Le modèle économique algérien, appuyé sur des recettes provenant à 97 % des hydrocarbures, n’est plus soutenable.
«L’Algérie risque le même sort que le Titanic. Malgré sa puissance et faute d’avoir amorcé le virage à temps, il a sombré au contact d’un iceberg.» Chez Nabni, un collectif d’Algériens de la société civile qui tente d’alerter depuis plusieurs années les décideurs sur la gravité de la situation, on ne sait plus quelle métaphore utiliser pour dire qu’il y a urgence à changer de cap.
Ils ne sont pas les seuls à penser que le modèle économique algérien, appuyé sur des recettes provenant à 97 % des hydrocarbures, n’est plus soutenable. L’an dernier, la directrice du FMI, Christine Lagarde, qui a remercié son créditeur (l’Algérie lui a accordé un prêt de 5 milliards de dollars) et félicité la première économie du Maghreb pour ses performances, a tout de même laissé entendre que le pays pourrait «se retrouver débiteur plus rapidement qu’il ne le croit».
Mais sortir de la dépendance aux hydrocarbures suppose une rupture qui pourrait remettre en cause la paix sociale, largement financée par la rente. Subventions sur le carburant, l’électricité et le gaz, le lait, les céréales, aide à la création d’entreprise, au logement, augmentations des salaires des fonctionnaires En 2014, les transferts sociaux dépasseraient les 50 milliards de dollars, soit un peu plus d’un tiers du PIB. Mal gérées et diluées dans une inflation de plus de 10 %, ces dépenses, qui s’ajoutent à une facture de plus de 60 milliards de dollars d’importations, font frémir les experts, persuadés que l’État devrait se concentrer sur d’autres priorités.
Assurer son autosuffisance alimentaire, par exemple. L’Algérie est pour l’instant, en Méditerranée (hors UE), le pays qui importe le plus (21 %) et qui exporte le moins (0,48 %) de produits agroalimentaires. Son agriculture ne contribue que pour 7 % à la construction du PIB national, et, selon la FAO, elle ne parvient même pas à produire les aliments essentiels à la consommation humaine.
Le spectre de «l’assistanat»
Enfin, instaurer un climat propice aux investissements. «Comparées au reste du monde, nos entreprises ne sont pas compétitives, regrette Abdelhak Lamiri, président de l’Institut international de management à Alger. Nous n’avons ni la quantité ni la qualité des entrepreneurs qu’il faut pour nous développer.» Il faut dire que l’État, qui se méfie du privé, ne fait rien pour aider l’entreprise dont il a asservi la croissance à l’administration centrale et à la commande publique. En 2013, dans son rapport «Doing business», examinant les facilités pour créer une entreprise, obtenir un permis de construire ou demander un prêt, la Banque mondiale, sur 189 pays, a rétrogradé l’Algérie à la… 153e position. Rassuré par ses performances (près de 200 milliards de dollars de réserves de change), convaincu qu’il dispose encore de gisements de gaz et de pétrole inconnus, et aveuglé par les estimations qui placent l’Algérie dans le top mondial des réserves de gaz de schiste, l’État ne perçoit pas les menaces.
Soumis au prix du baril de brut, son avenir ressemble à un scénario catastrophe: un endettement de plus de 60 milliards de dollars en 2020 et des réserves de change épuisées en 2025. Or, dans dix ans, l’actuelle poussée démographique garantit une explosion de la demande sociale. À ce moment-là, la population dépassera les 50 millions d’habitants et 70 % d’entre eux seront en âge de travailler. Pour le régime «qui a fait des ressources économiques un outil politique pour la conservation du pouvoir et a créé une conscience collective de l’assistanat», selon les termes du sociologue Noureddine Hakiki, directeur du laboratoire du changement social à l’université d’Alger, pourraient alors commencer les véritables ennuis.