le cocktail chaleur-Ramadan risque d’être explosif. Les intoxications, qui traditionnellement sont légion en été, risquent de connaître un pic cette année. Le souci du gain facile associé à une consommation effrénée au mépris des règles élémentaires d’hygiène fait craindre le pire.
Les statistiques du ministère de la Santé sont éloquentes : chaque année, l’Algérie enregistre environ 20 000 cas d’intoxication. La majorité d’entre elles surviennent en période de grande chaleur et sont sans doute évitables.
Elles sont dues à un non-respect des normes en matière d’entreposage, de stockage et de respect de la chaîne de froid. Des produits frais sont vendus à même le trottoir, exposés au soleil des heures durant à des prix défiant toute concurrence. Les vendeurs mais surtout les consommateurs défient le bon sens.
Comment peut-on par plus de 30 degrés à l’ombre acheter du fromage ou des œufs à un vendeur à la sauvette ? Réponse des acheteurs : «C’est moins cher.» Mais peut-on sous prétexte d’économiser quelques dinars mettre en péril sa santé ? Si le couple vendeur-acheteur est complice, l’Etat peut-il lui aussi fermer les yeux face à ce qui devrait être inscrit comme problème de santé publique ?
Le ministère du Commerce, à qui revient la mission de contrôler le marché, reconnaît son impuissance : le nombre des commerçants à contrôler est des milliers de fois supérieur aux agents chargés du contrôle. Ces derniers exercent dans des conditions difficiles : ils sont souvent agressés par des commerçants qui ne reculent devant rien.
L’ex-ministre du Commerce avait instruit les directions du commerce afin qu’elles se constituent systématiquement partie civile à chaque fois qu’un agent est agressé mais la mesure à elle seule ne suffira pas à dissuader les commerçants véreux. En poste depuis le remaniement ministériel, Benbada promet le recrutement de milliers d’agents supplémentaires. Ils viendront prêter main-forte à leurs collègues visiblement dépassés par la mission qui leur est dévolue.
Pour ce mois de Ramadan, les équipes d’inspection seront dotées «de valises d’urgence d’analyses», promet le département de Benbada. Quel impact sur la baisse des intoxications ? Il est peu probable que ces mesures arrivent à en réduire le nombre. La batterie de textes existant depuis des années avait déjà échoué…
LES AGENTS IMPUISSANTS FACE AUX COMMERÇANTS: Le contrôle : maillon faible de la chaîne
De l’aveu même du ministère du Commerce, il serait faux de prétendre pouvoir contrôler 1 300 000 commerçants enregistrés avec seulement 2 500 agents sans compter ceux du marché parallèle.
Le département de Benbada promet le recrutement de 1 000 agents à l’avenir. Ils rejoindront leurs collègues qui peinent déjà à accomplir leur mission. Le Centre algérien de contrôle de la qualité et de l’emballage, qui chapeaute neuf directions régionales du commerce et 48 Directions du commerce, arrive également difficilement à maîtriser les aspects liés au respect de la réglementation.
Avec ses 20 laboratoires opérationnels de contrôle de la qualité et de la répression des fraudes, il est censé offrir une couverture analytique de l’ensemble du territoire national. Durant l’exercice 2009, il a eu à traiter 14 030 échantillons dont 12 222 traités dans le cadre répressif.
Le Centre algérien de contrôle de la qualité et de l’emballage reconnaît que «la stratégie et les moyens préliminaires de lutte contre la fraude restent insuffisants, tant au plan géographique que sur le plan économique pour l’ensemble du territoire national, les laboratoires actuels ne pourraient être performants que par la mise en place d’une nouvelle configuration des laboratoires avec les nouvelles structures actuellement en réalisation».
Il est attendu de cette nouvelle structuration «un souffle nouveau en matière de performance, de rentabilité et une prise en charge rationnelle de l’analyse pour les wilayas non couvertes à ce jour».
Cette stratégie ne pourra cependant se matérialiser que «par la mise en place d’un réseau national de laboratoires organisé de manière à freiner les différents phénomènes à tendance malveillante pour l’économie en général et le consommateur en particulier et orienter les inspecteurs pour un contrôle plus adapté et rigoureux, en matière d’investigation et à caractère scientifique». En attendant, le contrôle reste le maillon faible de la chaîne
N. I.
Les infractions les plus fréquentes
Le Centre algérien de contrôle de la qualité et de l’emballage a établi un listing des infractions les plus souvent constatées
Il en ressort que les taux de non-conformité les plus élevés concernent le lait cru, les pâtisseries, eaux courantes et les merguez, suivis des produits d’épicerie, les viandes et dérivés, les eaux et autres boissons.
Le CACQE précise que «les non-conformités et la présence de microorganismes à un taux excessif sont dues essentiellement à la négligence et au non-respect des règles d’hygiène (personnel, matériel, locaux), à la mauvaise conservation des viandes, aux mauvaises conditions de stockage du produit et de la matière première, à l’application tardive ou discontinue du froid, à l’utilisation anarchique ou abusive de colorants ou d’additifs, souvent de fabrication anonyme et présentant une forte charge microbienne».
Les analyses physicochimiques démontrent quant à elles que «les taux de non-conformité les plus élevés concernent pour les produits alimentaires, les boissons alcoolisées, eau de Javel concentrée, sel iodé, vinaigres, maïzena».
Les non-conformités sont dues essentiellement à une tromperie dans le dosage des matières actives, au non-respect des doses minimales ou maximales acceptables lors de l’utilisation d’additifs ou au défaut d’étiquetage dans les produits portant confusion dans l’esprit des consommateurs.
N. I
Seule alternative, la prise de conscience des consommateurs
C’est devenu un grand classique : à l’approche de l’été, le ministère de la Santé met en garde contre les risques d’intoxication. Des conseils sont donnés aux consommateurs afin de vérifier avant tout achat que l’aliment en question ne les mènera pas droit aux urgences.
Les campagnes de sensibilisation fonctionnent-elles ? Visiblement, elles ont peu d’impact puisque beaucoup d’Algériens continuent d’acheter sans vérifier les dates de péremption et le respect de la chaîne de froid. Au mépris du bon sens, ils achètent des yaourts exposés sur le trottoir, du fromage à l’aspect douteux sous prétexte qu’ils coûtent moins cher.
Mais les commerçants installés dans l’informel ne sont pas les seuls à proposer de la marchandise avariée. Des commerçants inscrits au registre du commerce ne s’embarrassent pas de scrupules pour faire quelques économies. Certains n’hésitent tout simplement pas à éteindre les présentoirs ou les congélateurs plusieurs heures par jour pour faire des économies.
Quelle parade contre ces agissements ? Pour l’heure, seule une prise de conscience des consommateurs semble une alternative. Sous d’autres cieux, les associations de consommateurs sont très actives. Elles informent, sensibilisent et attirent l’attention sur toutes les dérives. En Algérie, quelques associations tentent de faire un travail de proximité mais la tâche semble ardue.
Au niveau individuel, chaque consommateur peut adopter les règles élémentaires : vérifier que la chaîne de froid n’a pas été rompue, que la date de péremption n’a pas été dépassée, ne pas acheter des produits exposées au soleil. Des gestes simples qui évitent une évacuation à l’hôpital pour quelques dinars économisés…
N. I.