La révision de la Constitution s’est toujours faite dans l’urgence
Pour donner corps à toutes les mutations entamées depuis octobre 1988, la IIe République frappe à nos portes.
Le 25 septembre 1962, la première réunion de l’Assemblée constituante que présidait Ferhat Abbas vote une résolution pour «baptiser» l’Algérie naissante: elle s’appellera officiellement: République Algérienne Démocratique et Populaire (RADP). On rapporte que pour décider s’il fallait mettre ou non la conjonction de coordination (et) entre Démocratique et Populaire, les parlementaires de l’époque avaient débattu pendant près de deux jours. Des témoins rapportent également que lors de la même réunion, Mohammedi Saïd, ancien colonel de la Wilaya III historique (portant le nom de guerre Si Nacer) avait même proposé de rajouter le terme islamique à la République Algérienne. Faisons l’hypothèse charitable qu’en 1962, les décideurs étaient enivrés par le contexte de l’époque avec une indépendance fraîchement acquise et la vague des décolonisations à travers le monde. Par cette appellation «Démocratique et Populaire», il y avait donc en filigrane cette ferveur à se distinguer des démocraties libérales de l’Europe occidentale. Une Europe d’où étaient issues les puissances colonisatrices. Plus de 50 ans plus tard, le greffon du socialisme n’a pas pris. Les décideurs algériens ont voulu transplanter une idéologie totalement étrangère à la société algérienne en créant un système de parti unique où toutes les libertés étaient bafouées. Autant la libération du pays était un exemple à travers la planète, autant le ratage post-indépendance a consacré une régression politique qui a hypothéqué l’avenir des générations.
Tout a basculé lors du Congrès de Tripoli, du 25 mai au 7 juin 1962. C’est lors de ce congrès qu’est apparue cette appellation «Démocratique et Populaire». Dans l’appel du 1er Novembre 1954 et dans le Congrès de la Soummam, il a été question d’une République démocratique et sociale. Inerte, figée, l’Algérie est aujourd’hui parmi les rares pays au monde à garder cette appellation, avec la Corée du Nord et la Chine (si on excepte la Syrie, l’Irak et l’Egypte).
A l’heure où le débat sur la révision de la Constitution est lancé, du moins au niveau des médias, il convient de poser la question: faut-il changer d’appellation pour l’Algérie en ôtant ce terme «populaire» qui charrie une connotation d’une autre époque, celle du bloc socialiste? Ou faut-il au contraire la garder? Que les spécialiste chargés de la révision de cette Constitution nous le disent, qu’ils expliquent leur choix au peuple algérien. Dans certains milieux intellectuels, l’idée fait déjà son bonhomme de chemin. Ces intellectuels vont jusqu’à proposer de changer l’appellation aussi bien pour le Parlement, les Assemblées de wilaya et des communes. «Puisqu’on y est, pourquoi nous contenter de réformettes: il faut se débarrasser de ce terme populaire même au niveau de l’APN, des APW et des APC», soutiennent-ils. Le monde a changé, l’Histoire également et la géographie n’est plus la même. Avec une longueur d’avance sur l’Europe de l’Est, l’Algérie a entamé un processus de réformes déjà en 1988.
Quelle république pour l’Algérie? A chaque révision ou amendement constitutionnel, l’Algérie est prise de court. Elle entame ce travail dans l’urgence. En 1988, le peuple s’est insurgé pour demander plus d’ouverture, de démocratie et de libertés. Il fallait donc réviser la Constitution en urgence.
En 1996, Il fallait réagir au danger islamiste qui menaçait la République par une révision de la Loi fondamentale en donnant plus de prérogatives au président de la République. Non rassuré, le législateur a carrément érigé le rempart du Sénat contre cette mouvance islamiste avec le tiers présidentiel bloquant.
En 2002, le printemps noir en Kabylie, qui a eu son lot de victimes, a imposé un amendement de la Constitution qui a consacré tamazight langue nationale. Six ans plus tard, toujours dans cette culture de l’urgence, il a fallu faire sauter le verrou de la limitation des mandats et consacrer la représentativité de la femme dans les instances politiques.
En 2013, avons-nous toujours ce le même luxe de confectionner une Constitution de l’urgence? Le législateur se doit de donner à l’Algérie une Constitution qui doit échapper aux aléas politiques, qui ne changera pas au gré des tendances agissantes au pouvoir en place. Ce faisant, cette révision constitutionnelle dictée par la conjoncture régionale marquée par les révoltes arabes, doit répondre à des impératifs issus de ces révoltes, justement.
En premier lieu, la nouvelle loi fondamentale algérienne doit se situer au moins au même niveau que celles du Maroc, de la Tunisie ou de l’Egypte (ces deux derniers pays n’ont pas encore ficelé leurs projets). Cet impératif étant conclu, viennent ensuite les sacro-saints principes des libertés et des droits de l’homme.
Les dirigeants algériens n’ont d’autres choix que celui de s’inscrire dans cette dynamique mondiale. Les temps ont changé et les pays qui bafouent les libertés, au sens large du terme, et les droits de l’homme sont relégués aux «strapontins» de l’Humanité.