Laiterie Betouche, une entreprise, dont le parcours se confond avec cette petite bouteille en verre qui avait fait les beaux jours de beaucoup de familles démunies de l’époque qui ne pouvaient acheter un litre entier de lait, et se rabattait sur le ¼ contenu justement dans ce récipient.
A la foire de la production algérienne, un stand a particulièrement attiré notre attention. Ce d’autant qu’à la vue des produits exposés, l’on se demandait ce qui pouvait le singulariser des autres en ce sens que ce sont des produits laitiers qu’on y voyait tout comme ceux produits par les entreprises spécialisées dans la transformation du lait. Pourtant, il grouillait de gens. Loin d’être jeunes, ce sont des personnes appartenant aux générations des années 60 et 70. Captivés par cette petite bouteille en verre dans laquelle la société Betouche vendait du lait, à un litre ou ¼ de litre. Et qui a disparu, au grand dam de ses adeptes, depuis l’apparition des sachets et des packs sous vide.
A l’époque, l’entreprise n’avait pas d’autre choix de s’adapter aux nouvelles donnes du marché, sous peine de se voir livrer une concurrence des plus déloyales. Ce plus, le verre lui revenait beaucoup plus cher que le pack ou le sachet de lait.
Nationalisée en 1976 par Houari Boumédiène, la laiterie a été reprise par ses propriétaires et s’est développée pour se frayer une place très importante sur le marché. L’usine dessert, en effet, depuis quelques années, tout l’est de la capitale, réduisant ainsi la tension sur ce produit. De Fort de l’Eau jusque dans la wilaya de Boumerdès en passant par Cap Matifou et Aïn Taya, le lait est disponible même en fin d’après-midi. Ce qui arrange beaucoup de consommateurs qui rentrent assez tard de leur travail.

Appartenant à une famille d’éleveurs et de collecteurs depuis 1884, Betouche compte non seulement demeurer sur le marché, mais devenir leader dans la filière, avec notamment de nouveaux produits, comme du petit lait et du raïb en pack, des yaourts à boire pour les bambins, et des emballages avec de nouveaux designs attrayants. Pour ce faire, l’entreprise a consenti la bagatelle de 16 millions d’euros.
Les responsables du stand, ont été harcelés par les visiteurs à propos de la bouteille en verre et ont voulu savoir si l’entreprise allait la remettre sur le marché. « C’est l’un de nos projets », nous répond un commercial. « Et c’est notre vœu le plus cher ». Notre interlocuteur était à son tour ému de voir autant de visiteurs mélancoliques. « Je pensais que les gens l’avaient oubliée ». Ce à quoi lui rétorque un monsieur d’un certain âge accompagné de son petit fils. « Comment voulez-vous oublier un produit et son contenant qui vous ont accompagné pendant toute votre enfance ? ». Et d’ajouter : « Faites en sorte de la remettre sur le marché, ne serai-ce que pour nos enfants connaissent non pas seulement histoire de la guerre de libération, mais aussi les entreprises qui ont représenté l’âge d’or de l’économie algérienne. » Il ne quittera pas les représentants de l’entreprise sans se faire remettre, discrètement une bouteille en verre, mais cette fois-ci avec du lait pasteurisé dedans.
Faouzia Ababsa