Organisé par la commission défense, de l’Assemblée populaire nationale (APN), le séminaire sur la lutte contre les diverses formes de crime organisé transfrontalier, dont les travaux ont été ouverts hier à Alger, a eu au moins le mérite de mettre la lumière sur le phénomène de l’émigration et l’immigration clandestines en Algérie.
Les communications des représentants de la Gendarmerie nationale et de la police se rejoignent et se complètent pour lever le voile sur un fléau qui touche près de 48 nationalités africaines, mais également et depuis quelques années seulement asiatiques, avec l’arrivée d’Afghans, de Pakistanais, d’Indous et de Chinois.
Ils bravent les dangers d’un voyage de milliers de kilomètres à travers le désert pour regagner l’Algérie. Certains n’atteindront même pas leur destination, comme ces 25 Africains dont les corps déshydratés ont été découverts par les gendarmes à Reggane, dans un véhicule de type Toyota.
Pour le colonel Abdeslam Zeghida, chef du département de la police judiciaire au niveau de la Gendarmerie nationale, c’est la position géostratégique de l’Algérie au nord de l’Afrique au regard de partage des frontières terrestres avec 7 pays et sa proximité du sud de l’Europe, qui « favorise l’émergence et le développement de l’émigration par mer des nationaux et des immigrants en provenance des pays d’Afrique ».
L’officier indique que le phénomène harraga a connu une forte progression depuis 2005, du fait de la courte distance qui sépare les villes côtières de l’Espagne (100 à 180 km entre la wilaya de Aïn Témouchent et Almeria) et de l’Italie (230 km entre la wilaya de Annaba, 217 entre El Taref et la Sardaigne).
Cette progression a connu une baisse en 2007, puisque, selon le colonel, le nombre de personnes arrêtées en 2006 est passé de 1071 à 320 en 2007, et de 100 en 2008 à 8 en 2009. Il précise que la majorité des candidats harraga a tenté de partir en Europe, dans la légalité, avant de risquer leur vie, puisque 62 % d’entre eux ont affirmé avoir formulé des demandes de visa rejetées par les chancelleries.
Ce que le commissaire de police Bencherif Mahdi confirme en déclarant que ce sont les restrictions sur les visas qui poussent les jeunes à risquer leur vie. Les services de la gendarmerie n’ont pas encore identifié de réseaux de passeurs organisés de harraga.
Pour le colonel Abdeslam Zeghida, il s’agit plutôt de petits groupes de 8 à 10 personnes, dont l’âge varie entre 19 et 40 ans, qui cotisent pour acheter une embarcation, s’approvisionner en carburant, se doter en équipements de navigation, tels que le GPS et les boussoles, et quitter le pays durant la nuit.
Évolution du phénomène migratoire
Par contre, ce qui inquiète aussi bien la police que la gendarmerie c’est cette « évolution du phénomène migratoire de ressortissants étrangers et sa connexion avérée avec les autres formes d’activités criminelles organisées (escroquerie, trafic de drogue, particulièrement celles dures, réseaux de faux documents, mise en circulation de fausses monnaies, ainsi que la prostitution) constitue une réelle menace pour l’ordre et la sécurité publics (…) ».
Le colonel Zeghida estime que « l’analyse de la situation fait ressortir que la menace de ce phénomène de la migration sur l’Algérie va à l’avenir s’accentuer davantage au regard de la transformation progressive du pays en un lieu de fixation pour les immigrants irréguliers en raison de la crise financière et économique mondiale qui a généré une crise dans l’emploi en Europe ».
L’officier relève une hausse considérable de ce trafic, en l’espace de 5 ans, en affirmant que 900 migrants illégaux ont été interpellés en 1995 et 8000 en 2000. « Depuis cette date, l’Algérie se transforme de plus en plus en un pays de fixation des immigrants illégaux en raison de la fermeture des frontières européennes, de l’embellie économique du pays et de la crise économique en Europe.
Des milliers d’étrangers en situation irrégulière se sont installés définitivement dans notre pays », note le colonel. Une analyse qui rejoint celle du commissaire Boumahdi. Selon lui, les services de police enregistrent une hausse de plus en plus importante en matière d’arrestations des étrangers en situation irrégulière.
Ainsi, en 2005, la police a arrêté 335 émigrés clandestins, dont le nombre est passé à 1636 en 2006, 1858 en 2007, et 2215 en 2008. Il ajoute que durant les 3 dernières années, 29 463 étrangers ont fait l’objet de mesures restrictives.
Pour l’officier de police, ce phénomène a pris de l’ampleur parce que pris en charge par des réseaux spécialisés de passeurs. Une situation qui a poussé la Sûreté nationale à mettre en place un nouveau dispositif à travers la création d’un service central de lutte contre le trafic des migrants, ayant pour but de combattre les filières de passeurs, et celle de 11 brigades régionales d’investigation sur l’immigration et l’émigration clandestine (Bric).
Le premier bilan de cette structure à Illizi par exemple fait état d’un démantèlement d’un réseau de passeurs important en 2007. Il s’agit de l’arrestation de 1393 personnes liées à l’émigration clandestine, dont 1360 étrangers et 33 Algériens.
Parmi ces derniers figurent 30 transporteurs, 4 guides, 2 logeurs, 2 faussaires de monnaies et de papiers, 6 contrebandiers et une bande criminelle transnationale. Au cour de ces opérations, les policiers ont saisi 46 véhicules type 4×4, 6035 litres de gasoil, 3 téléphones satellitaires Thuraya, 146 boîtes de médicaments, 93 montres, 157 650 DA et 1 908 000 CFA, et un lot de pièces détachées.
En 2008, la Bric de Tlemcen a mené une autre opération similaire qui a permis l’interpellation de 458 personnes liées à l’émigration clandestine, dont 360 étrangers et 98 Algériens. Parmi eux, 4 employeurs, 2 organisateurs, 1 transporteur, 1 guide et 1 logeur.
La police a saisi un véhicule, 13 000 euros et 3160 dirhams. En conclusion, policiers et gendarmes attirent l’attention des autorités sur l’ampleur du phénomène migratoire clandestin, et son corollaire en termes de criminalité et sa dangerosité par les connexions particulières avec les organisations criminelles transnationales et qui constituent aujourd’hui une préoccupation majeure de tous les Etats qui font d’ailleurs de sa prise en charge une priorité absolue.
Pour eux, le traitement de ces fléaux doit s’opérer à travers la prise en charge de leurs causes profondes que sont « l’écart de développement, une meilleure circulation des personnes, qui ne peut que réduire la migration clandestine et par là même le rôle des filières de trafiquants d’êtres humains ; la coopération des pays du Sud dans la lutte contre ce phénomène est intimement liée aux efforts que consentiraient les pays du Nord en matière d’immigration légale et de circulation des personnes ».