L’Arabie saoudite est en proie à des manifestations quasi quotidiennes qui prennent, de plus en plus, d’ampleur. Après avoir exclu la révolution dans ce pays, les analystes commencent à réviser leurs jugements et à considérer la probabilité de la chute de la monarchie saoudienne. Sunnites et chiites que la famille régnante divisait s’unissent pour dénoncer la répression qui les frappe de la même manière et revendiquer des droits politiques et sociaux.
Dans l’histoire, et l’histoire récente l’a démontré, les révolutions, dans le sens de changement brusque, se sont produites avec une facilité déconcertante. Et ce n’est pas « un phénomène nouveau », dit Gustave Le Bon qui cite de très nombreux cas, en particulier ceux de Charles X et de Louis-Philippe en France, renversés, le premier, en 1830, en trois jours (les Trois glorieuses), et, le second, en 1848, en deux jours seulement. Gagnés par le syndrome Louis XVI, tous les deux abdiquèrent et prirent la fuite devant des émeutes jugées « insignifiantes ». « Il est évident, écrit Gustave Le Bon, que toutes les révolutions n’ont pu se faire, et ne pourront d’ailleurs jamais se faire qu’avec le concours d’une fraction importance de l’armée. »
C’est ce qui pourrait arriver, plus tôt que ne le prévoyaient les pronostics, en Arabie saoudite en proie depuis plusieurs semaines à des contestations qui, de plus en plus, ont la sympathie de militaires critiques à l’égard de la famille régnante dont l’accaparement des richesses du pays, les frasques et la répression sont souvent et plus ouvertement dénoncés. Et comme le dit encore l’auteur de la Psychologie des foules, la monarchie saoudienne tombera « à l’heure précise où ses troupes indisciplinées [refuseront] de la défendre. »
Le mécontentement et les espérances, moteurs de toute révolution, se manifestent, de jour en jour, dans ce pays dont les Etats-Unis d’Amérique, protecteurs des Al Saoud, ne doutent plus qu’un soulèvement puisse intervenir à n’importe moment. Bruce Riedel faisait savoir, il y a quelques semaines, à Barack Obama que « le renversement de la famille royale [était] devenu quelque chose de probable. » Et ce, malgré les timides concessions faites et les mesures prises, notamment de débloquer un budget de 130 milliards de dollars sur cinq ans dès les premières manifestations populaires dans le royaume, à la suite de la chute du Tunisien Ben Ali et de l’Egyptien Hosni Moubarak, destiné à résorber la crise du logement, combattre le chômage, en particulier en indemnisant les chômeurs, et augmenter les salaires.
Le système de redistribution mis en place par la famille régnante, assimilé par la population à de l’aumône, ne fonctionnant plus, les aspirations des jeunes saoudiens est de prendre en main leur destiné par un partage du pouvoir monopolisé par les Al Saoud depuis 1744. Le journal français Le Monde rapportait, récemment, un propos de l’homme d’affaires saoudien Turki Faisal Al Rasheed affirmant que « le vrai danger pour les autorités saoudiennes […], ce n’est pas l’Iran ou le terrorisme. C’est plutôt l’aspiration [du peuple] pour de vraies réformes politiques, sociales, économiques et culturelles, conduisant à une bonne gouvernance, au développement, à l’éradication des magouilles et de la corruption. »
Turki Faisal Al Rasheed a sans doute raison dans son analyse, mais, face, ainsi que l’avance Gustave Le Bon, à « l’affaiblissement des traditions qui lui servent de base », la monarchie saoudienne ne peut que s’écrouler à terme, refusant de se constitutionaliser de la même manière que l’ont été les monarchies européennes qui règnent mais ne gouvernent pas. Et la répression que mène le régime saoudien est un des signes que son pouvoir est menacé de disparition, en dépit du soutien que lui apportent, en premier lieu, les Etats-Unis dont la péninsule arabique, pour des raisons notamment énergétiques, représente un intérêt stratégique vital.
Au moins une cinquantaine de manifestations ont été organisées en deux mois, c’est-à-dire quasiment une manifestation par jour, et celles-ci ne touchent pas seulement les populations chiites, mais tout le pays. Sunnites et chiites que la monarchie tente de diviser se rassemblent pour exprimer ensemble leurs revendications politiques et sociales, étant logés à la même enseigne.
Ces derniers jours les Saoudiens sont sortis dans les rues de Riyad pour dénoncer les arrestations touchant les militants politiques, notamment des femmes, demandant leur libération immédiate.
L’association pour les droits civils et politiques en Arabie saoudite a adressé un message au roi Abdellah, presque 90 ans, le mettant en garde contre les nombreuses violations des droits de l’homme et lui demandant de révoquer son ministre de l’Intérieur et de le juger. Dans ce même message, cette association qui appelle à lutter d’abord contre « le terrorisme de l’Etat » stigmatise « la répression, les arrestations arbitraires, les procès secrets, la torture et le harcèlement en prison et autres atrocités et injustices pratiquées dans les prisons saoudiennes […] sous prétexte de lutter contre le terrorisme. »
Brahim Younessi