Les élection d’aujourd’hui feront-elles bouger les lignes
450 députés pour 25.000 candidats, 500 observateurs internationaux qui sont là pour surveiller que l’on ne triche pas, atavisme hérité et perfectionné . 44 partis politiques, dont 21 qui ont deux mois d’existence et que l’on ne connaît qu’à travers des sigles. Leur dénominateur commun est qu’ils sont tous pour la justice, la bonne gouvernance, certains pour le retour aux sources, d’autres pour l’infitah -l’ouverture débridée au marché- avec tous la récurrence d’un discours « attrape-jeunesse » en leur faisant miroiter le paradis sur terre -rente aidant- mais aussi au ciel… Cette jeunesse -véritable continent inconnu- a ses propres règles et des dynamiques profondes la traversent. Elle est à des années-lumière du microcosme actuel. L’unanimisme de tous les partis politiques est total quant au fait que la rente règlera tout et tout le temps.
Pourquoi des élections qui déboucheront sur le même statu quo ? Avons-nous fait le bilan de ces vingt dernières années d’errance ? Ces élections promises déboucheront-elles sur une vision claire de l’avenir avec au préalable, sur les invariants et les consensus qui transcendent les partis ? Et ces dizaines de partis, comme en 1992, ont-ils un programme capable de donner enfin un cap à cette jeunesse dont on dit qu’elle ne croit plus à rien ? Chacun sait que l’Algérie a payé le prix fort qui a été, de mon point de vue, le paroxysme de l’antagonisme entre deux projets de société : celui du retour aux sources -arrimé à la sphère moyen-orientale- d’une façon totale, sans discernement et sans prise en compte de la réalité du monde. Le deuxième courant, traité de parti de l’étranger, donnait l’impression de s’arrimer à une sphère occidentale qui n’est pas celle de nos « valeurs ». Résultat des courses, la guerre de tranchées qui a commencé en 1962 entre les arabisants et les francisants perdure. La révolte d’Octobre 1988 -notre printemps- qui fut, d’une certaine façon, une révolte du pain. Plus de 500 morts passés par pertes et profit.
Souvenons- nous ! L’interruption des élections en décembre 1991 avait ouvert la boîte de Pandore de l’horreur. La société dans son ensemble fut traumatisée et l’Algérie perdit des dizaines de milliers de ses fils -on parle de 200.000 morts- Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas su, depuis l’Indépendance, réconcilier les Algériens avec leur histoire, leur identité culturelle. Nous n’avons pas su dépasser les ambitions de chacun pour former l’homme nouveau bien dans son identité et sa religion. Religion que personne ne devrait instrumentaliser pour en faire un fonds de commerce.
Où en sommes-nous en 2012 ?
Avons-nous fait notre « aggiornamento », notre ouverture sur le monde ? Avons-nous formé l’homme nouveau qui n’utilise pas le fonds de commerce galvaudé de la glorieuse Révolution de Novembre qui fut, à bien des égards, pour le monde, un tournant. Pour la première fois en effet, un peuple du Tiers-monde relevait la tête et décidait de tenir tête à une puissance voulant garder en l’état l’ordre colonial établi. Avons-nous tiré les leçons de la guerre de tous contre tous de la décennie 1990 ?
Mutatis mutandis, nous en sommes toujours au même point, sauf qu’une rente insolente a permis, en 11 ans, de rembourser la dette. Mais nous n’avons pas construit quelque chose de pérenne, quelque chose qui crée de la richesse. Certes, nous avons des milliers d’écoles, de lycées et près de 70 établissements supérieurs, mais que valent-ils quand on sait que notre école est en miettes et que nos diplômés ne répondent pas au minimum de normes requises ? Faire dans le quantitatif dans le siècle du Web 2.0 du data speeding, du Dow Jones est un pis-aller. C’est l’infitah à outrance -l’ouverture débridée- on ne sait plus rien faire, on s’en remet aux Chinois, Japonais, Français, Turcs pour nous nourrir, nous vêtir, nous construire des logements, nous distribuer l’eau… nous aider à nous transporter…
Résultat des courses : les causes multidimensionnelles de la révolte sont toujours là. Elles sont même accentuées par un manque de vision flagrant. Le pouvoir, dos au mur, achète du temps et pense calmer la foule qui gronde par un saupoudrage proportionnel à des classes dangereuses.
