L’Algérie et le droit de préemption dans le cas de Djezzy

L’Algérie et le droit de préemption dans le cas de Djezzy

Cette présente analyse pour Le Quotidien d’Oran se propose d’aborder la problématique du droit de préemption du gouvernement algérien dans le cas de Djezzy, celui des télécommunications qui d’ailleurs , comme dans tous les pays du monde, est un secteur stratégique déterminant la sécurité nationale.

QUEL EST LE JUSTE PRIX DE DJEZZY : DES EVALUATIONS CONTRADICTOIRES

Selon son site 2009, présent au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique, Orascom Telecom Holding (O.T.H.) est un leader dans le domaine de la téléphonie et des nouvelles technologies. Implanté en Algérie, en Egypte, en Tunisie, au Pakistan, au Bengladesh, en Irak et, au Zimbabwe, comptant 50 millions d’abonnés dans le monde.

Par décret exécutif du n° 02-219 du 31 juillet 2001, l’Etat algérien a approuvé l’octroi d’une licence d’établissement et d’exploitation d’un réseau public de télécommunications cellulaire de norme GSM à la société Orascom Telecom Holding SAE agissant au nom et pour le compte de la société Orascom Telecom Algérie pour 737 millions USD.

Suite à l’appel d’offre lancé en date du 27 décembre 2003 par l’Autorité de Régulation de la Poste et des Télécommunications, Orascom Telecom Algérie a remporté également une licence VSAT en Algérie pour la somme de 2.050.000$ délivrée par le décret exécutif n° 04-107 du 13 avril 2004 portant approbation de licence d’établissement et d’exploitation d’un réseau public de télécommunications par satellite de type VSAT et de fourniture de services de télécommunications au public en précisant que l’opérateur Wataniya a remporté la troisième licence de téléphonie mobile la même année , en janvier 2004 pour 421 millions de dollars, Nedjma, marque commerciale de WTA, qui a débuté son exploitation commerciale le 25 août 2004.

Orascom Télécom Algérie a pris des parts de marché croissants ce qui est logique pour toute entreprise privée, appartenant à l’Etat régulateur de jouer son rôle à travers des mécanismes transparents. Ainsi, l’opérateur privé de téléphonie mobile Djezzy a réalisé un chiffre d’affaires de 1,86 milliard de dollars en 2009 soit une baisse de 8,5% par rapport à 2008 (2,04 milliards) selon son bilan financier annuel publié, officiellement sur son site.

Toujours selon son bilan officiel que les bénéfices se sont élevés à 580 millions de dollars en 2008. L’Ebitda (revenus avant intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisations) a enregistré une baisse de 17,3% passant à 1,06 milliard de dollars en 2009.

La marge d’Ebitda est évaluée à 57,1% en 2009 contre 63,2% en 2008. Cette baisse s’explique essentiellement, selon OTA par la hausse des investissements de l’opérateur privé Djezzy, en 2009. Les investissements de Djezzy auraient augmenté, selon la même source, de 56%.

Selon toujours son site , Djezzy aurait 14,8 millions d’abonnés et 59% du marché algérien à la fin d’une année 2009 (perte d’environ entre 100.000 et 200.000 abonnés) et les responsables du groupe Orascom Telecom Holding estiment que « les événements qui ont entouré le match Egypte-Algérie en novembre dernier au Caire ont eu un impact négatif de 55 millions de dollars sur les revenus de Djezzy au quatrième trimestre 2009, un chiffre auquel s’ajoutent 41 millions de dollars de destructions de matériels toujours selon Orascom.

Sans compter les problèmes fiscaux, où le 11 avril 2010, OTA a dû s’acquitter d’un redressement fiscal de 113 millions d’US$, première tranche d’un redressement qui s’élèverait à près de 600 millions d’US$.

Comme il ya lieu de signaler qu’en cas de cession se pose le problème de l’application des dispositions de la loi de finances complémentaire 2009 qui stipule un taux d’imposition à 20% du taux de l’IRG applicable aux plus values de cession de la partie étrangère (article 47 Loi de finances 2009). C’est dans ce cadre mouvementé qu’il est utile de rappeler que plusieurs rumeurs couraient depuis plus d’une année, bien avant le match Algérie Egypte concernant la vente d’Algérie Djezzy filiale d’Orascom Telecom Holding (OTH).

