L’Algérie oublie ses héros de manière volontaire

L’Algérie oublie ses héros de manière volontaire

Il est important de signaler les manipulations de l’histoire, par ceux qui nous gouvernent, et ce, dès les premières heures de l’Indépendance. 

Voilà, maintenant, 5 ans que Lakhdar Bentobal de son vrai nom Slimane Bentobal nous a quittés. Toute nation est fière de son histoire, elle se construit et assoit son unité nationale et sa fierté grâce au parcours de ses pères. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas de notre beau et glorieux pays parce que notre histoire a été et est toujours une lamentable confiscation d’un groupe de personnes qui réécrit l’histoire au gré de ses intérêts. L’histoire est le patrimoine de tous les Algériens, mais depuis 1962, les pouvoirs successifs n’ont eu de cesse que de semer le doute et l’amalgame, dans l’inconscient collectif, au point que l’histoire enseignée dans nos écoles aux enfants algériens, a été amputée de toutes ses parties qui ne redoraient pas le blason du pouvoir en place. Nous avons un dicton en arabe qui dit : “La asl, la mella”.

Lakhdar Bentobal est un artisan et un symbole de la Révolution algérienne et restera à jamais et pour toujours l’une des personnes-clés de notre Révolution et notre Indépendance

Lakhdar Bentobal a eu un parcours humble, il s’est engagé très jeune pour la cause de notre pays, dans les années 1940, avant d’arriver à la direction de la Révolution pendant la guerre d’Algérie. Il a été une des personnes-clés qui a œuvré pour une Algérie libre et souveraine. Il a été l’un des rares, sinon le seul, à avoir été présent et actif à toutes les réunions majeures et importantes de la Révolution algérienne :

– à la préparation du déclenchement de la lutte armée en participant à la fameuse réunion du groupe des 22 au Clos-Salembier sur les hauteurs d’Alger en juin 1954 après avoir vécu le maquis dans la clandestinité, et ce, pendant des années ;

– au déclenchement de la guerre d’Algérie à minuit le 1er Novembre 1954 ;

– le 20 Août 1955, sa préparation à Hjar Mafrouch (Zighoud et Bentobal), la définition de son objectif et l’offensive armée, qui représente le vrai relance de la lutte armée (l’offensive du Nord constantinois), qui lui a donné un nouveau souffle, après un relatif ralenti et le contrôle par l’armée française ;

– à la réunion de la Soummam le 20 Août 1956 pour participer à l’organisation de la

Révolution ;

– à la création du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) le 19 septembre 1958 au Caire ; il a été l’un de ses principaux fondateurs ;

– aux négociations secrètes des Rousses dans le Jura en France du 11 au 18 février 1962 pour préparer le socle des accords d’Évian et à la négociation finale du 7 au 18 mars 1962 à Évian entre la France et le GPRA, pour l’obtention de l’Indépendance et la liberté auxquelles il aspirait depuis son plus jeune âge.

Photo de Lakhdar Bentobal aux frontières

Photo des représentants du GPRA en Chine avec MAO DZEDONG et tous les dirigeants chinois de l’époque

Il est important de signaler les manipulations de l’histoire, par ceux qui nous gouvernent, et ce, dès les premières heures de l’Indépendance. Le texte intégral des accords d’Évian qui a été publié dans le Journal officiel français le 20 mars 1962, a mentionné des accords avec le Front de Liberation nationale (FLN), la France ne reconnaissant pas le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), alors que le texte publié dans le journal El Moudjahid, le 19 mars 1962 porte la mention “Gouvernement provisoire de la République algérienne” (GPRA). La version retenue actuellement en Algérie (voir sur le site //www.el-mouradia.dz/francais/algerie/histoire/accord evian.htm) est, cependant, identique à celle publiée en France. On est en droit de se demander pourquoi ce changement ?

Le seul objectif de Lakhdar Bentobal était de se sentir libre, dans son pays qu’il chérissait. Lakhdar Bentobal est passé par des périodes très dures en parcourant les montagnes en hiver dans le froid et la neige des Aurès loin de sa famille et de ses proches (14 mois dans un gourbi sans voir la lumière extérieure). Il a participé à la lutte armée depuis 1954, a participé à la structure de la Révolution et a été un des fondateurs du GPRA, gouvernement représentatif et légitime de l’Algérie face aux instances internationales. Le GPRA qui, dans les négociations d’Évian, a refusé de céder face à cette France, coloniale, qui était une force internationale faisant partie du Conseil de sécurité des Nations unies. Lors des négociations d’Évian, Lakhdar Bentobal a bien dit aux négociateurs français qu’il ne concéderait pas un m2 de l’Algérie et dans le cas contraire, la guerre continuerait. Face aux ministres français négociateurs, qui demandaient l’aval de De Gaulle sur chaque décision importante, le GPRA était le seul et unique groupe légitime représentant l’Algérie avec tous les pouvoirs de décision.