Dans l’Algérie de 2012, la compétence n’est plus un ascenseur social. Il ne faut pas travailler, avoir un diplôme, être un besogneux soucieux du bien public et honorer consciencieusement ses engagements par une assiduité et un travail bien fait. Au contraire, on est pris pour un naïf ! Dans l’Algérie de 2012, brûler un pneu peut vous valoir comme punition… un appartement que vous n’aurez jamais si vous êtes un cadre moyen et, plus encore, diplômé du supérieur ou de ce qu’il en reste. Dans l’Algérie de 2012, l’école ne fait plus rêver. Il vaut mieux être footballeur et toucher en une fois, d’une façon scandaleuse, le gain d’un enseignant dans toute une vie. Dans l’Algérie de 2012, il vaut mieux investir pour être député, car il y a un bon retour sur investissement ; peu importe d’ailleurs le parti, l’essentiel est d’y être.
Le manque de vision des 44 partis politiques
La campagne électorale nous a permis de mesurer, d’une façon tragique, la dimension de l’abîme. Il n’est que de voir les promesses dignes, pour certaines, de Coluche ou de Bérurier . Certains nous promettent de la pomme de terre à un prix raisonnable, d’autres promettent une allocation chômeur ; d’autres décident que le taux de réussite au bac sera de 100%. Par leur affiche -un judoka en exhibition- d’autres projettent enfin d’en découdre avec la corruption, le népotisme . Tout ceci naturellement enveloppé dans un discours agrémenté, pour certains, de versets appelant à la vertu..
On nous dit que, parmi les prétendants, beaucoup ont un niveau universitaire. De quel niveau nous parlons ? Est-ce un critère décisif ? Pour ma part, une personne avec un bon sens paysan, soucieuse du bien public, pétrie de valeurs, est de loin préférable aux mercenaires diplômés qui vibrent à la fréquence du népotisme, de la « açabiya » l’esprit de clan au XXIe siècle au sens que lui donne Ibn Khaldoun. Pour certains, paléo-enseignants, c’est encore plus dommageable du fait que leur sacerdoce à l’université n’était pas bien solide. Il n’empêche que le titre ronflant, sonore et creux de « profissour » leur permet de tromper le peuple. Les partis politiques, notamment les anciens, ont accroché à leurs trophées quelques-uns de ces Algériens sans épaisseur.
A l’instar des autres partis politiques, les formations islamistes, dont certaines participent au gouvernement, ne se distinguent pas par un programme économique, se limitant le plus souvent à énoncer des promesses. Le discours populiste prime sur tout le reste. De plus, quelle est la force réelle de chaque parti ? Cependant, tout est bon pour saturer et inciter les Algériens à aller voter. Les élections n’intéressent pas les Algériens. Ils pensent qu’il est inutile de voter car les élus ont une marge de manoeuvre symbolique.
Cependant, même les zaouïas sont mobilisées, pour crédibiliser le pouvoir comme au bon vieux temps colonial, pour inciter la plèbe à voter, peu importe pour qui. « Les zaouïas », écrit Tayeb Belghiche, « ont des prétentions inimaginables il y a seulement quelques années. Mahmoud Chaâlal, président de l’Union nationale des zaouïas algériennes (Unza), vient d’affirmer qu’« exclure (ces dernières) du jeu politique est une erreur », ajoutant, ne reculant pas devant la contradiction, que « pour les élections présidentielles 2004 et 2009, Abdelaziz Bouteflika a été réintroduit au palais d’El Mouradia grâce à nous. » Ces propos soulignent la régression terrible de l’Algérie depuis une douzaine d’années. L’action des zaouïas, jointe à celle des islamistes, risque d’enfoncer davantage le pays dans l’abstentionnisme. » (Tayeb Belghiche : L’autre régression El Watan 29.04.12)
On aura donc tout vu devant cette nouvelle mise en scène d’élections sans réel lendemain. Pessimiste, mais au fond, inquiet, Kamel Daoud, du Quotidien d’Oran, écrit : « Le peuple ne peut pas se démocratiser : il est encouragé à se diviser, se tribaliser, s’émietter, spéculer, priser, radoter, mais pas à s’organiser en dehors de l’Entv et sa propagande, du FLN et ses clones. (…) Le plus étrange est que les régimes durs et peu démocrates ont cette étrange habitude de reprendre les préjugés racistes des ethnologues coloniaux d’il y a un siècle : les autochtones ne peuvent pas être libres de leurs choix, ne peuvent pas se gouverner, n’ont pas vraiment une âme et ne peuvent pas être démocrates, sauf après quelques dizaines de siècles de rééducation chrétienne ou blanche ou culturelle ou « authentique. » Le même mépris scientifique, la même sociologie du mépris et de suprématie. La solution commune aux deux, le Père du peuple et le missionnaire occidental ? Le temps. Il faut du temps pour que les peuples locaux soient capables d’être traités comme des peuples. Quel temps ? Le temps que je sois président jusqu’à la mort. Moi et les miens. Les proches, les parents. Beaucoup de temps. 5 fois cinquante d’indépendance, etc. D’ailleurs, cette idée est même intégrée par l’indigène qui n’a pas lu Frantz Fanon : « Nous méritons la dictature car c’est la seule solution de barrage contre notre sauvagerie évidente et naturelle. »(Kamel Daoud : Démocratie : l’explication coloniale du décolonisateur : Le Quotidien d’Oran avril 2012 )
Les élections truquées, atavisme africain ou fruit d’un héritage ?
