Ali Benouari : «L’Algérie est une bombe à retardement»

Ali Benouari : «L’Algérie est une bombe à retardement»

Ali Benouari met en garde les Européens sur le risque d’effondrement du système algérien après le départ d’Abdelaziz Bouteflika.

Installé en Suisse depuis plusieurs années, Ali Benouari suit avec inquiétude l’évolution de la situation politique en Algérie. En 2014, l’ancien ministre des Finances du gouvernement Ghozali est retourné en Algérie et a essayé de se présenter à l’élection présidentielle. Le pouvoir a tout fait pour entraver ce retour au prétexte que l’intéressé n’aurait pas recueilli les 60 000 signatures de parrainage. Visiblement, il en faut plus pour arrêter Ali Benouari, qui tire aujourd’hui la sonnette d’alarme en prédisant une faillite financière de son pays d’ici à la fin du mandat du président Abdelaziz Bouteflika.

Pourquoi montez-vous au créneau ces derniers temps pour dénoncer avec autant de véhémence la faillite du système algérien?

Parce que l’Algérie est rongée de l’intérieur et que personne ne prend vraiment la mesure de ce qui est en train de se passer. Tout le système risque de s’effondrer. Abdelaziz Bouteflika a mené le pays dans une impasse en refusant d’engager des réformes. Le système de gouvernance est à bout de souffle. En figeant les choses, il a détruit le rêve d’une union des peuples nord-africains et compromis la stabilité et l’avenir de la région.

Vous ne noircissez pas trop le tableau? Il y a tout de même l’argent du pétrole même si les cours sont au plus bas pour le moment…

Non. Le pays ne produit presque rien. Il survit grâce aux importations. Le déficit de sa balance des paiements atteindra des sommets en 2019, de même que le chômage et l’inflation. Quant à l’argent du pétrole, il a été gaspillé, pillé. Les besoins sociaux de près de 45 millions d’habitants, dont 5 millions de plus au cours de l’actuel mandat, ne pourront bientôt plus être couverts. La manne pétrolière aurait pu servir à remettre le pays sur les rails grâce à des réformes hardies. Mais cela n’a pas été le cas.

Que va-t-il se passer selon vous?

Le déficit budgétaire, qui dépasse déjà 12% du PIB, restera important et ne pourra plus être financé, dès l’année prochaine. S’il n’est pas résorbé d’une manière ou d’une autre, il ne sera plus possible de payer les fonctionnaires, d’assurer les services publics et de maintenir les subventions aux catégories sociales les plus vulnérables. La loi de Finances 2016 a sonné le début de l’austérité. Les troubles sociaux ont déjà commencé. Les grèves et émeutes ne pourront plus être calmées comme autrefois par des hausses des salaires parce qu’il n’est plus possible de compter sur l’augmentation de la rente pétrolière. Ce modèle tire à sa fin. Si on continue sur cette lancée, l’Algérie court à la faillite et les effets s’en ressentiront bien au-delà des frontières du pays.

Pourquoi êtes-vous aussi remonté contre les dirigeants européens et français notamment?

La France doit arrêter de soutenir une dictature qui n’a rien à envier à celles de Ben Ali, de Moubarak ou de Kadhafi. Elle doit aussi cesser de fermer les yeux sur les fortunes colossales soustraites au peuple algérien et qui sont investies en France. Le défilé des politiciens français qui viennent chercher des soutiens à Alger avant chaque campagne est aussi indécent qu’insupportable. La France et l’Europe doivent changer leur attitude et prendre conscience de ce qui est en train de se jouer. L’Algérie est une bombe à retardement. Et pas seulement pour elle-même. Ce pays est le plus grand pays d’Afrique. Il jouit de plus d’une position géographique très particulière, face à l’Europe de l’Ouest avec laquelle il entretient des liens denses et multiformes, mais aussi du fait de ses frontières. Si le pays bascule dans le chaos, la crise syrienne fera figure de fait divers.