Le président Abdelaziz Bouteflika avait dit, lors d’une de ses sorties médiatiques, que les Algériens ne maîtrisaient pas les langues. On est en mesure de dire que ce n’est pas faux, mais la faute incombe, en premier lieu, à l’école et au système éducatif, confectionné à l’emporte- pièce, qui a fait du jeune Algérien un laboratoire d’expériences toutes aussi ratées les unes que les autres, et cela dure depuis 20 ans !
De l’école fondamentale qui a assimilé le petit écolier à un attardé mental, en passant par les réajustements sans résultats probants à la réforme, censée rectifier le tir mais que le département de Benbouzid a confondu avec le bourrage de cartables et les contenus endoctrinants, le système éducatif algérien peine à produire une véritable élite.
Ce n’est pas fortuit si beaucoup de spécialistes y voient une corrélation avec l’émergence de l’intégrisme islamiste en Algérie. S’il y a une révolution à faire, c’est certainement dans l’éducation qui doit permettre l’épanouissement de l’individu et la sublimation de l’intelligence afin de construire une relève à la hauteur des sacrifices de ses aïeux.
Le niveau a considérablement baissé et les universités ont du mal à composer avec des étudiants qui arrivent dans les campus avec le seul objectif d’avoir un diplôme pour pouvoir trouver un emploi une fois leur cursus terminé, et même ce sésame ne leur garantit pas une vie décente quand ils entrent de plain-pied dans le monde du travail. On leur exige des qualifications qu’ils ne possèdent pas. Parmi lesquelles figure en pole position la maîtrise des langues étrangères. Une condition sine qua non dans toute recherche d’emploi.
Si on revisite l’histoire de l’Algérie, on constate que les différentes invasions qui ont pris d’assaut notre pays ont toutes laissé des traces, sachant que le principe du colonialisme est la déculturation et la destruction de l’identité d’une communauté et, par voie de conséquence, des individus qui la constituent. En Algérie, cette entreprise a été tellement féroce qu’elle a continué après le colonialisme français.
Il a fallu des années de combat et de lutte acharnée avant qu’on ne reconnaisse enfin de manière directe et franche que le peuple algérien est avant tout amazigh en décidant d’officialiser sa langue mère, qu’il a été arabisé par l’Islam et que, de par une occupation française de plus de 132 années, il a acquis une troisième langue qu’est le français.
Cette dernière était la langue de l’élite intellectuelle et d’une certaine bourgeoisie qui a eu la chance de fréquenter les bancs de l’école française tandis que la majorité du peuple algérien restait dans les ténèbres de l’ignorance.
Aujourd’hui, la donne a changé et la langue de Voltaire n’est plus au top, elle commence à perdre du terrain au profit de l’anglais, mondialisation oblige et grâce aux Américains qui ont fait du hamburger l’encas préféré des jeunes, du cinéma d’action le divertissement d’excellence auprès des ados, du R&B et du rap leurs musics de chevet et des réseaux sociaux Facebook et Twitter des espaces dans lesquels ils peuvent s’exprimer en lâchant bride à leur retenue.
La suprématie des Américains, qui ont une stratégie d’expansion très particulière, fait que leur langue, qui a petit à petit envahi le monde virtuel, a fini par passer au monde réel. Sans oublier les chaînes de télévisions satellitaires qui passent en boucle des films hollywoodiens en version originale et fonctionnant comme un véritable matraquage de la langue de l’Oncle Sam.
Même s’il est trop tôt pour présager d’une nouvelle configuration des langues étrangères en Algérie, il est opportun de dire que l’on s’achemine vers de nouveaux rapports de forces dans ce domaine entre le français maîtrisé par l’ancienne génération et leurs enfants et l’anglais qui est plus au goût de l’actuelle génération se recrutant notamment dans les milieux modestes.
Les jeunes diplômés, très brillants pour beaucoup d’entre eux, guettent les bourses et autres programmes octroyés par les pays occidentaux pour partir ailleurs, sachant qu’ils n’ont aucune chance d’accéder aux postes importants détenus par les vieux «loups» de la politique qui ne sont pas près de lâcher prise. Ces jeunes savent pertinemment qu’ils ne peuvent réaliser leur rêve qu’avec une bonne maîtrise des langues étrangères.
