L’exécution de Tahar Touati, vice-consul algérien à Gao, remet à l’ordre du jour des questions cruciales. Dans les analyses et discussions sur l’actualité sécuritaire, les opinions sont nombreuses et diversifiées, mais elles se rejoignent sur un point : elles évitent d’interroger le fond de « la position algérienne ».
La position officielle actuelle sur le Sahel de l’Algérie jette le trouble
En situation crisogène, des lobbies et des puissances tentent de réaliser leurs intérêts propres – pas toujours avouables. Depuis la crise libyenne, il pourrait être question pour les Américains de concrétiser leur projet d’implanter leurs forces sur le continent. Pour la France, à travers l’activisme fébrile de Hassane Ouatara et de la Cédéao, la question pourrait être de regagner une prédominance néocoloniale largement mise à mal par la fulgurante percée des intérêts sino-étasunienne dans la région. Pour d’autres, qui seraient la monarchie marocaine, la situation peut offrir l’occasion d’engager activement une diversion à la résolution de la question sahraoui. Sans oublier ces forces qui déversent leurs pétrodollars sur la région afin d’y assoir des théocraties vassales des monarchies d’Asie du sud-ouest.
Les richesses du sous-continent africain attisent les convoitises, et les appétits. Et, les jeux de puissances et de dominations impériales, ne sont ni des révélations ni des nouveautés. Ce sont des éléments constitutifs des jeux complexes qui structurent les relations internationales.
L’intelligence algérienne se doit non seulement de détecter ces jeux, d’en maitriser les ressors ; mais aussi et surtout de s’atteler à les déjouer. Elle doit leur opposer des politiques construites sur la base d’un véritable concept de sécurité nationale, et régionale. L’improvisation dans ce domaine plonge le pays dans des postures frileuses, attentistes, ou pire défaitistes. L’Algérie, dont la vocation est d’être au centre du dépassement positif des crises qui frappe la région, dispose du potentiel nécessaire à ce rôle. Mais elle s’en détourne !
Sa position dans la crise libyenne a favorisé l’intervention étrangère la plus défavorable pour la Libye, l’Algérie et la région. L’Algérie aurait pu aider au départ de Mouammar Kadhafi, tout en pesant pour que cela soit un renforcement de l’unité des Libyens et de leur souveraineté. La stabilité de nos Etats voisins est un élément de notre propre sécurité. Dans la crise malienne, l’Algérie ne fait pas mieux ! La prise d’otages de Gao fait douter de la pertinence de la connaissance factuelle qu’avait Alger de la situation dans le Nord-Mali. On comprend, dès lors, la position de retrait qui est la sienne depuis l’affaissement des forces maliennes dans l’Azawad. L’Algérie peut non seulement prétendre à un rôle opérationnel dans la zone de crise, mais elle peut, sauf à accepter que celui-ci lui soit défavorable, déterminer le concept de l’intervention à mener.
Quel impact auraient trois mille hommes lancés à l’assaut de Gao, Tombouctou et Kidal, où des dizaines de milliers de civils sont retenus en otages ? De l’essence jetée sur le feu. Un feu qui prend à nos pieds. La pseudo « intervention militaire » prônée par la Cédeao est une ineptie. Elle provoquera non seulement un véritable holocauste, mais elle consolidera durablement l’incrustation des greffons islamistes dans la région.
Dans le traitement de la crise sécuritaire dans l’Azawad, l’enjeu principal reste l’isolement des groupes djihadistes. Ce qui suppose le renforcement du MNLA, la force nationale azawadienne, et l’affaiblissement des positions djihadistes en soustrayant à leurs contrôles le maximum de civils. Les contours de l’intervention dans l’Azawad doivent donc être plus politiques et humanitaires que militaires. Et, même, dans les aspects militaires, elle devrait plus tendre vers la maîtrise des espaces que vers la conquête des positions. Si les villes que tiennent les islamistes sont vidées de leurs populations, et si elles sont coupées de toutes zones de repli, ne seront-elles pas de véritables tombeaux pour les islamistes ?
La position algérienne, tout en restant fidèle au droit fondamental des peuples à disposer d’eux mêmes, doit poursuivre la préservation de notre sécurité nationale, élément essentiel de la stabilité régionale. Elle doit être résolue et offensive. C’est là l’enjeu !
Oui derrière chaque protagoniste se lovent des forces et des intérêts, plus ou moins belliqueux. Cela n’est ni nouveau, ni extraordinaire ! Ce qui est anormal, ce sont les atermoiements de l’Algérie. Si une intervention, aussi défavorable que celle qui s’est faite en Libye, venait à se concrétiser à notre frontière sud, il nous faudrait poser de très nombreuses questions. La première, qui n’est pas la moindre, est de caractériser les fondements de notre politique de défense. Comment, au regard d’une telle intervention, expliquer l’inefficience du Cémoc dont la vocation fondatrice semble parfaitement répondre à la prise en charge de ce type de situation ? Comment expliquer que la professionnalisation de l’armée, qui reste fortement budgétivore, ne se traduise pas par le renforcement de la position régionale de l’Algérie ? Alors que les pouvoirs publics n’ont pas hésité à mettre l’armée à profit dans le cadre d’un simple match de football, leur est-il impossible d’intégrer son potentiel dans la conception du rôle régional de l’Algérie ? Si nous ne nous attelons à la stabilisation de la situation régionale, devrions nous nous étonner de voir d’autres tirer profit de son instabilité ? La question est posée…
Mohand Bakir