Selon les fonctionnaires de la Direction du commerce, l’opération consiste à suivre à la trace le sachet de lait, depuis le producteur jusqu’au commerçant détaillant. La DC a mis sous surveillance le circuit depuis l’apparition de la crise. L’instruction ministérielle n° 178, du 21/03/2018 est venue en quelque sorte formaliser cette « mise sous surveillance » par un recensement des détaillants et par une feuille de route à remplir quotidiennement par le producteur et le distributeur et signée par les détaillants livrés. Les données fournies dans la dite feuille de route sont : les nom et prénom du détaillant, la quantité livrée, l’accusé de réception du détaillant.
La surveillance ne s’arrête pas là, nous dit-on. Elle touche également le circuit de la matière première, c’est-à-dire, la poudre de lait. Par une procédure similaire, les chiffres de livraison de la poudre fournie par l’ONIL (l’Office National des Industries Laitières) sont confrontés chaque jour aux chiffres de production du lait subventionné dans toutes les unités de production.
Mais l’opération « traçablité » manque cependant de s’étendre jusqu’au consommateur final. Le détaillant n’est pas tenu ainsi de fournir à son tour une liste émargée par le consommateur final du sachet de lait subventionné et permettre, du coup, de mesurer avec précision l’efficacité de l’opération sur le terrain des consommateurs. Face à l’absence de pareilles données, pour apprécier les effets et atteindre les résultats escomptés de l’opération, la DC dit se baser sur les échos reçus des consommateurs et sur la présence de ses agents sur le terrain. Mieux encore, pour donner toutes les chances de réussite à cette opération et voir d’autres acteurs publics s’impliquer dans leur démarche, elle a saisi les collectivités locales (Dairas et APC) pour les mettre au courant et leur faire connaître le réseau de distribution de lait installé sur leurs territoires. Question chiffres, le jour de notre passage, la DC a fait savoir que les quatre (4) laiteries de Mostaganem ont produit 130 000 litres de lait dont 30 000 litres destinés aux wilayas de Relizane, Oran et Mascara.
Les producteurs de lait en sachet à Mostaganem impatients de voir «le bout du tunnel »
La bonne mine affichée à la Direction du Commerce est cependant loin d’être partagée par les producteurs de lait en sachet. Ces derniers avouent avoir des préoccupations autres que celles pour lesquelles la DC s’est mobilisée. Mais des préoccupations qui sont loin d’être contradictoires avec celles de la DC. De toute évidence, le producteur , cherche en premier et dernier lieu, l’exploitation à plein régime de ses investissements, la rentabilité de son exploitation et sa part du marché. C’est dans ce sens que les producteurs rencontrés se sont exprimés sur « la crise du lait ». Explicitement, ces derniers ont fait part de leur crainte de voir leurs activités s’effondrer, si par malheur, disent-ils, la situation actuelle arrive à durer dans le temps. Pour eux, la cause de la raréfaction du lait en sachet subventionné sur le marché est toute indiquée : les restrictions sur la poudre de lait dont fait l’objet les producteurs. Ils disent qu’ils tiennent difficilement le coup avec un niveau d’exploitation en deçà des 50% de la capacité de production installée. L’impact sur l’emploi est déjà là, plus que visible, selon leurs propos. L’un deux fait savoir qu’il a libéré des travailleurs et réduit de moitié son temps d’exploitation. Au sujet de la poudre, ils rejettent en bloc l’accusation de détournement de la poudre dont ils disent faire l’objet. L’un d’eux s’emporte : « que l’on cesse de nous accuser à tort et à travers de détourner la poudre de lait et d’être à l’origine de la crise. Nous sommes contrôlés de prêt depuis 2007. Sur 10 ans de contrôle, ne sont-ils pas encore arrivés à assainir le secteur en écartant les prétendus détourneurs de la poudre de lait ».
A l’ONIL, c’est la poudre…
De la poudre de lait évidemment. Et parler de poudre à l’Office National des Industries Laitières (ONIL), à Mostaganem, ce n’est pas évident. Après les salamalecs, le premier responsable de l’Office a tout de go signalé qu’il ne peut pas piper le moindre mot sur la poudre de lait sans consulter au préalable sa hiérarchie, à Alger. Il nous a promis de nous contacter par téléphone, une fois autorisé à parler sur le sujet. Nous attendons encore son appel téléphonique… C’est d’ailleurs aussi le cas à la laiterie publique. A deux reprises, à plusieurs jours d’intervalle, c’est la même réponse : « le Directeur est en mission ». Ni l’intérimaire du directeur, ni le responsable commercial n’ont accepté de nous recevoir et répondre à nos questions sous prétexte qu’ils ne sont pas habilités à s’exprimer en l’absence du premier responsable de l’unité.
Toujours au sujet de la poudre de lait, les cadres de la Direction du Commerce laissent entendre que les choses ne sont pas figées pour autant. Autrement dit, la wilaya peut prétendre à un supplément de poudre. On apprend ainsi qu’une demande a été faite dans ce sens au Ministère de l’agriculture et qu’elle est en bonne voie. C’est « en prévision des besoins du mois de ramadhan et de la saison estivale, la wilaya connaît une grande affluence de touristes locaux durant cette saison», révèlent nos interlocuteurs. Cette demande d’appoint en poudre pourrait aussi sonner comme un aveu implicite que l’opération «traçabilité » est arrivée au bout de ses possibilités. Qu’elle ne peut aller plus loin dans un domaine réputé être la chasse gardée de la loi de l’offre et de la demande…
Les distributeurs de sachets de lait « dans le même pétrin»
Les distributeurs de sachets de lait disent, pour leur part, qu’ils ne sont pas mieux lotis que leurs partenaires, les producteurs. Ils expriment les mêmes craintes quant à l’avenir de leurs activités. Tous les distributeurs interrogés confient que leurs activités ont baissé de moitié, voire plus. Ils arrivent à peine, selon eux, à couvrir leurs charges d’exploitation. Les distributeurs bénéficiaires des prêts ANSEJ se plaignent d’être « jusqu’au cou dans la mélasse », et se disent les plus exposés à des lendemains sombres si « par malheur la crise du lait en sachet s’installe dans la durée ». Certains distributeurs dénoncent aussi les producteurs qu’ils accusent de leur mener la vie dure et de déplacer sur eux les difficultés induites par la conjoncture, en leur « imposant » le lait de vache « difficile à écouler sur le marché pour sa cherté et sa fragilité ». Certains prétendent encore que le produit précieux ne leur est pas fourni d’une manière équitable par certaines laiteries. Concrètement, chez certaines laiteries, des distributeurs seraient plus privilégiés que d’autres pour des considérations qu’on peut facilement imaginer. Un distributeur ne va pas par quatre chemins et accuse lui ouvertement la laiterie publique de pratiquer la vente concomitante. A le croire, avec cette laiterie, « impossible de prendre le lait subventionné sans prendre avec du fromage et du yaourt, qui de surcroît, ne sont même pas produits à l’unité de Mostaganem ». Le pire, toujours selon lui, c’est le beurre, tiré du lait de vache, que cette même unité « leur impose ». « Ce beurre, au conditionnement dérisoire, marche très difficilement, je suis obligé de le revendre à perte », nous a-t-il déclaré.