A mesure que la pression monte autour d’une possible action militaire internationale au Sahel, l’attention se concentre sur Alger, dont le rôle dans la sécurité de la région conditionne la réussite de toute intervention.
A Paris, les sources de la défense affirment avoir obtenu un premier accord tacite de l’Algérie pour soutenir une opération visant à chasser les groupes terroristes islamistes qui ont annexé le nord du Mali, accord qui va jusqu’à tolérer l’inévitable présence à terre de quelques unités étrangères, notamment françaises.
Ce changement de tonalité intervient après que Washington a resserré son attention sur la zone, depuis l’attaque de son ambassade de Benghazi en Libye, reliée à l’influence croissante d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). En parallèle au sommet qui s’est ouvert à Bamako le 19 octobre sur la situation au Mali, une délégation algérienne, conduite par Abdelkader Messahel, le ministre délégué aux affaires maghrébines et africaines, s’est rendue à Washington. Les questions sécuritaires et maliennes ont dominé la rencontre, inscrite dans la première session du « dialogue stratégique » entre les deux pays.
Cette convergence de vues sur les risques sécuritaires au Mali « ne suffira pas », admet-on dans l’entourage du ministre français de la défense. Elle n’est, en outre, pas exempte d’ambiguïtés.
L’ALGÉRIE HAUSSE LE TON DEPUIS QU’ELLE EST LA CIBLE DU MUJAO
« Il ne s’agit ni d’une inflexion ni d’un recentrage de la position algérienne », indique Amar Belani, le porte-parole du ministère algérien des affaires étrangères. « Depuis le début, nous disons deux choses. D’une part : dialogue avec les groupes rebelles à condition qu’ils se dissocient totalement d’AQMI et du Mujao [Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest] et qu’ils abandonnent toute revendication sécessionniste. D’autre part : éradication du terrorisme et des narcotrafiquants du Mujao par tous les moyens, y compris le recours à la force. »
Alger, qui a fait de la non-intervention militaire sur un territoire étranger un de ses principes constitutionnels, hausse le ton depuis que le pays est devenu la cible du Mujao. Ce groupe djihadiste armé proche d’AQMI a revendiqué deux attentats contre des casernes dans le sud du pays au printemps. Il est surtout à l’origine de l’enlèvement, en avril, de sept diplomates algériens à Gao. L’un d’eux aurait été exécuté début septembre. Alger n’a ni confirmé ni démenti cette information, officiellement « par manque de preuves ».
Cette situation illustre l’ambivalence de l’Algérie, qui redoute plus que tout un foyer d’insécurité menaçant son propre territoire habité, au sud, par une forte population touareg. « L’Algérie appuie une intervention au Mali, mais elle n’y participera pas, sauf pour un soutien en matière de renseignement », précise Moustapha Chafik Mesbah, un ancien officier supérieur algérien. « L’armée ne se laissera pas entraîner dans un bourbier qui menace sa propre intégrité territoriale dans le Sud. »
Alger ne peut rester en marge de la communauté internationale, d’autant que la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ouvrant la voie à l’intervention intègre son approche du problème : la « préservation de l’intégrité du Mali », et la « négociation politique avec ceux qui se démarquent du terrorisme et du narcotrafic ». La résolution, préparée par la France, donnant quarante-cinq jours aux acteurs régionaux, Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et Union africaine (UA), pour arrêter un concept d’opération crédible avec le secrétaire général de l’ONU, a été adoptée à l’unanimité, le 12 octobre.
L’OPÉRATION COMPORTERAIT TROIS PHASES, À PARTIR DE JANVIER
Le plan poussé par Paris prévoit de réussir l’intervention avant la saison des pluies du printemps, un scénario volontariste qui suscite le scepticisme parmi les diplomates. L’opération comporterait trois phases, à partir de janvier 2013 : d’abord une consolidation de la souveraineté malienne sur le sud du pays et sa capitale Bamako.
Puis la mise à pied d’œuvre de trois ou quatre bataillons maliens sur lesquels les armées africaines et leurs alliées européennes pourront compter pour affronter les groupes du nord. Après la reprise de plusieurs villes – Gao, Tombouctou –, la stabilisation du Nord suivrait, en mars. Le plan comprend des bombardements et l’intervention de forces spéciales. Les Etats-Unis fourniront des moyens de renseignement.
« Le sujet majeur n’est pas tant de reconquérir que de tenir le terrain au Nord-Mali une fois que les villes auront été reprises, explique une source de la défense à Paris. Les mouvements terroristes pourraient se retirer, puis revenir. La communauté internationale ne peut se le permettre. » L’édification d’une force malienne solide prendra du temps et de l’argent, admet cette même source.
L’armée française a déjà dépêché des spécialistes de la planification auprès de la Cédéao, et prépositionné des moyens autour du Mali. Outre le soutien de ses partenaires africains, Paris cherche à consolider celui des Européens. Les ministres de la défense de l’Union européenne pourraient décider, le 19 novembre, d’une mission similaire à celle déployée en Somalie en soutien des forces de sécurité. Quant à la relation franco-algérienne, la visite de François Hollande à Alger, début décembre, dira si l’accord tacite se transforme en véritable feu vert.