Comment peut-on après tout cet engagement oublier un de ses héros si ce n’était intensionnel. D’autant que Lakhdar Bentobal, après la libération de l’Algérie, a refusé de se joindre à la course au pouvoir, car il estimait avoir accompli son devoir, celui qui a permis aux Algériens de passer du statut de citoyen de seconde zone, sous domination étrangère, au statut de citoyen libre. Le minimum, qu’on puisse demander aux dirigeants de l’Algérie d’aujourd’hui est un minimum de reconnaissance envers ses héros, de rendre hommage à une personnalité nationale, et non régionale, comme Lakhdar Bentobal qui a représenté dignement la Révolution algérienne auprès de grands hommes comme Mao Zedong en Chine et autres dirigeants de grandes puissances comme Khroutchev et Kossyguine en URSS. Lakhdar Bentobal a non seulement été un maquisard, un révolutionnaire qui a participé à la lutte armée nuit et jour mais a aussi été et surtout une des têtes pensantes de notre Révolution ; un homme de terrain mais aussi un organisateur et un fin diplomate sans pour autant perdre de vue les intérêts de son pays à aucun moment jusqu’à la libération le 3 Juillet 1962 (le vrai jour de l’Indépendance).

5 ans après la disparition physique de Lakhdar Bentobal, aucun monument,  ni aéroport, ni port, ni ville, ni université, ni hôpital, ni boulevard, ni édifice publique, ni institution publique ne porte son nom, il a été oublié volontairement

On devrait se questionner sur les motivations du pouvoir, en place depuis 1962, à vouloir à tout prix changer l’histoire de l’Algérie révolutionnaire, mais personne n’est dupe !

L’anniversaire du décès de Lakhdar Bentobal est sciemment oublié par les autorités du pays à qui il a tant donné. À ce jour, aucune pierre grosse ou petite ne porte le nom d’un des principaux artisans de l’Indépendance de notre pays. Nous pouvons nous poser beaucoup de questions : pourquoi les autorités de notre pays depuis son Indépendance souhaitent effacer une partie importante de notre histoire, pourquoi certains acteurs majeurs de notre Révolution, qui reste une des plus importantes du monde moderne, sont oubliées par les différents responsables de notre pays depuis 1962. Lamine Khène a dit : “Qu’on le veuille ou non, les 3B (Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobal) ont amené le bateau à bon port”. L’histoire ne l’oubliera jamais.

Lakhdar Bentobal a été et restera à jamais un des acteurs majeurs de l’Indépendance de notre cher pays qui nous a permis de vivre libres aujourd’hui. Malheureusement, l’histoire révolutionnaire de Lakhdar Bentobal a non seulement été oubliée pendant sa vie et même depuis au point qui notre jeunesse ne connaît ni son nom ni ce qu’il a accompli pour notre pays. Évidemment notre jeunesse n’est pas fautive ni responsable de cette amputation volontaire d’un pan de son histoire, elle a été éduquée à faire l’amalgame entre notre Révolution et ses héros et les différents chefs depuis 1962 à ce jour.  L’Algérie, d’après mon père, devait revenir à la jeunesse qui aurait contribué à la réussite de son développement. Il m’a aussi dit que pendant la Révolution, c’étaient les jeunes qui étaient aux commandes du sort de l’Algérie. Cela devrait être le cas aujourd’hui, chacun doit contribuer à ce grand édifice qu’est le développement de la nation et la jeunesse peut largement y contribuer. Il croyait beaucoup en la jeunesse.

Parmi toutes les personnes ayant participé de près ou de loin à la Révolution algérienne, l’hommage a été plus important même à des niveaux de responsabilité ou d’importance moindre. Ceci montre l’importance que Lakhdar Bentobal avait, son poids et sa légitimité qui dérange jusqu’à aujourd’hui. Aucun site important ni moins important n’a pris le nom de Lakhdar Bentobal, un des ses révolutionnaires ayant participé à tous les événements majeurs depuis le 1er Novembre 1954. Le piston en Algérie va très loin mais l’histoire en dira autrement car la jeunesse et les générations auront besoin de la vérité. Bentobal est une figure nationale de l’Algérie et le peuple a besoin de le voir au niveau national et non régional. Mon père me disait qu’il appartenait à l’Algérie entière et non à une région ou à un groupe de personnes.

Je me pose des questions sur le ministère des Moudjahidine et le travail effectué par ce dernier. Pourquoi le ministre et le ministère des Moudjahidine n’ont-il pas pris la moindre décision concernant l’appellation d’un site algérien au nom de Lakhdar Bentobal ? A-t-il tous les pouvoirs pour le faire ou est-ce une décision qui doit venir de la présidence de la République ou d’un consortium ? Ceci reste une énigme sans pour autant l’être. Il ne faut pas oublier que des sites ont eu des appellations au nom de certains chefs de la Révolution immédiatement après leurs décès même avec moins de responsabilités. Est-ce que les appellations sont réservées avant le décès des personnes ? À quelle instance faudra-t-il s’adresser pour obtenir une considération ? À la fin, pourquoi faudrait-il demander alors que c’est la moindre des reconnaissances que Lakhdar Bentobal est en droit de recevoir eu égard à ses multiples sacrifices et à ses engagements dans la lutte de Libération nationale.

Vous êtes les bienvenus à la commémoration du décès de Lakhdar Bentobal qui aura lieu au cimetière El-Alia le 21 août à 11h pour rendre hommage à un des principaux héros de ce pays que les autorités souhaitent tant oublier. Nous invitons tous les Algériens qui souhaitent rendre hommage à ce grand et courageux homme politique et révolutionnaire, de tous ceux qui l’ont rencontré, ont trouvé en lui la sagesse, l’honnêteté et la droiture. C’était un homme de principes, de bon sens et avait une indéniable capacité de compréhension de la société algérienne et un amour indéfectible pour son pays.