L’Algérie défend « l’intégrité territoriale du Mali »

L’Algérie défend « l’intégrité territoriale du Mali »

Actuel chef du gouvernement algérien, Ahmed Ouyahia, nommé à ce poste le 24 juin 2008 par le président Abdelaziz Bouteflika, a accordé cet entretien jeudi matin 5 avril.

Vous connaissez bien le problème du Mali et des Touareg, pour avoir été un médiateur de ce dossier par le passé. Quelle est votre analyse de la situation ?

La situation est très, très préoccupante. C’est un foyer de tension important, à nos frontières, et qui a plusieurs dimensions. Il y a d’abord un problème entre les gens du Nord, les Touareg, et l’autorité centrale au Mali, lié au sous-développement et à la faiblesse d’un Etat à prendre en charge toute la problématique de son territoire. Nous sommes pour une solution qui passe par le dialogue. L’Algérie n’acceptera jamais une remise en cause de l’intégrité territoriale du Mali.

Et puis il y a l’autre volet, qui est le terrorisme. Cette mouvance déclare avoir pris les armes pour instaurer la charia et un Etat islamique au Mali -le fondement même de ce que l’Algérie a eu à subir et à combattre pendant plus d’une décennie et que nous appelons la tragédie nationale. C’est une réalité que nous condamnons.

Nous avions averti des conséquences potentiellement tragiques de tout ce qui partait comme armement de la Libye voisine, hors de tout contrôle. Ce que nous vivons à présent au Mali en est malheureusement la parfaite illustration.

Une région entière du Mali a échappé au contrôle de Bamako. Quel niveau de menace cela représente-t-il pour l’Algérie ?

C’est sans aucun doute un gros souci. D’abord, c’est notre voisinage immédiat, sur près d’un millier de kilomètres. Ensuite, je le répète, cela se double d’une dimension terroriste. Le MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad], mouvement porteur des revendications cycliques des populations touareg du Nord, s’est fait chasser des villes qu’il occupait par les forces terroristes du groupe Ansar Dine. Nous avons toujours été partisans d’une solidarité internationale contre le terrorisme, dont nous disons depuis 1994 qu’il ne connaît ni frontières ni nationalité.

Le terrorisme se combat. Notre doctrine est la suivante : 1. Traitement par l’assèchement du soutien au sein de la population. 2. Lutte implacable de l’Etat, avec toute la rigueur de sa loi et de sa force. C’est ce qui nous permet de temps en temps de mettre la main sur un groupuscule et d’abattre ceux qui n’acceptent pas de se rendre. 3.Une vigilance permanente.

Cette menace est une réalité que nous gérons chaque jour du nord au sud de notre territoire. Cela ne veut pas dire que le terrorisme est encore une démarche puissante en Algérie : il y a très peu de pays dans le monde qui ne soient pas en état de vigilance permanente.

Un attentat-suicide a tout de même été commis, le 3 mars, à Tamanrasset, contre une garnison de gendarmerie ?

Oui, cet attentat est le premier survenu dans cet espace du Sud profond. Le dispositif en place autour du site du commandement de la gendarmerie a empêché le terroriste d’y pénétrer, ce qui fait qu’il n’y a pas eu de morts, mais une quarantaine de blessés. Cela a été un choc. En même temps, l’enchaînement des événements -Tamanrasset le 3 mars, puis, un mois plus tard, la situation tragique au Mali- montre qu’il y a un lien et qu’il nous faut redoubler de vigilance au Sud.

Le président du Mali a été chassé du pouvoir par une rébellion militaire.

Qu’advient-il alors du Centre d’état-major commun antiterroriste (Cemoc) créé à Tamanrasset, en Algérie, avec le Mali, le Niger et la Mauritanie ? L’Algérie demande le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Mali. Le Cemoc est toujours actif, il se réunira dans les prochains jours à Nouakchott [en Mauritanie]. Le Mali y sera-t-il ? Je ne saurais vous le dire. Mais la présence des militaires maliens dans ce cadre est impérative. Qu’il y ait des putschistes au pouvoir ou le régime républicain, il y a une armée qui existe en tant qu’institution.

Que peuvent faire les pays occidentaux ?

Chaque fois qu’un acteur étranger joue un rôle essentiel, c’est un dérapage programmé, immédiat ou six mois plus tard : les exemples sont nombreux. Mais il faut aider le Mali à faire face à ses problèmes de développement et à renforcer son armée.

S’il y a une leçon à tirer de la situation au Mali et des menaces de propagation qu’elle fait peser, et pas seulement sur l’Algérie, c’est qu’il faut plus de rigueur dans la lutte contre le terrorisme. Il faut, en particulier, qu’un terme soit mis au paiement des rançons pour les otages. Nous l’avons tragiquement subi chez nous et nous avons tragiquement résisté, nous avons perdu des civils. C’est une poulie qui tourne et alimente les criminels.

La deuxième leçon, c’est de continuer à intensifier cette coopération internationale et sous-régionale du Cemoc pour maîtriser le terrorisme dans cet espace terriblement vaste, terriblement vide, qu’est le Sahel.

Un peu plus d’un an après le début des révoltes arabes, quelle évaluation faites-vous de ce mouvement ? Il serait très prétentieux de vouloir tirer la conclusion d’un phénomène de cette ampleur et qui ne remonte qu’à quatorze mois. Je dirais, entre guillemets, que c’est le « Mai 68 du monde arabe » -au-delà de la France, Mai 68 a affecté plusieurs pays d’Europe et même les Etats-Unis. La compréhension de ce phénomène a pris du temps. Ici, il y a aussi cet aspect.

Quant à l’Algérie, sa situation est différente : la tragédie nationale qu’ont vécue les Algériens fait qu’ils connaissent le prix de l’anarchie. Et, en matière de pluralisme, nous avons peut-être tardé, mais nous prétendons être dans le peloton de tête.

Vous pensez donc que l’Algérie sera épargnée par la vague des révolutions arabes ?

Si cette vague est synonyme de violence, celle que nos amis arabes viennent de vivre ne constitue pas le dixième de ce que nous avons subi. Ce n’est pas que nous sommes épargnés : nous avons déjà lourdement payé ! Le chiffre de 200000 morts qui a été avancé est sans doute un peu dopé. Mais le problème n’est pas tant le chiffre que le traumatisme. Maintenant que ce drame est derrière nous, sans aller jusqu’à utiliser l’expression de guerre civile, nous nous sommes quand même battus avec nous-mêmes. C’est Mohammed qui tuait Mohammed. Et dans notre politique de réconciliation, il a fallu entraîner les familles des victimes, auxquelles il faut rendre hommage pour leur hauteur de vues.

Mais si l’on parle de contestation populaire ?

Je vous renvoie à 1988, et même à janvier 1991 : le pays a déjà connu une vague d’agitation.

L’Algérie va-t-elle continuer à abriter les enfants du colonel Kadhafi ?

Ils seront là tout le temps qu’ils le souhaitent et je suis heureux de vous dire que nos voisins libyens ont fini par comprendre. Car il n’est pas concevable dans nos traditions que la famille de votre voisin, fuyant un désastre, vienne dans votre maison et que vous la mettiez dehors. Ils sont chez nous en tant que citoyens libyens, étant entendu qu’ils ne se livrent à aucune hostilité ni subversion. Et c’est un contrat que nous arrivons à faire respecter.

Sylvie Kauffmann et Isabelle Mandraud (Alger, envoyées spéciales)