APPRENDRE LES LANGUES POUR TROUVER UN JOB
La saison estivale y est propice, notamment pour les étudiants qui sont en vacances et les travailleurs qui prennent leur congé en cette période pour apprendre ou se perfectionner dans les langues.
Les écoles privées l’ont compris en proposant des cours intensifs de langues. Les annonces dans les journaux promettent un apprentissage de langues en un temps record allant de quatre semaines à trois mois. Les tarifs sont exorbitants, cela va de soi, pour un étudiant qui ne dispose que d’une petite bourse. C’est également le cas pour les diplômés chômeurs qui butent sur la maîtrise des langues quand ils répondent à une annonce de recrutement.
Les entreprises qui recherchent des personnels exigent les langues étrangères comme le français et l’anglais dans les CV. Ceux qui n’ont pas le profil sont automatiquement rejetés. C’est le cas de Halim, rencontré dans l’une des écoles privées de la capitale. Jeune étudiant en sciences commerciales, son vœu est de travailler dans une compagnie pétrolière au Sud.
«Je ne trouve pas de travail car je ne possède pas des qualifications en anglais ; j’envoie souvent mon CV quand je trouve une annonce de recrutement dans le journal mais je ne reçois pas de réponse», nous a-t-il confié. «Je voudrais aller au Sud car les compagnies pétrolières étrangères payent bien, cela me permettra de construire mon avenir.» Les écoles privées de langues font florès.
On peut trouver plusieurs écoles dans le même quartier. Nous nous sommes rendus dans l’une d’entre elles au centre d’Alger. Il s’agit de l’école Castle. Le gérant, M. Bouza Salim, affirme que «sur 100 étudiants qui nous sollicitent, 65% demandent à s’inscrire en anglais, 30% en français et 5% restants sont répartis entre l’allemand et l’espagnol». Il soutient que «la gent féminine représente 80% de sa clientèle, souvent pour les regroupements familiaux.
La plupart d’entre elles viennent à l’école pour apprendre la langue dans le pays pour où elles vont se marier. C’est généralement en Europe, avec des émigrés ou des étrangers». C’est le cas de Sara, une jeune universitaire que nous avons rencontrée sur les lieux. «Je vais me marier cet été, nous dit-elle, avec un Espagnol que j’ai connu sur Internet.
Il est venu à Alger et on a célébré nos fiançailles et maintenant je me prépare pour le mariage.» Les tarifs pratiqués par l’école Castle sont de 3 500 DA par niveau entre 4h et 6h par semaine. M. Bouza assure que «beaucoup de cadres arabophones s’adressent à son école, dont l’âge se situe entre 25 et 30 ans». Il estime que «beaucoup d’écoles vendent des chimères en faisant payer des sommes colossales allant jusqu’à 60 000 DA pour une formation de 30 heures».
Cependant, beaucoup de diplômés, nous a-t-on dit, trouvent des circuits qui leur permettent de décrocher des bourses à l’étranger grâce aux séjours linguistiques que proposent certains organismes dans des pays comme la Grande-Bretagne. Ces derniers, à peine mettent-ils les pieds chez l’hôte, qu’ils pensent déjà à s’installer. Beaucoup y arrivent en se mariant ou en décrochant un boulot. Madjid, qui prend des cours accélérés cet été, n’a qu’une seule idée en tête : «Emigrer au Canada.»
«Je suis ingénieur en électronique mais je ne travaille pas dans mon domaine car je ne trouve pas de travail dans mon secteur. Je suis en train de préparer mon dossier d’émigration pour aller à Ottawa, c’est une région anglophone, donc il faut que je maîtrise l’anglais. C’est un critère de sélection.» C’est une «harga» d’une autre forme qu’ont trouvé les universitaires, qui leur éviterait une issue fatale et peut-être leur ouvrir de nouveaux horizons.
F. H.