L’après-Bouteflika,Les choses sérieuses ont-elles commencé?

L’après-Bouteflika,Les choses sérieuses ont-elles commencé?

Notre nourriture, nos vêtements, nos véhicules, notre construction… tout nous vient d’ailleurs. Y a-t-il pire échec pour un pays?

Si l’on accepte l’hypothèse que Bouteflika ira jusqu’à la fin de son actuel mandat, ce qui semble être la voie choisie, cela veut dire que la révision de la Constitution pourrait ne pas avoir été abandonnée.



Le Cnes organise, semble-t-il, un forum pour faire le bilan, sans complaisance nous dit-on, du parcours de l’Algérie indépendante et en tirer, bien sûr, les conséquences et formuler les recommandations à même de permettre enfin au pays de se développer de manière durable! L’initiative est louable, certes, mais…elle vient avec beaucoup d’anachronisme et autant d’interrogations.

En effet, cela fait cinquante ans que l’Algérie est indépendante. Est-ce que cela veut dire que les bilans de parcours ne se font qu’une fois les cinquante ans? Ou bien est-ce que tous ces problèmes qui gangrènent le pays, et qui semblent soudain attirer, à titre de rappel, l’attention de certaines institutions, sont récents au point de justifier seulement maintenant une réflexion?

Le bilan? Quel bilan?

Cela fait longtemps que la gestion du pays est partie à la dérive. Cela fait autant que les citoyens essaient d’attirer l’attention sur les conséquences catastrophiques de la non-gestion du pays. Et combien sont-ils à rappeler, à la suite de Drucker, qu’au fond, il n’y a pas de pays sous-développés, mais seulement des pays sous-gérés?

Combien ont-ils été à hurler, à longueur d’année, que la médiocrité, érigée en critère de sélection des hommes est un suicide pur et simple? Combien ont-ils été à tirer la sonnette d’alarme sur les mauvaises résolutions des problèmes qui ne sont en fait qu’un report suivi d’une multiplication de ces mêmes problèmes? Les a-t-on écoutés un jour? Les a-t-on entendus un jour?

Certes, il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais lorsqu’il s’agit de la gestion d’un pays et de l’avenir de générations, les choses doivent être prises avec beaucoup de sérieux. Que va-t-on donc constater avec cinquante ans de retard? Que le pétrole constitue 98% des exportations du pays? Que le tissu industriel consenti avec beaucoup de sacrifices et de peine des Algériens a été sciemment détruit sans raison valable et sans même une décision raisonnable? Pourquoi donc revenir au tissu industriel d’antan? Est-ce simplement pour déterrer, encore une fois, un grand nom comme à chaque fois que le pays est en passe de problèmes ou bien pour faire croire que nous nous sommes réveillés d’un meurtrier sommeil qui a duré trente douloureuses années? Pour ceux qui ne le savent pas, l’industrialisation de l’Algérie est venue suite à une stratégie (dans les années soixante déjà!), se peut-il qu’aujourd’hui, en 2013, des décisions aussi engageantes et aussi sérieuses, se prennent debout, à l’envolée, lors de discussion? Non, ce n’est pas ainsi que l’on gère un pays!

Nous avons perdu cinquante ans, deux générations et beaucoup d’argent pour nous retrouver à un niveau plusieurs fois inférieur à celui de 1962! A l’époque, au moins, l’Algérien aimait et respectait l’Algérien. A l’époque, au moins, il y avait encore l’envie d’apprendre et le désir de faire quelque chose pour le pays. A l’époque, au moins nous étions tous ou presque dans la même misère et lorsqu’il s’agissait de consentir des efforts ou des sacrifices, tout le monde était concerné au même titre ou presque. Aujourd’hui, la donne n’est plus la même. Seuls les plus démunis paient, seuls les plus honnêtes sont astreints au sacrifice et seuls les plus pauvres sont sollicités lorsqu’il faut accepter la cherté de la vie.

Y a-t-il un autre bilan à faire?

L’échec de ceux qui nous ont gouvernés est total et entier! Nous vivons de la production des autres. Nous dépendons des médicaments d’autrui et de leurs hôpitaux. Notre nourriture, nos vêtements, nos véhicules, notre construction… tout nous vient d’ailleurs. Y a-t-il pire échec pour un pays qui a mené l’une des plus grandes, sinon la plus grande, des révolutions armées du XXe siècle? Quel bilan après cela? Quel triste bilan après tant d’échecs?