Aminata Traore, ancienne ministre de la Culture, nous décrit la situation au Mali. On croirait, à la lecture de son coup de gueule, être en Algérie ! Les mêmes thérapies de l’extérieur avec les mêmes effets ! Les mêmes élections truquées fruit d’un héritage colonial ; ces fameuses élections qui firent tant de ravage dans l’imaginaire des « indigènes » qui n’eurent de cesse de dénoncer le langage ambivalent du pouvoir colonial qui nous parlait à la fois de Liberté, de Fraternité et d’Egalité et que dans le même temps, il mettait en œuvre par ses combines et autres élections sur mesure, pérennisées par un certain Edmond Naegelen qui fit école après le départ du pouvoir colonial.
« En vingt ans », écrit-Aminata Traore, « de « transition démocratique », assistée et encensée par la « communauté internationale », la montagne a accouché d’une souris. Le peuple est désemparé, mais inaudible. Le coup d’Etat est survenu à cinq semaines du premier tour de l’élection présidentielle, dans un contexte quasi insurrectionnel (…) Le multipartisme, que nous appelions de tous nos vœux, s’est traduit par la prolifération des partis dont le nombre dépasse 140 actuellement pour un pays de 14 millions d’habitants. Coupés de leur base électorale, les dirigeants démocratiquement élus sont occupés à plein temps par toutes sortes de stratégie de captation de « l’aide au développement » et des opportunités d’affaires que le système néolibéral offre. Ce sont les gagnants de ce système économique et politique mafieux qui, en « démocrates milliardaires » s’apprêtaient à se disputer la place d’ATT en achetant tout ce qui peut l’être, du bulletin de vote à la conscience des électeurs/trices ». (Aminata Traore : Le Mali, Chronique d’une recolonisation programmée.)
« Enrichissez-vous et taisez-vous » est la règle non écrite du jeu politique. (…) Leurs enfants qui, avec ostentation, fêtent leurs milliards ajoutent à l’indignation des jeunes déshérités qui n’ont droit ni à une école de qualité, ni à l’emploi et au revenu, ni à un visa pour aller tenter leur chance ailleurs. Aucun parti politique ne peut se prévaloir aujourd’hui d’une base électorale éduquée et imprégnée des enjeux et des défis du changement de manière à choisir leurs dirigeants en connaissance de cause et à les contrôler dans l’exercice de leurs fonctions. La société civile, dont le rôle est d’éduquer, de contrôler et d’interpeller la classe politique, vit de compromis et de compromissions. (…) La liberté d’expression chèrement acquise est sous surveillance dans les médias publics. Elle se traduit par l’existence d’un paysage médiatique dense (journaux..) qui, pour survivre, se comporte comme la société civile : savoir se vendre. Quant à l’unique chaîne de télévision nationale, l’Ortm, elle est « la voix de son maître ».
Comment désintégrer un pays ?
« Les députés ont souillé l’image des Algériens tandis que l’Assemblée nationale est devenue un espace de business et d’affaires », a lâché le premier secrétaire national du Front des forces socialistes, Ali Laskri. Sur sa lancée, il a expliqué que « la participation du Front des forces socialistes aux joutes du mois de mai porte dans ses projets le rétablissement du politique d’où la nécessité du retour à l’Assemblée constituante car l’APN actuelle n’a aucune valeur ». « Ce qui se passe actuellement dans certains pays voisins, la Libye, les pays du Sahel et peut-être l’Algérie, exige de nous tous de rester vigilants et d’être mobilisés pour éviter une éventuelle contagion. » « Nous ne voulons pas d’un Irak bis. »
Justement, il ne faut pas croire que nous sommes invulnérables, que nous avons déjà donné ! Le Nouvel Ordre Mondial fait fi des identités des spiritualités ; rien ne doit entraver la rapine et tous les moyens sont bons pour déstabiliser les pays en mettant en oeuvre, chaque fois, de nouvelles méthodes. Après les méthodes de « démocraties aéroportées » de l’ère Bush, depuis quelque temps, se font jour les techniques soft des réseaux sociaux, véritables chevaux de Troie pour créer la discorde. Si nous ne voulons pas servir de laboratoire nous devons éviter de prêter le flanc à la critique. Sinon, à Dieu ne plaise, on s’occupera de nous et ce sera comme en Libye, la curée.
