Une ambiance de la fin des années 1950 a régné hier dans les allées du palais des Nations, à Club des Pins. Plusieurs dizaines de personnalités venues des quatre coins du monde ont assisté à la célébration du cinquantième anniversaire de l’adoption de la résolution 1514 consacrant le droit des peuples coloniaux à l’indépendance.
L’ambiance était plus que nostalgique, puisque, en plus des nouvelles générations de dirigeants, il y avait de vieux responsables, à l’image de l’Algérien Ahmed Ben Bella, du Zambien Kenneth Kaunda ou encore de la Vietnamienne Nguyen Thi Binh. Ces trois personnalités font partie de cette génération qui a marqué l’Histoire pour avoir non seulement participé à l’épopée de la libération, mais également à l’édification de leurs Etats respectifs. Elles étaient aux premières loges lors des indépendances et avaient occupé les postes suprêmes de président de la République pour les premiers et de vice-présidente pour la troisième.
Ces historiques ont donc rejoint ceux qui ont repris le flambeau. Même si, comme l’a précisé Nguyen Thi Binh dans une intervention empreinte d’humanisme et de beaucoup de réalisme, «beaucoup de défis attendent nos pays». Les défis sont-ils à la hauteur des aspirations des peuples qui avaient lutté pour leur indépendance ? C’est la question de transmission du flambeau et de fidélité aux principes fondateurs des indépendances qui a occupé l’essentiel des interventions des personnalités mondiales à l’ouverture des travaux. Si l’Algérie, par la voix de Abdelaziz Belkhadem, représentant personnel du président de la République, a insisté sur la nécessité de poursuivre la lutte pour la libération des peuples encore sous occupation, à l’instar de la Palestine et du Sahara occidental, d’autres intervenants n’ont pas suivi la même voie. Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, a usé de la langue de bois coutumière en esquivant les questions à l’ordre du jour. Point d’évocation du Sahara occidental, disparu de son lexique, et juste un survol de la question palestinienne avec le rappel des évidences.
Ce sont là, les points saillants de l’intervention de l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Egypte. L’ancienne icône de la lutte de libération du Viêtnam, Nguyen Thi Binh, a été la seule intervenante à s’éloigner des discours euphoriques habituels. Comme tout le monde, elle est revenue sur l’importance de l’événement, l’adoption de la résolution 1514, mais a également insisté sur les déceptions nées des indépendances. «Si certains de nos pays ont atteint un niveau de développement proche de celui des pays développés, d’autres traînent encore le pas. Il faudra en chercher les raisons», a-t-elle souligné. Elle a même posé la lancinante question de démocratisation des pays nouvellement libérés. «La lutte est longue, mais l’Histoire doit aller de l’avant», a-t-elle encore suggéré avant de demander la réforme des institutions internationales. La question du Sahara occidental et de la Palestine a plané sur les travaux de la conférence. Un unanimisme a même plané sur la rencontre, notamment sur la question palestinienne.
Tous les intervenants, sans exception, ont appelé à la libération de la Palestine «dans les frontières de 1967». Ils ont également rappelé la demande pressante de faire d’El Qods la capitale de l’Etat palestinien naissant. L’unanimisme a cependant été rompu par Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe. «C’est aux Nations unies de trouver une solution au conflit», s’est-il contenté de dire aux journalistes en marge de la conférence. Les autres intervenants ont tous appelé à libérer le Sahara occidental.
«Le peuple du Sahara occidental mène une lutte exemplaire pour reconquérir ses droits», a estimé Pierre Galant, représentant des associations de la société civile européenne lors de son intervention. «L’exemplarité de la lutte des Sahraouis vient du fait que, malgré leur situation, ils ont choisi la lutte pacifique pour permettre à l’ONU de régler le problème de manière pacifique», a-t-il estimé. Son appel a été repris par d’autres responsables, à l’image de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki ou du Nigérian Olusegun Obasanjo qui préside également les travaux de la conférence.Les participants ont poursuivi leurs travaux tard dans la soirée en ateliers. Ils se consacrent essentiellement à la portée de la résolution 1514 et ses implications sur les indépendances des anciens pays coloniaux.
Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines
«Aujourd’hui, nous sommes en train de célébrer cette date symbolique. Surtout qu’après cette date, il y a eu le 15 décembre 1961 qui a reconnu définitivement le droit de l’Algérie à accéder à son indépendance.
Il est donc du droit de l’Algérie de célébrer, avec ses amis, cet anniversaire. Cette grande victoire des pays du tiers-monde, avec l’adoption de cette loi qui a ouvert la voie à leur indépendance. Donc, c’est un évènement extrêmement important. Les valeurs de la résolution 1514 sont encore d’actualité. Parce que ces valeurs vont au-delà du processus de libération. Elle s’inscrit dans la logique de la réforme des Nations unies. Elle s’inscrit dans la logique de l’indépendance économique des pays du tiers-monde. Elle s’inscrit également dans la logique de la liberté des pays de disposer de leurs ressources naturelles.»
Peter Yankovitch, ancien ministre autrichien des Affaires étrangères, membre de l’association austro-algérienne :
«L’Algérie avait un rôle de premier plan en ce qui concerne les mouvements de libération dans le monde. Et l’Autriche s’était mise au côté de ceux qui luttaient pour leur libération, ceux qui voulaient en finir avec ce qui restait comme colonialisme.
Nous avons poursuivi notre action dans ce sens. Nous avons toujours suivi les mêmes principes, à savoir le droit des peuples à l’autodétermination, leur droit à la liberté, à l’indépendance. Nous sommes fiers d’assister aujourd’hui à la commémoration du 50e anniversaire de cette résolution, en faveur de laquelle l’Autriche avait voté en 1960. Cette résolution reste toujours d’actualité. Parce que dans le monde d’aujourd’hui, qu’on appelle multipolaire, il faut respecter tous les peuples, petits ou grands. Il faut respecter leur indépendance. La conjoncture d’aujourd’hui est, bien sûr, différente de celle des années 1960. Mais il reste toujours pour nous des voies et des moyens de sauvegarder ces principes.»
Laurent Lumumba, fils de l’ancien Premier ministre de la RDC Patrice Lumumba :
«C’est un moment de fierté d’être associé à un si grand évènement. Cinquante ans après, c’est plus que l’âge de la maturité. Je pense que, aujourd’hui, le moment de faire un bilan est venu.
On doit voir à quoi est-on arrivés cinquante ans après. Il s’agit surtout de se projeter dans les cinquante ans à venir. Je crois que les idées qui ont présidé aux indépendances sont toujours d’actualité. Sauf que, aujourd’hui, le besoin le plus pressant est celui de s’unir. Rien que sur ce point, je crois que les idéaux des indépendances sont d’actualité. Dans un monde de mondialisation et de globalisation, être seul, quel que soit le poids du pays, ne pèsera pas grand-chose.»
Nguyen Thi Binh, ancienne vice-présidente du Vietnam :
«Le combat que nous menons [au sein des Nations unies, ndlr] sera difficile. Je pense que nous avons une grande expérience dans le domaine de la lutte. Mais je crois que nous devons compter sur nos peuples, sur la solidarité entre les peuples. Je suis pour la démocratisation de l’ONU. On est toujours dans le combat, autant que les Algériens et les Africains. Nous devons toujours exiger que cette résolution 1514 soit appliquée. Pour cela, il faut continuer à lutter.»