Regardons donc notre école, regardons notre université, regardons nos hôpitaux… rien n’y va. A l’école, on en est arrivé à ce que les enseignants fassent leur grève chaque année, parfois même plusieurs fois par an. On en est arrivé à ce que les élèves exigent de connaître les chapitres sur lesquels portent les examens du Bac. L’année prochaine, ce sera au tour de ceux de l’examen de septième année d’imposer leur vue des choses dans une école qui a connu dix mille réformes sans jamais s’améliorer.

A l’université, non plus, rien ne va et ce ne sont pas les sons de cloche, souvent au ton trop douteux, qui démontreront le contraire. On ne sait plus quoi faire avec le LMD, on ne sait plus comment sortir des folles fosses creusées par des décisions incroyables. La politique qui consistait à faire taire les gens pour avoir la paix ne s’est pas révélée payante. Ni pour ses initiateurs, ni à plus forte raison pour le pays. Pour les hôpitaux, encore une fois, leur destruction est claire et simple.

Depuis l’industrialisation de Boumediene, il n’y a eu pratiquement aucune stratégie et dans aucun domaine car n’est pas stratégie ce que chacun veut bien appeler par ce nom. La malédiction appelée pétrole a eu raison de toute initiative et les recettes trop facilement engrangées ont frappé d’«indésirabilité» la bonne volonté et les compétences du pays.

Est-il possible de guider un pays sans trop savoir où le mener? Et est-ce possible de savoir où le mener lorsqu’on n’a aucune stratégie? Gérer un pays ne se limite pas à de la rhétorique, ni à l’accusation des autres. Gérer un pays est un comportement qui doit laisser des résultats satisfaisants sinon, à quoi cela sert-il d’avoir des gestionnaires et c’est aussi pour cela que les gestionnaires qui n’ont pas de résultats satisfaisants sont rejetés généralement. Chez nous, moins ils font de résultats et plus ils durent. Des ministres qui ont détruit l’école ont tiré quinze ans, ceux qui ont détruit l’université sont là depuis une éternité, ceux qui ont saboté le secteur de la santé sont toujours en place dans d’autres ministères. Ceux qui ont «déboussolé» l’industrie, ceux qui ont fait «dérailler» le commerce, et les autres secteurs sont toujours là. Même ceux qui avaient donné l’ordre aux entreprises de transférer leur argent dans les caisses d’El Khalifa Bank sont toujours en place avec ceux qui n’avaient rien vu venir dans cette affaire malgré leurs postes des plus concernés que tout le monde.

Sommes-nous dans l’après-Bouteflika?

Aujourd’hui, Bouteflika est malade et, tout en lui souhaitant sincèrement un prompt rétablissement, il est utile de se rendre à l’évidence que le Président en poste n’a pratiquement plus de chances de briguer un autre mandat. C’est d’ailleurs visible, aussi bien au brusque silence des chantres d’un quatrième mandat, qu’à l’aphasie inattendue des adeptes de la fameuse révocabilité. C’est visible aussi à l’absence d’effervescence dans certains milieux. Si l’on accepte l’hypothèse que Bouteflika ira jusqu’à la fin de son actuel mandat, ce qui semble être la voie choisie, cela veut dire que la révision de la Constitution pourrait ne pas avoir été abandonnée pour ceux qui voulaient y introduire le poste de vice-président car la maladie de Bouteflika leur donne raison et la phase que connaît actuellement le gouvernement du pays donne plus de crédibilité à leur démarche. Ceci, si bien entendu, l’on met de côté les véritables desseins d’une telle démarche.

Cela pourrait aussi signifier que le vice-président est déjà connu. Qu’il se prépare ou qu’il est même prêt à assumer son nouveau rôle de vice-président de la République. Mais une question s’impose dès lors: pourquoi se tuer à nommer un vice-président qui devra très probablement s’en aller dès avril 2014? Cela n’arrange certainement pas les calculs de ceux qui luttent pour introduire ce nouveau poste. Du moins pas pour l’instant. Et c’est pourquoi, il nous semble que deux situations sont possibles désormais. La première c’est que, quelque temps après la nomination du vice-président, Bouteflika se retirerait avant la fin du mandat laissant la place à son vice-président qui, le temps de terminer le mandat, préparera les prochaines élections qui lui seront favorables.

La seconde situation est celle où l’on verrait Bouteflika se faire élire à un quatrième mandat, mais juste pour quelque temps avant de se retirer définitivement. Dans tous les cas de figure, cela pourrait aussi signifier que le bilan que l’on veut tirer de la gestion du pays durant ces cinquante ans, ainsi que les recommandations que l’on va faire, serviraient de point de départ pour le programme du vice-président qui sera le… prochain président. Comme quoi, nous sommes en pleine préparation de l’après-Bouteflika.