En un demi-siècle d’indépendance, pas moins de quatre lois fondamentales ont été promulguées. Au coeur d’enjeux politiques majeurs, elles ont toujours été le principal levier dans le règlement des crises institutionnelles.
Le président Abdelaziz Bouteflika s’est engagé à réviser la Constitution dans le courant de 2012. Deux versions seraient actuellement en phase de préparation qui diffèrent sur la définition de la nature du régime politique : présidentiel ou semi-présidentiel. Dans le premier cas, le chef de l’État dispose de plus larges prérogatives, tout en étant secondé par un vice-président. La seconde mouture renforce le rôle du chef du gouvernement, qui devra nécessairement être issu de la majorité parlementaire, un mécanisme qui n’existe pas actuellement puisque la désignation du Premier ministre et de son équipe est du ressort exclusif du président.
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Pour l’heure, le processus d’adoption de la nouvelle loi fondamentale n’a même pas été arrêté. Mais une chose est sûre : l’Assemblée populaire nationale (APN) issue des législatives du 10 mai ne fera qu’entériner un texte élaboré en « haut lieu ». Cette APN n’aura donc rien d’une constituante, contrairement aux récentes déclarations officielles. « Force est d’admettre qu’en Algérie la Constitution a toujours été un acte formel relevant de l’octroi plutôt qu’un ensemble de règles consensuelles régissant effectivement la vie politique nationale sur le long terme », observe Mohamed Hennad, politologue et professeur de sciences politiques à l’université d’Alger.
Pas d’élection « ouverte et disputée »
Juin 1962, le congrès de Tripoli remet les pouvoirs entre les mains d’un Front de libération nationale (FLN) déstructuré. Le principe d’une Assemblée nationale constituante est également adopté. Les 196 candidats sont tous désignés par le FLN, passé sous le contrôle d’Ahmed Ben Bella. Fort du soutien de l’état-major de l’armée, ce dernier écarte l’idée d’une élection « ouverte et disputée ». Déjà à la tête du parti et de l’exécutif, il veut avoir un droit de regard sur l’élaboration de la Constitution. Le 31 juillet 1963, Ben Bella réunit 300 délégués du FLN au cinéma Majestic pour faire adopter la première Constitution de l’État algérien. Le texte est ensuite soumis à l’Assemblée, qui ne peut que l’entériner. « Les parlementaires ne jouissaient pas de la légitimité populaire puisqu’ils avaient été désignés par le FLN, dont la légitimité était elle-même contestable car il ne disposait toujours pas de structures élues démocratiquement », rappelle la professeure Fatiha Benabbou, constitutionnaliste et enseignante à la faculté de droit d’Alger.
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Mais la stratégie de Ben Bella pour prendre le pouvoir a fini par se retourner contre lui. Le 19 juin 1965, il est renversé par le colonel Houari Boumédiène, alors ministre de la Défense. Lequel décide d’annuler la Constitution de 1963. La sentence tombe le 10 juillet au détour d’une phrase dans l’ordonnance du Conseil de la révolution portant formation du gouvernement.
Un manque de légitimité
L’Algérie entre alors dans une phase « aconstitutionnelle ». « Le président Boumédiène avait sa propre conception de la pratique politique. Pour lui, il était nécessaire d’aller vers une réelle représentativité populaire », souligne Fatiha Benabbou. Le colonel putschiste réussit à faire nationaliser les hydrocarbures et à lancer trois révolutions : culturelle, agraire et industrielle. « La politique menée par Boumédiène avait permis d’instaurer une certaine stabilité. Mais il était conscient qu’il ne jouissait d’aucune légitimité. Il savait que ce n’était qu’à travers des institutions républicaines qu’il pouvait accéder à cette légitimité », explique la professeure.
Avant de rétablir l’ordre constitutionnel, Boumédiène lance une initiative aussi inédite qu’intéressante : la Charte nationale. Durant le mois de mai 1976, tous les citoyens sont appelés à débattre librement de l’état de la société et à faire part de leurs attentes. Le texte est adopté par voie référendaire au mois de juin. Mais il est loin de faire l’unanimité, car les questions d’ordre identitaire ont été écartées. Cette charte servira de base à la Constitution du 22 novembre 1976. Boumédiène accède à la magistrature suprême le 10 décembre, au terme d’une élection présidentielle où il était l’unique candidat, mais il n’achèvera pas son mandat, emporté par la maladie le 27 décembre 1978. Aux termes de la loi fondamentale, son successeur est désigné par le FLN. L’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP) parvient cependant à imposer son propre candidat, le doyen des officiers supérieurs : Chadli Bendjedid. Quelques mois seulement après sa prise de fonctions, celui-ci entreprend deux révisions constitutionnelles. La première pour mettre en place les procédures de désignation du chef de l’État en cas d’empêchement. La seconde pour porter création de la Cour des comptes. Cette fois, la Constitution ne sert plus à prendre ou à conserver le pouvoir, mais à sanctionner certains hauts responsables. Abdelaziz Bouteflika en fera les frais. Ministre des Affaires étrangères sous Boumédiène, il est jugé pour « gestion occulte de deniers publics ».
Un État bicéphale
Durant ses deux premiers mandats, Bendjedid opère un changement de cap sur le plan économique. Mais, conjuguées à la chute brutale du prix du pétrole, les réformes provoquent une forte déstabilisation sociale. Des émeutes éclatent en octobre 1988. Sous la pression de la rue, Bendjedid fait réviser, le 3 novembre, la Constitution de 1976 afin de réduire le rôle du FLN et de l’armée. Mais la véritable révolution intervient le 23 février 1989, quand l’Algérie entre dans l’ère du multipartisme après l’adoption de sa troisième Constitution. Le courant islamiste s’engouffre dans la brèche et crée le Front islamique du salut (FIS). Il remporte les élections locales de juin 1990, puis le premier tour des législatives de décembre 1991. L’armée décide alors d’interrompre le processus électoral.
Démissionnaire, Bendjedid est remplacé par une présidence collégiale : le Haut Comité d’État. L’Algérie entre dans une nouvelle ère « aconstitutionnelle ». Ciblé par le terrorisme islamiste, le pays sombre dans la violence. L’armée confie au général Liamine Zéroual la mission de rétablir l’ordre constitutionnel. Élu président en novembre 1995, il fait élaborer, une année plus tard, une autre Constitution. Une nouvelle institution voit ainsi le jour : le Conseil de la Nation, l’équivalent du Sénat. Avec son « tiers bloquant » désigné par le chef de l’État, la Seconde Chambre doit faire barrage à toute initiative politique des partis islamistes. L’Algérie renoue avec l’ordre constitutionnel. Estimant avoir accompli sa mission, Zéroual quitte la présidence de la République en avril 1999.
Dès son arrivée au palais d’El-Mouradia, Abdelaziz Bouteflika affiche son intention de modifier la loi fondamentale. Il n’apprécie guère le bicéphalisme au sein de l’exécutif, qui oblige le président à partager le pouvoir avec son chef du gouvernement. En novembre 2008, il charge le Parlement d’adopter de nouvelles mesures constitutionnelles pour renforcer ses prérogatives. Une révision qui aura surtout permis de faire sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels. Aujourd’hui, l’enjeu est tout autre : les amendements qui seront introduits lors de la prochaine révision devraient assurer à Abdelaziz Bouteflika le contrôle du processus de succession.