Campagne publicitaire intense du service public français (France Télévisions), des réseaux sociaux en délire et sur un coup de magnéto magique, à la place de la baguette, l’Algérie avec ses 2 millions 3 cents milles km² devient un paradis sur terre et les « les Algériens » un peuple accueillant et ami! Voici en résumé ce qu’a voulu montrer Yann-Arthus Bertrand, avec son acolyte Yazid Tizi pendant les 88 longues minutes du reportage « L’Algérie vue du ciel », diffusé sur France 2, mardi 16 juin 2015.
Gilles Verdez ne s’est pas trompé en twittant à juste titre : « #Algerievueduciel Euh… Il y a comme une incroyable absence dans ce glacial documentaire géographique: le peuple algérien !!!! ». Il a raison le journaliste, quelque part, puisque en fait il n’y a pas de »peuple algérien » mais bien des habitants en Algérie. La notion de peuple ne signifie pas uniquement une agrégation de personnes dispatchées sur un territoire donné et venues de divers horizons avec des cultures différentes et une histoire différente. C’est exactement là que le fameux reportage qui a chauffé facebook et twitter a vu juste et ce malgré les deux réalisateurs. Il n’y a pas de peuple en Algérie.
Au plan purement photographique, il n’a pas échappé aux spectateurs perchés ce jour-là devant France 2 que le périple aérien des deux réalisateurs a été sélectif et très orienté d’autant plus que le texte commentant les images insiste sur certains faits historiques en y éclipsant d’autres. Ainsi, de prime abord, on amerrit à Alger, « ville haussmannienne » française face à la mer avec un centre historique, la Casbah, ville « arabo-berbère », « terreau du terrorisme » du FLN pendant la guerre de libération et islamiste pendant la décennie noire pour tomber finalement en ruines mais «paisiblement» après une décennie de guerre civile. D’Alger « la française » à Constantine « la turque » en passant par Oran « l’espagnole » et Annaba « l’italienne », pas de trace d’Algérie ni d’algériens ! Comme si le temps s’est figé aux époques évoquées. Les auteurs ont sciemment occulté, certes ils étaient dans le ciel, que ces villes sont devenues des prisons à ciel ouvert, des cités-dortoir, des dépotoirs où la misère les disputent à la saleté et l’islamisme à la dictature. Et pour enjoliver le tout, la caméra des deux planeurs zoome sur les lieux de culte, les basiliques Notre-Dame d’Afrique à Alger et Saint-Augustin à Annaba pour dire que l’Algérie serait terre de tolérance sans pour autant dire que les chrétiens et les non croyants, et cela existe en Algérie, restent pourchassés, bannis et emprisonnés dans ce « paradis algérien ». Comme un rappel à l’ordre, dans tous les villes et villages filmés les minarets n’échappent pas à l’objectif, signe que ce territoire est définitivement islamisé et arabisé.
Plus étonnant encore, la Kabylie disparaît presque de ce périple « oriental ». En Kabylie, pas âme qui vive ! Pas de ville, pas d’habitant, pas de route et pas de nature ! Tizi-Ouzou et Vgayet englouties ! Pas de littoral, pas de plaines, pas de civilisation en gros, juste un petit village perché au sommet de Djurdjura où trône encore une fois un immense minaret planté comme l’ont fait les américains en atteignant la lune, et des montagnes enneigés pour rappeler que l’alpiniste français Hervé Gourdel est assassiné « ici ». En guise de commentaire : « ici, on parle arabe » même si le narrateur se fait violence en reconnaissant à demi mot que la langue maternelle de cette région rebelle est bien le kabyle. Seul événement historique évoqué : « le Congrès de la Soummam » où les chefs révolutionnaires se sont réunis sous la houlette de Abane Ramdane pour mettre un ordre dans la guerre de libération. N’est-ce pas une manière subtile pour dire que l’Algérie est partout accueillante sauf la Kabylie qui « a chassé les Français » ! Ils n’ont pas tort, les auteurs, la Kabylie a fait la guerre aux colonialismes, à tous les colonialismes et elle lutte toujours contre la dictature d’Alger, et cela les réalisateurs ne peuvent le dire ni le montrer.
Tout au long du reportage, le commentaire et les images, certes pittoresques mais glaciales et sourdes, qui défilent ne sont pas adressés, comme le précise le synopsis du film, à un « Algérien resté au pays », mais bien à un Français qui aurai perdu l’Algérie et qui souhaite la retrouver. C’est ce que souhaite Hollande en se rendant en Algérie, le jour même de diffusion du reportage, et saluant son ami mourant, le dernier dictateur arabe, qu’il a bien voulu soigner dans les hôpitaux de Paris.
Et voici les Chawis, eux aussi « Barbares », comme les Kabyles. Dans les Aurès aussi, il n’y aurait pas de ville ni de village. Ne faudrait-il pas montrer ces « sauvages » qui ont « détruit Timgad » ? La conclusion de la séquence est sans appel, elle dénote clairement l’intention, pas que documentaliste des deux réalisateurs : « Les Romains sont partis, les barbares sont restés ! » Bravo l’artiste ! S’en suive une virée vers le sud Algérien. De désert en désert, d’Erg en Oued, pas d’Algérie, pas d’Algérien seulement des paysages lunatiques, tachés par deux cités « africaines », El Menea et Tamanrasset, qui finissent à la cité perdue, à Sefar, une cité rupestre qui abrite 15 000 peintures remontant jusqu’à 6 000 ans avant notre ère. Ces gravures rupestres qui évoquent des prairies verdoyante et fertiles, où les bœufs côtoient les girafes! Yann-Arthus Bertrand et son coéquipier kabyle, se sont-ils posés au moins la question des auteurs de ces peintures, de l’identité de ces premiers artistes et artisans, de ces premiers humains, de ces pionniers avant les autres ! Et pourtant, ils sont toujours là, vivants en Afrique du Nord, ils ne sont venus ni d’Orient ni d’Occident. Ce sont Imazighène, des hommes libres et ils battent encore pour leur liberté.
Ahviv Mekdam