Cela a concerné d’ abord Videndi SA en partenariat avec Cevital le partenaire français ayant démenti l’information. La presse financière s’est fait également l’écho de cession à Sonatrach en espérant que cela ne sera pas le cas, Sonatrach société stratégique, ses ressources financières étant la propriété de la Nation, devant revenir à ses métiers de base et éviter à la fois les interférences avec d’autres départements ministériels et la dispersion afin d’améliorer son management stratégique. Et que le PDG d’Orascom Naguib Sawaris, a déclaré le 06 mars 2010 au Journal émirati, The National, qu’il envisageait de céder une partie de son capital ou la possibilité d’une fusion avec l’Emirati Itasal.

Et fin mars 2010, rapporté par le Financial Times, avec l’opérateur sud-africain MTN, qui disposerait de 116 millions de clients, mais étant présent surtout en Afrique du Sud, au Nigeria et en Iran.

Dans un flash répercuté par bon nombre d’agences de presse internationales le 02 juin 2010, la direction d’ Orascom estime que la firme sud-africaine MTN lui a offert 7,8 milliards de dollars pour racheter « Djezzy ». Mais dernier rebondissement, la Deutsche Bank le 9 août 2010 valorise Djezzy à 3,6 milliards de dollars contre un cours actuel à la Bourse du Caire, de 2,6 milliards de dollars.

L’ETAT ALGERIEN ET LE DROIT DE PREEMPTION

Ces différentes déclarations ont fait réagir le gouvernement algérien qui entend faire prévaloir le droit de préemption et que « toute transaction qui ne respecte pas les dispositions légales ne sera pas avalisée par les pouvoirs publics et sera déclarée nulle et sans effet » invoquant l’article 62 de la loi de finances complémentaire de 2009 qui stipule que « l’Etat ainsi que les entreprises publiques économiques disposent d’un droit de préemption sur toutes les cessions de participations des actionnaires étrangers ou au profit d’actionnaires étrangers ».

De même afin de mettre en conformité les sociétés qui échappent à la condition de détention du capital et /ou de cessions d’actions ou de parts sociales , les dispositions de l’avant-projet de la loi de finances complémentaire 2010, sous réserves qu’elles soient adoptées par le parlement , stipulent pour augmenter leur capital ou modifier leur actionnariat, les entreprises étrangères détenues à plus de 51% par des étrangers devront accueillir un ou plusieurs actionnaires locaux à hauteur de 51 % du capital.

Donnant une rente de situation aux sociétés installées avant cette loi, ces dispositions ne s’appliqueront pas dans le cas de la modification du capital social (augmentation ou diminution) qui n’entraîne pas un changement de l’actionnariat et de la répartition du capital entre les actionnaires ; la suppression d’une activité ou le rajout d’une activité connexe ; la modification de l’activité suite à la modification de la nomenclature des activités ; la désignation du gérant ou des dirigeants de la société et le changement de l’adresse du siège social.

Pour le cas particulier de la loi sur les postes et les télécommunications, cette dernière ne permet pas la vente d’une licence de téléphonie mobile sans l’aval de l’autorité de régulation.

Il est utile de rappeler que le droit de préemption est défini comme un droit légal ou contractuel accordé à certaines personnes privées ou publiques d’acquérir un bien en priorité à tout autre personne lorsque le propriétaire manifeste la volonté de le vendre. Si ce droit est appliqué pour la cession d’entreprises dans bon nombre de pays pour des raisons qu’ils jugent stratégiques, le grand problème est que cela doit figurer dans le contrat initial (il n’y a pas de rétroactivité dans le droit international) et de s’entendre sur la totalité ou une fraction de la vente et sur le prix de cession.

Or cela pose problème lorsque cette société est cotée en bourse et qu’elle cède non pas la totalité mais des ventes d’actions partiellement, pratique quotidienne au niveau des bourses mondiales où s’échangent chaque jour des centaines de milliards de dollars (fusion et cession des grandes compagnies), qui est d’ailleurs le principe fondamental du fonctionnement de l’économie mondiale – Cela posera d’ailleurs le même problème pour les autres secteurs où Orascom a investi en cas de cession et comment ne pas rappeler l’histoire de l’entrée du groupe français Lafarge dans les cimenteries algériennes ayant racheté les parts d’Orascom , cette dernière ayant réalisé une importante plus value mais dont la responsabilité entière du préjudice financier subi par l’Algérie relève du ministère de la Promotion de l’investissement qui a mal négocié et non Orascom et Lafarge qui n’ont fait qu’appliquer la pratique commerciale légale en droit des affaires.

Tout en reconnaissant selon les juristes que j’ai consultés qu’à la différence des entreprises commerciales, en droit des télécommunications, la licence octroyée encadre l’activité de l’opérateur qui en a bénéficié et définit ses droits et obligations et est attribuée pour une durée limitée, étant assortie de conditions spécifiques.

