La fameuse loi dite de la «ch’kara», qui n’occupait le haut du pavé que lors des élections législatives, sachant que les députés touchent 30 millions de centimes par mois, en sus de divers autres avantages, risque de prendre une ampleur encore plus préoccupante, carrément mortelle pour l’activité politique en Algérie, avec l’entrée en vigueur de cette nouvelle mesure, relative aux salaires de nos chers élus locaux.
Était-ce vraiment le moment de décider que les élus locaux occupant des postes exécutifs, et même consultatifs en siégeant tout simplement dans une APC ou une APW, devaient toucher des salaires, dont ne rêvent même pas les cadres supérieurs algériens quand ils ne sont pas employés par les grandes multinationales ? Un décret adopté par le gouvernement et paru dans le dernier Journal officiel est venu s’appesantir sur un sujet aussi vénal, surtout en cette période de troubles sociaux tous azimuts, de lutte (prétendue ou avérée contre la corruption, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme). Nous apprenons, ainsi que les maires toucheront mensuellement entre 77 000 et 132 000 dinars par mois selon le nombre d’habitants de la commune, dont ils ont la charge. Les vice-présidents, eux, percevront des «indemnités» mensuelles (et retenez bien qu’il ne s’agit là que d’un doux euphémisme), entre 50 000 et 100 000 dinars. Quant aux présidents d’APW, leurs salaires oscilleront entre 93 000 et 162 000 dinars par mois. Leurs vice-présidents toucheront, eux, entre 75 000 et 140 000 DA. Là encore, c’est le nombre de citoyens par wilaya qui déterminera cette somme. Et, pour ne pas faire de mécontents, il est même prévu des primes spéciales pour indemniser, éventuellement, les élus qui toucheraient un salaire supérieur au sein des entreprises qui les employaient, et dont ils ont été détachés après leur élection. L’activité politique chez nous devient ainsi un pur «bizness». En dépit des très graves dérives déjà constatées, l’État donne l’air de vouloir les encourager, les accentuer, jusqu’à dégoûter définitivement les citoyens de la politique, et induire des taux de participation encore plus faibles que ceux qui avaient été enregistrés, lors des élections législatives et locales de l’année passée. On se souvient en effet que les candidatures en tête de liste, au niveau de certains partis politiques en prévision des élections législatives du 10 mai passé, s’étaient négociées jusqu’à un milliard de centimes. Si des accusations abondant dans ce sens avaient fusé dans les rangs du FLN et du RND, faisant même entrer le nouveau vocable de la «ch’kara» dans le jargon politique national, le président du FNA, Moussa Touati, était carrément passé aux «aveux» en reconnaissant avoir perçu des sommes variant entre 500 et 100 millions de centimes selon l’importance de la wilaya convoitée. Ce phénomène, fort dommageable pour les pratiques politiques en Algérie, avait quand même été moins important, lors des élections locales, compte tenu de la moindre ampleur des enjeux. Mais voilà que cette mesure gouvernementale vient chambouler gravement la donne. Non seulement il faudra s’attendre à des batailles épiques, lors de la confection des listes (près de 1 600 pour chaque formation politique au lieu des 48 pour les législatives), et une sorte de généralisation du recours à l’argent sale en vue de se faire élire. En attendant ces prochains rendez-vous électoraux, tout en espérant qu’un autre décret viendra d’ici là abroger cette mesure qui vient dire aux citoyens que leurs élus ne rouleraient que pour l’argent et les divers autres avantages matériels, il y a fort à craindre que les autres élus locaux ne se mettent à manœuvrer et à comploter pour déposer leurs présidents et prendre leurs places respectives. En clair, des blocages nouveaux au niveau de certaines de nos Assemblées locales ne sont pas exclus à cause de cette mesure gouvernementale, dont on aurait très certainement pu faire… l’économie !
Wassim Benrabah