Le contexte politique est particulièrement délicat pour les pouvoirs publics qui sont soumis à la pression convergente de trois facteurs. Une situation internationale très grave avec la guerre en Libye. Des pressions diplomatiques, américaines en particulier, qui redoublent pour la poursuite de réformes politiques. Une contestation sociale de grande ampleur susceptible de se métamorphoser, à tout moment, en une explosion sociale qui serait en même temps politique.
Les pouvoirs publics algériens seront-ils aptes à maitriser l’inéluctable changement politique ou celui-ci s’imposera-t-il à eux ? Alors que les regards se tournent avec de plus en plus d’insistance vers le palais présidentiel d’El Mouradia à Alger, dans l’attente d’une annonce de mesures politiques, c’est la question que beaucoup se posent
L’opposition, de son côté, semble déterminée à compenser sa faiblesse politique par une capacité à surfer habilement sur ce contexte délicat pour peser sur les choix du régime.
L’échec répété des tentatives de marche dans la capitale depuis le mois de février 2011 a démontré que le rapport de force restait largement en faveur des autorités et que la population ne répondait pas aux appels au changement par la rue lancés par une partie de l’oppositio
Les « scénarii à la tunisienne ou à l’égyptienne » n’ont pas fonctionné jusqu’ici.
Une transition démocratique pacifique
Partant de ce constat, une partie de l’opposition a préféré interpeler les autorités en les pressant d’opérer une véritable rupture avec l’ordre politique actuel devenu, selon l’ancien secrétaire général du FLN, Abdelhamid Mehri, « inapte à résoudre les épineux problèmes de notre pays ».
Proche de Mouloud Hamrouche, ancien Premier ministre de Chadli Bendjedid, et de Hocine Aït Ahmed, président du Front des forces socialistes (FFS), Abdelhamid Mehri a adressé une lettre ouverte au président Abdelaziz Bouteflika pour l’inviter à accompagner un changement qui doit être une œuvre commune des dirigeants, de l’opposition et de tous les citoyens algériens.
Abdelhamid Mehri a donc plaidé pour une transition démocratique pacifique, d’ici à la célébration, en 2012, du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
Ni Etat policier, ni Etat intégriste, pour une Assemblée constituante
Allant dans le même sens, celui de la construction d’un consensus autour d’une transition démocratique pacifique, Hocine Aït Ahmed s’est adressé, dans un message en date du 22 mars 2011, au peuple algérien qu’il appelle à faire aboutir l’alternative démocratique.
Dénonçant une fois de plus les tenants de l’Etat policier, le leader du FFS n’en appelle pas moins les adeptes de l’islamisme radical à rompre avec «l’apologie de l’exclusion et de la violence». Il écrit : «Une clarification de leur part demeure indispensable pour signifier clairement un saut qualitatif dans la formulation du sacré en politique.»
Réitérant ainsi son double rejet de l’Etat intégriste et de l’Etat policier, Hocine Aït Ahmed remet au centre du débat politique le mot d’ordre historique de son parti qu’est l’Assemblée constituante. Il subordonne néanmoins l’aboutissement du processus électoral menant à «une assemblée constituante librement élue» à «une remobilisation citoyenne et politique».
Le leader du FFS assimile ce processus constituant à une nouvelle «autodétermination du peuple algérien».
La double démarche du Parti des travailleurs
A mi-chemin de cette opposition et des pouvoirs publics se situe la démarche de certaines forces d’opposition comme le Parti des travailleurs (PT).
Adepte depuis toujours du mot d’ordre d’Assemblée constituante, Louisa Hanoune, secrétaire générale du PT, explique que cette institution est «seule capable de réviser la constitution, de définir les prérogatives de chaque institution et de sortir le pays de la crise, notamment après le rétablissement de la paix».
Considérant depuis toujours que l’actuelle Assemblée populaire nationale (APN) n’est ni légitime ni crédible du fait qu’elle « relève de l’ancien système» et que son élection n’a pas été crédible, Louisa Hanoune propose en même temps la tenue d’élections législatives anticipées.
Mais quelle que soit la démarche, Assemblée constituante ou élections législatives anticipées, Louisa Hanoune considère qu’il revient au président de la République d’annoncer les réformes.
L’Alliance présidentielle en rangs dispersés
Membre de l’Alliance présidentielle, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) se démarque du gouvernement en rejetant les réformes prônées «en ce sens qu’elles n’associent pas les autres partenaires de la société».
Le parti islamiste d’Aboudjera Soltani estime que «le calme qui prévaut jusque-là n’est qu’un sursis accordé au gouvernement» qu’il invite à agir vite et dans la concertation avec tous les acteurs. Mais il n’explicite pas davantage sa démarche politique et ne se prononce pas sur les questions de l’Assemblée constituante et des élections législatives ou présidentielles anticipées.
De son côté, le Rassemblement national démocratique (RND) du Premier ministre Ahmed Ouyahia ne s’est pas encore exprimé.
Le Front de libération national considère, par la voix de son secrétaire général, qu’«il est temps de poursuivre les réformes politiques… en tenant compte des points de vue des citoyens et de tous les acteurs de la scène nationale».
Abdelaziz Belkhadem s’oppose toutefois au mot d’ordre d’Assemblée constituante qui «constitue un déni de tous les acquis réalisés par l’Algérie depuis 1962» ainsi qu’à la dissolution du Parlement et à la tenue d’élections législatives anticipées. Il garde donc le cap sur les prochaines législatives de 2012 avec «la révision des lois électorales et sur les partis politiques, ainsi que du code de l’information».
La parole à Bouteflika
La scène politique s’anime donc. En l’état actuel du rapport de forces, marqué par une opposition encore faible mais qui agite le spectre au-dessus de la tête des pouvoirs publics d’une double épée de Damoclès formée du contexte international et du chaudron social, la parole revient en définitive au président de la République.
Dans un message rendu public le 19 mars 2011, Abdelaziz Bouteflika a assuré que les réformes globales effectuées sous sa direction «ne sauront être fructueuses en l’absence de réformes politiques. Ainsi, l’édification matérielle en cours de réalisation va sans nul doute de pair avec l’édification politique qui vise la construction d’un pays fort, d’un Etat fort avec des citoyens forts. »
Quelles mesures et démarches politiques concrètes recouvrent exactement ce message ? C’est la question que se posent tous ceux qui s’intéressent au devenir de l’Algérie. En attendant la réponse du président, ils sont de plus en plus nombreux à penser que le temps lui est compté, à lui et au pays tout entier.