Tout au plus, l’Algérie peut donc faire prévaloir les clauses contenues dans le cahier des charges où l’autorité de régulation doit être averti avant toute transaction en application l’article 19 du décret exécutif n°01-124 du 9 mai 2001 que tout projet de cession par le titulaire de la licence des droits découlant de la licence doit faire l’objet d’une demande auprès de l’Autorité de régulation, de l’article 3 du décret 01-219 qui régit le marché du GSM qui note que la licence acquise dans ce cadre « est personnelle et ne peut être cédée ou transférée que dans le cadre et conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur et aux conditions fixées dans le cahier des charges et de l’article 40 qui stipule expressément que toute modification affectant la participation directe ou indirecte dans le capital social doit faire l’objet d’une notification préalable à l’ARPT.

Cette dernière doit également être informée de toute modification affectant directement plus de 10% de la répartition de l’actionnariat du titulaire et non invoquer la loi de finances 2009 puisque les clauses contenues en 2002 ne prévoyaient pas de droit de préemption comme dans le cas des cimenteries cédées à Lafarge, Il faudrait donc connaître en détail le cahier des charges pour se prononcer scientifiquement.

Mais le cadre d’une économie mondialisée, la pratique des affaires montre clairement que le juridisme étroit et les lois protectionnistes ne résistent pas toujours devant les juridictions internationales.

L’ALGERIE FACE AUX PRATIQUES COMMERCIALES INTERNATIONALES

C’est que l’Algérie semble avoir du chemin à faire pour pénétrer dans les arcanes de cette nouvelle économie. Dans la pratique des affaires tant locales et surtout internationales et les différentes réévaluations des projets dans tous les secteurs avec les partenaires étrangers montrent clairement.

qu’il ne suffit pas de signer un contrat sans maturation ( mentalité de nos bureaucrates mus par l’unique dépense monétaire ) mais de bien suivre son cheminement, impliquant un management stratégique tant central que local de hauts niveaux supposant une moralité sans faille des négociateurs. La confiance étant fondamentale, dans la conjoncture actuelle , il serait souhaitable pour l’image de l’Algérie où certains organismes internationaux et observateurs nationaux voient dans l’actuelle politique économique un retour au volontarisme étatique des années 1970, suicidaire d’ailleurs pour l’Algérie, le manque de cohérence et de visibilité et un frein à la réforme globale alors que l’adaptation à l’amère mondialisation est une exigence de l’heure (pour preuve, la compagnie française d’assurance spécialisée dans l’assurance-crédit à l’exportation (Coface), ayant mis sous surveillance négative de la note B, environnement des affaires de l’Algérie début fin juillet 2010) , et que ce dossier qui est suivi avec attention tant par les opérateurs internationaux installés en Algérie et que ceux désireux d’investir, qu’ une entente se fasse entre l’opérateur égyptien, en cas bien entendu où il y aurait cession et l’Etat algérien sur un prix raisonnable.

Il s’agit, comme j’ai eu à le souligner dans mes interviews récents tant à Radio Algérie Internationale le 10 mars 2010, à la télévision internationale Al Djazeera sur ce sujet le 01 mai 2010, et début juin 2010 à l’hebdomadaire parisien Jeune Afrique, d’éviter des litiges inutiles au niveau des tribunaux internationaux. Ces litiges terniraient l’image de l’Algérie, en évitant surtout les erreurs passées de liquidation des actifs de Khalifa alors qu’ils auraient pu être redynamisés pour revenir à un monopole source de gaspillage et de surcout.

Mais également qui ne serait pas profitable à Orascom, avec la dépréciation à la longue de l’actif, la valeur de Djezzy dépendant fondamentalement du nombre d’abonnés algériens, en cas de retrait des puces, cette valeur tendant vers zéro ce que l’on appelle la part de marché (goodwill) qui détermine une part de la valeur de l’action. Cependant, il faut éviter le retour à la monopolisation dans le cadre des télécommunications au profit exclusif de Algérie Télécom.

Contrairement à certains discours chauvinistes, la politique du déficit budgétaire des Etats du monde à la lumière de la crise mondiale actuelle, montrant d’ailleurs les limites des endettements des Etats, ne signifie pas le retour au tout Etat gestionnaire, mais faire jouer un rôle stratégique à l’Etat régulateur afin d’éviter les effets pervers du marché , la suprématie de la sphère financière sur la sphère réelle, concilier les coûts sociaux et les coûts privés et la dynamique économique et la dynamique sociale mais dans le cadre mondial du fait des interdépendances accrues des économies.

La réussite des pays émergents tenant compte des spécificités historiques, doit être méditée par l’Algérie.