Il y a vingt-deux ans, jour pour jour, en ce sinistre 11 février 1996, Le Soir d’Algérie subissait le plus terrible des attentats perpétrés contre la presse et les journalistes algériens de toutes ces années d’enfer terroriste. Les sanguinaires du GIA avaient programmé, ce jour-là, un vrai massacre collectif contre l’un des remparts qui se dressaient sur le chemin de leur macabre projet, la presse nationale. D’où le choix du Soir d’Algérie. Créé le 3 septembre 1990, le Soir d’Algérie est le doyen de la presse indépendante en Algérie, l’un des rares acquis de l’ouverture post-5 Octobre 1988.
La presse indépendante, en ce début de la décennie 1990, combattait farouchement les obscurantistes islamistes et leur projet mortel pour le pays. Tant le projet politique que celui franchement terroriste sur le terrain. Un terrorisme qui connaîtra une brutale recrudescence après le salutaire arrêt du «processus électoral», avant de prendre des proportions vertigineuses dès l’été 1992 après l’assassinat du défunt Mohamed Boudiaf. La machine à tuer de l’intégrisme n’épargnera aucune catégorie de la société algérienne : les militaires, les policiers, les intellectuels, les syndicalistes, les militants politiques, les anciens moudjahidine, et, bien entendu, les journalistes.
Le 26 mai 1993, Tahar Djaout inaugure la liste macabre des confrères assassinés. Ils seront des dizaines de femmes et hommes de médias à payer de leurs vies leur résistance héroïque face aux fossoyeurs de l’Algérie.
Tant d’assassinats individuels, dont la défunte Yasmine Drici, correctrice au Soir d’Algérie, n’ont pas eu raison d’une corporation qui se battait pourtant les mains nues face à un terrorisme hyper-armé et bénéficiant de scandaleux appuis politiques, moraux et logistiques à l’étranger. Il fallait, coûte que coûte, étouffer cette voix des médias algériens qui traitaient les terroristes comme tels et non pas en tant qu’«opposition armée», comme les nommait une certaine presse française, par exemple.

L’attentat du 11 février 1996 contre Le Soir d’Algérie se voulait ainsi, dans l’esprit de ses commanditaires, un message fort, le coup fatal contre la presse algérienne et qui fera taire à jamais cette corporation insolente, insoumise et indomptable.
Les commanditaires de cette abominable entreprise auront tout planifié : l’horaire, aux alentours de 15h, en plein mois de Ramadhan à une heure où, pour le quotidien, l’on enregistre d’habitude le point culminant en termes de présence. C’est cette heure-ci que les terroristes choisissent pour donner l’«assaut», un lâche attentat perpétré à l’aide d’un fourgon bourré de plus de 300 kg de TNT.
Une telle charge était destinée à accomplir un vrai massacre collectif, une boucherie qui marquera les esprits. La violence de l’explosion, ressentie à des kilomètres à la ronde des lieux de l’attentat, avait tout simplement soufflé tout ce qui était les locaux du Soir d’Algérie. Mais, surtout, a coûté la vie à trois de nos collègues. Allaoua Aït Mebarek, le directeur de la rédaction, Mohamed Dorban, le caricaturiste-chroniqueur, et Djamel Derraza, qui s’occupait de la page détente, nous quitteront à tout jamais en ce triste 11 février 1996. Plusieurs autres de nos collègues subiront aussi dans leur chair de profondes blessures et, pour tout le monde, ce sera un traumatisme et un choc.
Le fourgon de la mort coûtera également la vie à d’anonymes citoyens, 26 au total, qui se trouvaient dans la rue Hassiba-Ben-Bouali, qui longe les locaux du journal. Ce drame laissera des séquelles chez tous ceux qui ont survécu, 22 ans après, mais n’a jamais réussi à faire plier le journal. Dans la douleur, par défi et, surtout, par devoir et en hommage aux martyrs du journal, toute l’équipe rescapée se mobilisera pour une mémorable résurrection, et ce sera le titre du premier numéro de l’après-11 février, paru le 25 février 1996. Une victoire sur soi-même et une grande gifle pour les terroristes. Il faut dire que la solidarité de la corporation n’était pas une vue de l’esprit. Grâce aux confrères d’El Watan, Hiwar Com, Liberté, El Khabar, Horizons, El Moudjahid et bien d’autres, l’équipe du Soir d’Algérie, qui avait trouvé refuge dans les locaux d’El Watan, a pu réussir ce numéro de la renaissance et reprendre son combat contre l’obscurantisme, aux côtés de ses lecteurs.
Kamel Amarni