Ces « petites informations » tirées du bréviaire du parfait révolutionnaire anti-dictature donnent des pistes de résistance et de combat. Sans être naïf quant aux droits de l’homme version occidentale s’agissant de l’application aux « autres ». « Depuis plusieurs années, écrit l’un des idéologues, « la manière dont les peuples peuvent prévenir ou détruire les dictatures a été l’une de mes principales préoccupations (…) De ces considérations et de ces expériences monte l’espoir résolu que la prévention de la tyrannie est possible, que des combats victorieux contre des dictatures peuvent être menés sans massacres mutuels massifs, que des dictatures peuvent être détruites et qu’il est même possible d’empêcher que de nouvelles ne renaissent des cendres de celles qui sont tombées. » (Gene Sharp : De la dictature à la démocratie Editions L’Harmattan 2009 )
Pour sa part, Federico Mayor –que nous avons connu plus humaniste en tant que directeur général de l’UNESC0- qui a écrit la préface du livre de Gene Sharp, va plus loin. Il appelle carrément à l’émeute, à la sédition, bref au chaos : « Résister, c’est le début de la victoire », a déclaré Adolf Pérez Esquivel. C’est effectivement le début d’une grande transition à l’aube du XXIe siècle, de sujets soumis à citoyens, de spectateurs impassibles à acteurs. Le temps d’agir à temps est arrivé. Temps de surmonter l’inertie, de ne plus s’obstiner à vouloir résoudre les défis présents avec des formules valables hier (…) Jamais plus le silence ! Le moment de la participation sans présence (Internet, SMS…) est arrivé. Savoir pour prévoir, pour prévenir. Savoir en profondeur pour transformer la réalité comme il faut. De la force à la parole ! Il faudra élever la voix pour éviter qu’on lève les mains, comme d’habitude. Mains tendues pour aider, pour soutenir. Genoux pour se lever, jamais plus pour s’humilier, pour se soumettre (…)
Notre rôle, maintenant, c’est de contribuer à une rapide diffusion de ce que représentent la guerre et la violence pour générer un sentiment de refus, pour produire une clameur populaire d’aversion aux tambours de la confrontation inéluctable et ensanglantée… Il est temps de dire à ceux qui ne le savent pas encore, qu’il y a aujourd’hui des méthodes non seulement plus modernes mais surtout plus efficaces, qui font appel à l’intelligence, au réalisme et à la préparation. Il s’agit de véritables stratégies, conçues pour gagner et non seulement pour résister ; cela change tout. » (Federico Mayor, Préface de l’ouvrage de Gene Sharp Editions L’Harmattan 2009 )
Souvenons-nous pour en tirer les leçons, l’Algérie durant cette décennie rouge servit de « laboratoire ». Personne n’aida l’Algérie à transcender ses contradictions. C’était l’époque du « Qui tu Qui ? », l’époque où le pouvoir socialiste en France avait mis deux fers au feu… Parallèlement à la terreur, l’Algérie tomba sous les fourches caudines du FMI qui nous intima l’ordre de nous « ajuster structurellement ».
Il a fallu le tournant de septembre 2001, pour que le monde s’aperçoive que l’Algérie combattait seul l’hydre du terrorisme. On prit alors conscience des enjeux ; une nouvelle attention était donnée au combat à l’Algérie. C’est dire si l’Algérie a connu « des printemps » et qu’elle n’attend rien de nouveaux printemps, elle a déjà donné ; Sauf si le Nouvel Ordre en décide autrement, ce qui plus que jamais doit inciter l’Algérie à se prémunir, à convaincre ses voisins, notamment du Nord, que la région a besoin de stabilité et que l’Algérie est une pièce maitresse dans ce fragile équilibre
Ce serait en définitive, un moindre mal si ces nouveaux députés mettaient en place une Assemblée constituante qui poserait enfin les jalons d’une Assemblée où les fondamentaux d’un projet de société pour les générations à venir étaient posés. Il reste à savoir si la jeunesse de 2012, celle des réseaux sociaux de Facebook, de Twitter, bref, de l’Internet, est aussi vulnérable que celle d’avant.
Gageons que cette jeunesse est plus à même de comprendre les grands enjeux du monde et qu’elle donnera sa voix à bon escient. Quelque part dans les officines, un logiciel de détricotage de l’Algérie est en marche. Saurons-nous y faire face ?
Par : Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole polytechnique enp-edu.dz