« L’Algérie n’arbitre plus entre réserves et exportations d’hydrocarbures » selon les experts

« L’Algérie n’arbitre plus entre réserves et exportations d’hydrocarbures » selon les experts

La première session du forum d’Alger a réuni des experts de haut niveau dans le domaine de l’énergie. Interventions et débat ont suggéré la régression de la gouvernance énergétique du pays durant les années Chakib Khelil. Le gel du haut conseil de l’énergie, la disparition du comité d’affectation des réserves et l’absence de priorités sont autant d’indices de ce recul, aujourd’hui mis à nu par une contrainte forte nommée « demande domestique »

La conduite de la politique énergétique du pays inquiète,  et une régression dans  la gestion du secteur est quasi unanimement admise. Un constat souligné par Amor Khelif, Professeur en économie au Cread , ancien responsable de Sonatrach,  au cours de la première session du forum d’Alger  organisé samedi dernier à l’hôtel Sheraton par le cabinet Emergy et le quotidien Liberté, centrée sur le thème « les convulsions de la scène énergétique internationale et les perspectives à long terme ».

La rencontre traitait de l’épuisement des ressources, des nouveaux pôles de la croissance mondiale, et de la lutte pour le leadership et l’accès aux ressources ». Amor Khelif a pointé le fait qu’en Algérie la satisfaction des besoins énergétiques  à long terme, ne constitue plus une priorité.  Elle n’est  plus  sacralisée, contrairement aux années 70 et 80. Cette priorité aux besoins énergétiques nationaux  « devrait  figurer dans la constitution », at-il ajouté. Pour l’économiste cette situation, d’oubli de la doctrine énergétique nationale  « a été favorisée par le gel des activités du haut conseil de l’énergie ».

L’orateur a cité le rapport de la commission de régulation électricité et gaz (CREG)  de 2009 qui tire la sonnette d’alarme sur l’explosion des besoins domestiques en gaz de l’Algérie  d’ici à 2019. En d’autres termes, selon le point de vue de l’économiste, les exportations d’hydrocarbures devront  figurer au second rang.  Une fois satisfaits les besoins locaux en produits énergétiques, le résiduel devrait être exporté. Un tel constat constitue en filigrane une critique objective de la politique hyper-productiviste de l’ancien ministre de l’énergie et des mines Chakib  Khelil qu’il a conduit au cours de la  décennie 2000.

Le prédécesseur de Youcef Yousfi a, en encourageant l’intensification  de la production de pétrole et de gaz,  contribué à l’essoufflement des gisements anciens particulièrement gaziers. A contrecourant de l’avis des spécialistes et de responsables  de Sonatrach, Chakib Khelil a  fixé un objectif d’exportation de 100 milliards de mètres cubes/an de gaz  à l’horizon 2015-2020.

Rester sur le palier des 60 milliards de m3 de gaz

Cette première session du forum d’Alger a permis de traiter pour la première fois au grand jour des divergences qui existait jusqu’à y compris au sein du ministère de l’énergie du temps de Chakib Khelil partisan d’un rythme maximal d’extraction et de valorisation des hydrocarbures. Ali Hached, l’un des plus brillants  experts du secteur soutenait à l’inverse : « arrêtons cette politique d’intensification de la production. Restons au niveau actuel d’exportations (60 milliards de mètres cubes/an)  tant que nous n’aurons pas découvert de nouvelles réserves importantes de gaz ». L’ancien vice président chargé de la commercialisation à Sonatrach refuse de construire une politique contractuelle de prévisions de vente basée uniquement sur des estimations de potentiel de découvertes nouvelles.

L’arbitrage entre l’offre destinée à l’exportation et celle destinée au marché domestique  à moyen long terme devrait donc s’effectuer sur la base des réserves d’hydrocarbures  prouvées et non pas sur le potentiel. Sonatrach disposait d’ailleurs, dans les années 90, d’un comité d’affectation des réserves  qui  effectuait cet arbitrage annuellement. Avec la nomination de Chakib Khelil à la tête du secteur, cette structure  a  disparu pour laisser place  à des objectifs très ambitieux d’exportations : deux millions de barils /jour de production de pétrole  brut et 85 milliards de mètres cubes de gaz/an d’exportations  à l’horizon 2010, ne tenant nullement compte de la montée des besoins domestiques en produits pétroliers et gaziers.

Cela doit t-il signifier qu’il faut, compte tenu de la montée en puissance de la demande domestique,  entamer un repli des niveaux d’exportations en hydrocarbures ? Les analyses des experts présents à l’hôtel Sheraton,  sont toutes en nuances. L’Algérie se trouve  aujourd’hui  contrainte de maintenir un niveau d’exportation assez élevé, eu égard à ses engagements internationaux et aux besoins de financement de l’économie nationale. «  Produisons ce dont nous avons besoin (1,2  à 1,3 million de barils/jour de pétrole et 60 milliards  de mètres cubes/an d’exportations de  gaz  par exemple). Il s’agit de préserver les réserves pour la satisfaction des besoins à long terme du pays  au profit des générations futures  d’autant que   leur valeur dans 20 ans-30 ans  serait  bien plus importante, souligne un spécialiste de l’énergie.

Le renouvelable juste pour « préserver » l’énergie fossile ?

Ali Hached, actuellement Conseiller Principal au Ministère de l’énergie et des mines, l’un des animateurs de la  rencontre,  appuie la  politique actuelle de développement des énergies renouvelables.  « C’est autant  de quantités de ressources fossiles qui peuvent être  préservés  et qui sont susceptibles  d’être orientés vers   la satisfaction des besoins domestiques ainsi qu’à l’exportation » .

Quant aux perspectives, Claude Mandil, l’ancien Directeur Général de l’Agence internationale de l’énergie ( AIE), principal animateur du forum,  a souligné qu’il n’ aura  pas de pénurie de pétrole  dans le monde au cours des prochaines décennies. Mais le  risque pèse que la demande sur le pétrole  brut   s’affaiblisse  en 2030-2040  au profit du gaz naturel, des énergies renouvelables, du nucléaire ou du charbon. Il prédit un âge d’or du  gaz naturel dans le monde à condition que ses prix soient compétitifs.