Avec des capacités nationales appréciables et des perspectives prometteuses, selon les spécialistes, l’Algérie entend se lancer bientôt dans l’exploration du gaz de schiste.
Classée au troisième rang mondial, juste après la Chine et l’Argentine, en termes de réserves de gaz de schistes récupérables, l’Algérie entend ainsi à terme exploiter ce gaz non conventionnel pour palier au tarissement que certains prédisent du gaz conventionnel. Et c’est le président de la république lui-même qui a donné son feu vert lors du dernier conseil des ministres.
«Le conseil des ministres a entendu et approuvé une communication du ministre de l’Energie par laquelle il a sollicité l’accord pour l’exploitation des formations argileuses et schisteuses. Ce dossier a été présenté conformément à la nouvelle loi sur les hydrocarbures de 2013 qui conditionne l’exploration et l’exploitation des schisteux à l’approbation du Conseil des ministres. Le Conseil des ministres a donné, ainsi, son accord pour le lancement des procédures requises en direction des partenaires étrangers. Les projets d’accords pour entamer les prospections seront soumis, le moment venu, à la décision du Conseil des ministres », avait indiqué le communiqué de la présidence de la république.
Mais sitôt l’annonce faite, un début de polémique semble s’installer progressivement, du moins dans les médias, où des spécialistes de la question, dans une cascade de réactions, s’interrogent sur le choix d’une telle option d’autant que visiblement l’Algérie n’a pas à ce jour exploité de façon optimale ses réserves conventionnelles. A-t-on une stratégie énergétique ? Dispose-t-on de la science nécessaire et de la maitrise technique pour l’exploitation de ce gaz, apanage jusque-là de quelques rares puissances occidentales ? Ou alors, y a-t-il des soubassements politiques à cette démarche ?
Autant qui ne manqueront pas d’alimenter le débat dans les prochains mois. «Les hydrocarbures conventionnels sont beaucoup moins chers à produire que le gaz de schiste ou les LTO (produits liquides de la même couche). Or le sous-sol algérien est loin d’avoir tout révélé de ce qu’il contient en sources conventionnelles d’énergie fossile. S’il est raisonnable de penser que nos ressources financières et humaines ne sont pas illimitées, il faut donc commencer par investir pour développer ce qui coûte le moins, c’est-à-dire dans le conventionnel », soutient l’ex chef de gouvernement et ancien PDG de la Sonatrach, Sid Ahmed Ghozali. « On peut se tourner vers le gaz de schiste si on a des ressources financières sans limites, on peut alors chercher à investir à la fois dans le conventionnel et dans le gaz de schiste. Le conventionnel, non seulement dans l’exploration de gisements nouveaux, mais aussi dans l’augmentation des taux de récupération des réserves déjà mises à jour », ajoute-t-il dans un entretien à un journal en ligne. Selon Ghozali, plusieurs lectures peuvent être faites sur la décision d’opter pour le gaz de schiste. « Peut-être pour masquer une indigence de la pensée –ou simplement d’absence de politique- en matière énergétique ? Ou peut-être une énorme bourde –qu’ils savent et que nous nous ne saurions pas– en matière d’exploitation, une sorte de catastrophe dans un ou des gisements conventionnels laquelle nous empêcheraient d’honorer nos futurs projets d’exportation ? ». Pour sa part, l’économiste, Mourad Preure, s’il ne se montre pas hostile, ne préconise pas moins que Sonatrach s’affirme d’abord dans
ce domaine. « En ce moment, l’Algérie connait une baisse de production de gaz conventionnel, sa production ralentit. On ne découvre plus de grands gisements de pétrole. L’Algérie ne peut pas rester en marge d’une industrie émergente qui va peser demain. Il faut qu’elle gagne aussi une expertise dans le domaine. Il faut qu’on évolue au niveau technologique et qu’on se prépare à ce nouveau concept si l’Algérie veut rester un acteur de l’industrie pétrolière et gazière. Le gaz de schiste va bouleverser l’industrie mondiale », estime-t-il dans une déclaration au journal El Watan. « Il faut que Sonatrach s’affirme d’abord dans ce domaine et qu’elle innove.
Les entreprises étrangères viendront seulement si Sonatrach fait cet apprentissage. Ensuite, il faut prendre en compte toutes les conséquences environnementales, mais il y’a des solutions technologiques à ces problèmes », ajoute-t-il.
« Il faut prendre en compte le risque, la rentabilité et comparer à d’autres productions (…) Le potentiel de ressources conventionnelles existe en Algérie et sur le long terme, on en a encore à découvrir et à produire (…) donc le problème n’est pas si on a du potentiel, mais comment mobiliser nos ressources », explique de son côté Mabourk Aid, spécialiste de l’énergie et membre de Nabni.
« L’argent et l’équipement ne suffisent pas, il faut surtout un savoir-faire que l’Algérie ne possède pas », met en garde Moussa Kacem, coordinateur du collectif euromaghrébin anti gaz de schiste. Il y’en a même qui font des lectures politiques, comme ce journaliste français spécialisé qui soutient que « c’est le fruit d’un deal entre Alger et Paris, celle-ci soutenant l’option d’un quatrième mandat en échange d’un partenariat ».
En attendant que le débat s’installe et que les enjeux y afférents cernés par tous les intervenants, politiques et spécialistes, l’Algérie aura toute la latitude de prendre la décision approprié. Car jusque-là, il ne s’agit que d’exploration. Et comme le rappelle leprésident Bouteflika, c’est au conseil des ministres de décider de l’octroi des projets. A ceux qui redoutent les conséquences sur l’environnement, il le précise clairement. «Le président Abdelaziz Bouteflika a instruit le gouvernement de veiller à ce que la prospection, et plus tard l’exploitation des hydrocarbures schisteux soient menées en permanence avec le souci de préserver les ressources hydriques et de protéger l’environnement », a indiqué le communiqué du Conseil des ministres.
Sofiane Tiksilt