L’Algérie, pays de frustration

L’Algérie, pays de frustration

La raison de ce relatif désintérêt envers un pays pourtant assis sur les cinquièmes réserves mondiales de gaz tient principalement à une législation protectionniste. Reportage.

« Le maître mot ici est frustration », avertit d’emblée un fin connaisseur de la société algérienne. Frustration devant une bureaucratie peut être plus tatillonne encore que corrompue, devant un rapport au temps très oriental, Inch Allah, ou devant des atouts naturels si mal valorisés ; les paysages saisissants devraient attirer de nombreux touristes, les terres fertiles nourrir une agriculture performante et les ressources abondantes en gaz financer infrastructures de qualité et tissu industriel. Mais non ; les hôtels de Tlemcen, superbe capitale mondiale de la culture islamiste l’an dernier, sont vides, la plupart des produits alimentaires sont importés, et le Maroc, pourtant moins peuplé et dépourvu de ressources énergétiques, attire deux fois plus d’investissements que l’Algérie. Renault a misé un milliard d’euros sur son usine de Tanger et a confirmé mardi son premier investissement en Algérie d’un montant initial de… 50 millions d’euros.



La raison de ce relatif désintérêt envers un pays pourtant assis sur les cinquièmes réserves mondiales de gaz (l’énergie est si peu chère ici qu’un plein ne coûte pas plus de cinq euros..) tient principalement à une législation protectionniste. Certes, explique un haut fonctionnaire algérien, la fameuse règle des 49/51 qui interdit depuis la loi de 2009 aux entreprises non algériennes de détenir la majorité du capital d’une joint-venture locale, s’explique par des expériences malheureuses, où des étrangers venaient ici pour « faire un coup » avant de repartir. Mais les entreprises, surtout les PME, rechignent à investir dans un projet dont elles n’ont pas le contrôle. La règle 49/51 peut toutefois être contournée mais au prix d’acrobaties ; « pacte d’actionnaires, majorité qualifiée, actionnaire dormant, au risque d’un réveil désagréable », énumère un juriste algérien.

Les entreprises occidentales doivent donc accepter d’apporter capitaux et expertise technologiques à des partenariats où la partie algérienne fournit pour l’essentiel sa « caution nationale » et ses salariés (il existe des quotas d’employés locaux). « Ainsi qu’une connaissance des circuits commerciaux et des appuis politiques nécessaires, indispensable dans un marché compliqué, avec beaucoup de règles écrites… ou non écrites ». Des particularités auxquelles s’ajoute tout un tissu de privilèges qui nuisent à l’efficacité entrepreneuriale ou institutionnelle. Par exemple, les enfants de moudjahidins (ceux qui se prévalent, souvent de manière abusive au demeurant, d’avoir participé à la guerre d’indépendance) disposent d’un quasi monopole pour l’obtention de licences de taxis, au grand dam des jeunes Algériens au chômage désireux de se lancer dans cette activité. Les fils de Moudjahidins bénéficient aussi de passe-droit en matière de diplômes de droit.

Non convertibilité du dinar

L’autre grande règle pénalisante touche à la non convertibilité du dinar, conçue pour empêcher la fuite des capitaux algériens mais qui empêche les multinationales de rapatrier leurs dividendes. Certes, nombre d’entre elles réinvestissent allègrement leurs profits sur place quand elles sont placées sur des secteurs très dynamiques. Mais la finalité d’un investissement est quand même, un jour ou l’autre, d’en tirer profit. Les filiales de grands groupes font donc jouer leur imagination pour se faire payer en dollars ou transférer des actifs à d’autres filiales non algériennes. « Ici, nombre de filiales n’ont pas pour vocation de gagner de l’argent mais d’être un avant-poste, un bureau de liaison pour être prêt quand le pays s’ouvrira à l’étranger et se désétatisera », estime le même observateur

En attendant, chacun prend des positions. Le leadership des Français, premier investisseur dans le pays, de très loin, et premier fournisseur juste devant des Chinois qui les avaient même dépassés au premier semestre, est menacé. « Les Etats-Unis, la Chine, l’Espagne, tout le monde courtise l’Algérie », se réjouit le haut fonctionnaire. Les Chinois ont raflé la majorité des marchés publics grâce à leurs coûts incomparables car les appels d’offre ici ne sont pas fondés sur le mieux disant mais sur simplement le moins cher, souligne un observateur. Au risque de réceptionner des immeubles où tout s’écroule quand on claque un peu brutalement la porte. Ou de se faire livrer une autoroute rapidement très « fatiguée », comme celle reliant Alger à Bejaëa, puisque Alger pratique surtout le « prend l’oseille et tire toi », pour paraphraser Woody Allen, et non pas le BOT (build, operate, transfer, qui incite le constructeur à réaliser un projet de qualité pour en tirer profit via une concession à durée limitée).

De même source, les Algériens commencent à revenir un peu de leur infatuation avec des entreprises chinoises qui ne recrutent pas localement, dont les employés chinois vivent entre eux, important même leur nourriture, ou dont les commerces vendent de l’alcool le vendredi, un tabou dans nombre de régions algériennes, hors Kabylie. Autant d’éléments favorables finalement aux entreprises françaises, d’autant plus que « pour les Algériens nous ne sommes jamais des étrangers lambda, la plupart des cadres d’entreprises ou de membres de l’intelligentsia ont des relations personnelles avec la France, voire une relation passionnelle, d’attraction et répulsion à la fois », résume un expatrié, qui s’amuse au passage d’une certaine naïveté dans la vision ici de la France ; « des gens qui vivent presque dans des taudis me parlent parfois avec commisération de la terrible crise frappant notre pays ».