseaux de vente d’armes ont été démantelés ces dernières semaines.
Du côté de Ben Gardane
Karim, va encore plus loin en révélant qu’il détenait des informations sur la vente de quantités importantes d’armes dans la région de Ben Gardane (ville du sud-est de la Tunisie, région frontalière avec la Libye). L’«équipe» de 11 terroristes tunisien qui ont fait partie de l’attaque d’In Amenas a donc accentué la panique de Karim en particulier et des Tunisiens en général. Mais cette attaque n’a pas suscité seulement de la panique chez les Tunisiens. Un sentiment de dégoût aussi se dégage de la rue tunisienne. Un écoeurement dû à quoi? «La réaction tardive et timide du gouvernement tunisien vis-à-vis de la tragédie qu’ont vécue nos frères algériens», atteste Amel, journaliste tunisienne. «Mis à part le président Moncef Merzouki qui a été le premier chef d’Etat à condamner l’attaque d’In Amenas, le gouvernement a tardé pour s’exprimer sur la question», témoigne-t-elle.
«Il a fallu près d’une semaine pour que le parti au pouvoir, Ennahda, se manifeste et condamne cette attaque», certifie-t-elle. «40% des terroristes de la prise d’otages sont d’origine tunisienne. L’Algérie et la Tunisie ont toujours eu des liens particuliers. Vous avez été les premiers à nous aider après la révolution. Et nous, on a tardé à réagir à cette attaque terroriste qui vous a ciblés!», peste-t-elle. «Attention, il ne faut surtout pas dire que cela n’arrive qu’aux autres…», conclut Amel.