Une étude internationale de l’organisme européen INSEAD effectuée fin 2012, a abouti à la conclusion que l’algérien est très peu productif en comparaison aux autres nations.
L’Algérien a perdu tout espoir pour s’accrocher à l’illusion d’un départ pour un ailleurs plus clément.
En effet, selon les résultats de cette enquête, l’algérien produit à peine 6,2 dollars en une heure de travail alors qu’un sud coréen s’en sort avec 38 et un allemand avec 62.Il est claire qu’il s’agit là d’un constat qui décrit une situation à un moment donné mais ne l’explique pas. L’algérien est- il viscéralement voire chroniquement fainéant ? L’analyse du comportement des algériens dans l’entreprise est complexe parce quelle se conjugue avec son statut historique depuis les différentes occupations de l’Algérie et le mode de gestion auquel il a été soumis après son indépendance. Si on synthétisait les chiffres fournis par cette institution par région du monde, on se rendra compte aussi que la productivité du travail reste intimement liée non seulement à la culture de chacune des nations mais aussi à la perception que l’Homme fait de la notion du travail et de son importance dans la société auquel il appartient. Comment justement a évolué l’algérien dans ce vaste modèle ? Pourquoi en est-on arrivé là ? Peut-on aujourd’hui y remédier ?
Quelques faits historiques nécessaires. Il faut souligner que même si la réputation de l’Algérie comme étant le « le grenier de Rome » est contestée par certains spécialistes algériens qui la considèrent comme une blague de mauvais goût de la France (01), les intentions ou les invasions ont toujours eu pour origine un intérêt agricole de la plateforme algérienne bien avant le tracé des frontières nord africaines. En plus le coup de l’éventail porté le 29 avril 1827par le dey d’Alger (le gouverneur ottoman de la région), Hussein ben Hassan au consul français, Pierre Deval avait pour origine un contentieux agricole à l’avantage des algériens qui n’avaient pas perçu le paiement de la dette qu’ils avaient sur les français. En effet, ils fournissaient du blé et des céréales pour l’armée française lors de la compagne de Napoléon contre l’Egypte. D’ailleurs le gouvernement français exploita cet évènement pour aller à la conquête de l’ensemble de l’Algérie au cours des trois années qui suivirent, et il resta pendant près de130 ans. Propriétaire ou khammès, l’algérien se débrouillait pour fournir du blé et des céréales de qualité pour toute la rive de la méditerranée. Les exemples ci-après vont non seulement étayer ses performances paysannes mais démontrer l’avantage comparatif que lui donnait ce statut. En 1928, lorsque le blé et les céréales se comptaient en quintaux et non en tonne comme c’est le cas aujourd’hui, l’Algérie fournissait à la métropole et ailleurs tout en mangeant à sa faim plus de 3 millions de quintaux (02). Elle en consacre fin 2012 plus de 8 milliards de dollars pour la facture alimentaire. Jusqu’à quelques années après l’indépendance, le blé dur de la plaine de Magra prés de Sétif se troquait avec les Italiens à 1 quintal contre 5 de blé italien tendre. (03) Ce même paysan a réussi d’entretenir des orangers de grande qualité notamment à Boufarik. Les régions côtières ont fournie avec son aide de meilleures vignes qui ont donné le vin de Sidi Brahim qui s’offrait dans les grandes occasions en europe. Les dattes de « Deglet Nor » ont été primées pendant plusieurs décennies en France. Bien après l’indépendance,début des années 80,la Sonatrach a envoyé des équipe et son appareil SH 183 pour forer en kiswahili Chole Shamba qui est une île dite de la mafia située dans l’océan Indien et faisant partie de l’archipel de Zanzibar de la Tanzanie. Les conditions y sont extrêmement dures (présence d’animaux très dangereux, pluie toute l’année, malaria etc.) et pourtant, ces équipes ont donné des performances meilleures que celles des américaines. Les jeunes algériens réussissent leur start up à Silicone valley et en Europe mais échouent dans leur propre pays. Pourtant les dispositifs d’aide aux jeunes porteurs d’idées n’en manquent pas selon le discours officiels bien entendu. Pourquoi l’algérien se sent mieux et devient plus dynamique dès qu’il quitte l’environnement natal ? Les psychologues industriels ont montré que l’homme pour produire et créer d’une manière rentable, il faut qu’il soit heureux. Alors, l’algérien pour arriver à une aussi médiocre productivité serait-il frustré voire pas bien dans sa peau et pourquoi ? Si tel est le cas, on serait amener à dire que les objectifs de l’indépendance qui visaient de le libérer du joug colonial pour l’épanouir ne seraient malheureusement pas atteints. Que s’est-il passé ? Examinons la série de frustration dont il a fait l’objet.
Première frustration de 1962 à mi-1965
Cette période a été caractérisée par le départ massif des colons et la vacance des moyens de production. On l’avait baptisé, période de réorganisation de l’économie nationale. Pour passer cette étape, la population Algérienne a dû consentir d’énormes efforts jusqu’à mettre leur économie voire même leur bijoux de famille dans une caisse dite de solidarité pour permettre au rouage économique de tourner. Qui en a profité ? Qu’est devenue cette caisse de solidarité ? Aucune réponse n’a pu être donnée d’où une première frustration mais la population a gardé espoir imputant cela à une crise de démarrage logique. Il est apparu durant cette période une relation intime entre la masse populaire et l’Etat considéré comme seul protecteur des moyens de production communs. Face à des différentes difficultés rencontrées par les entreprises autogérées, nombreux sont les travailleurs qui souhaitaient leur passage sous le contrôle de l’Etat (4)
Deuxième frustration
La période d’industrialisation allant des années 65 à la mort de Boumediene est apparue avec une idée fortement mobilisatrice. L’initiateur balaie tout et disait « Vous avez réussi à obtenir votre indépendance politique, il vous faut maintenant une autre bataille pour celle économique ». La population est séduite par ce discours qui parait à priori logique. Elle serre la ceinture, retrousse ses manches et entame un combat qui s’est avérée après presque deux décennies vain. Donc, elle subira une deuxième frustration et pas des moindres mais il lui reste quand même un peu d’énergie. Les spécialistes ont décrit les dégâts culturels durant cette période comme irrémédiables lisons ce que dit El Kenz « l’industrialisation n’est jamais uniquement une affaire technique et économique. C’est aussi un vaste mouvement de transformation culturelle du fait de son caractère massif et accéléré. L’industrialisation prend en Algérie la forme d’une destruction rapide systématique d’une culture et l’imposition d’une autre culture et il serait peut être pas exagéré de parler de véritable viol culturel » (05)
Troisième frustration
A la mort de Boumediene, des technocrates s’emparent du pouvoir pour dire d’une manière très succincte : «tout ce qui a été fait jusqu’à la fin des années 70 relève de l’erreur, car il a été assigné aux principaux instruments économiques des objectifs politiques ceci est antinomique avec la rentabilité»(06) Une restructuration organique et financière tous azimut s’est opérée pour en définitive mettre à terre toutes les potentialités économiques pour rendre encore une fois vains tous les efforts entrepris. C’est durant cette période que s’est instauré le partage de la rente pétrolière et l’apparition de nouveaux riches et des dysfonctionnements sociaux pour la première fois en Algérie. L’éclatement d’octobre 88, n’est que cette goutte qui a fait déborder le vase de la 3ème frustration.
La frustration fatale
Après les espoirs suscités par les soulèvements d’octobre 88, On empruntera un raccourci pour énoncer en vrac les maux sociaux : conflits sociaux, dislocation de la société, transition politique et économique, désengagement lâche de l’Etat vis-à-vis du citoyen et des acquis économiques, fort développement des dysfonctionnements sociaux (gabegie, terrorisme, corruption etc.) qui n’ont fait que renforcer les inégalités et la misère sociales.
Cette situation raccourcie à l’extrême, a fait que l’appareil économique est resté à terre et n’arrive même pas à décoller. La population qui devrait contribuer à pousser cet appareil est à elle-même à terre. Elle vient de subir une quatrième frustration fatale et qui cette fois- ci paralysera ses membres. Globalement le système pédale à vide et ne génère aucun travail productif que de la parlotte. Résultat ? Forte dépendance de l’économie nationale de l’extérieur. Toutes les richesses en milliards de dollars dont se gargarisent les dirigeants en place ne sont que le résultat de l’augmentation du prix du baril de pétrole. La croissance économique en Algérie est du type extensif et ne s’appuie sur aucune créativité ou effort humain. Le champ politique est verrouillé et monopolisé par un seul parti puisque les autres membres de la coalition ne sont que des satellites. Le RND et le MSP sont des tendances de l’ancien FLN. En fait il n’y a aucun changement à ce niveau depuis 1962.La misère progresse et s’installe et fait grossir les couches défavorisées. La population qui la compose sent l’odeur mais ne voie pas venir la viande. Plus de 180 milliards de $ et autant de réserves en or mais très peu en bénéficie. Les artifices de la débrouillardise règnent à travers l’informel et la politique de tag al men tag s’y instaure.
Conclusion
Cette série de frustrations a sonné, dérouté puis complètement écarté de ses références ancestrales le salarié algérien. Il ne partage pratiquement plus de valeur communes à part celles religieuses avec la société et donc rien ne le motive pour travailler. Il est devenu narcissique et désintéressé du corps social. Le chamboulement de l’échelle de valeur lui a fait perdre le sens de la mesure. Il ne voit aucun lien entre le travail et la rémunération. Il veut gagner vite et beaucoup en peu de temps et donc plus il reçoit plus il en demande et rompe ainsi le dialogue social. Alors comment espérer le voir productif avec un tel comportement de toute évidence acquis ? Et c’est justement vers ces axes que le gouvernement devra orienter sa démarche pour remettre les gens au travail et espérer ce décollage économique tant attendu.
Rabah Reghis, Consultant et Economiste Pétrolier