Laissez-nous notre histoire et nos symboles !

Laissez-nous notre histoire et nos symboles !

n-QSDQ-large570.jpgCe n’est plus un chahut de généraux, ni un combat de coqs. C’est une destruction systématique des symboles de l’Algérie

« La bataille d’Alger », film culte de la guerre d’Algérie, est projeté dans les écoles de guerre comme dans les écoles de sciences politiques, pour illustrer ce qu’est une guerre populaire, comment monter une organisation politique engagée dans une guérilla urbaine, et quelles sont les techniques utilisées par les armées d’occupation pour tenter de la contrer. On y découvre comment on mobilise des gens à priori peu disposés à s’engager dans le combat, comment, dans le feu de l’action, se révèlent des talents exceptionnels, ainsi que le degré de sacrifice dont font preuve les résistants. A travers eux, se révèle la grandeur d’un peuple qui a fini par forcer l’admiration du monde entier.

Un demi-siècle plus tard, plusieurs acteurs de ce cette page glorieuse sont encore vivants. Yacef Saadi, Zohra Drif, et Djamila Bouhired, qui a notamment inspiré un film réalisé par Youcef Chahine, et qui a amené des milliers d’orientaux en Egypte, en Syrie et en Irak, à donner le prénom de Djamila à leurs filles nées durant la guerre d’Algérie. Non seulement cette guerre allait aboutir à la libération du pays, mais elle a créé des symboles d’une force qui a dépassé ce que pouvaient imaginer les initiateurs ducombat.

Pourtant, en ce mois de janvier 2016, Yacef Saadi et Zohra Drif sont abondamment évoqués par les médias algériens, pas pour la grandeur de leur passé, mais pour les détruire. Un travail méthodique de démolition de l’histoire du pays et de ses symboles a été engagé. Inconscients des résultats de ce révisionnisme, des symboles de la lutte du peuple algérien participent à leur propre destruction.

Chahut de généraux

Khaled Nezzar est, lui, sur un autre front. Il s’est engagé dans une grande opération de déballage. Il parler, il parle, le général. Des heures et des heures d’entretien avec une chaine de télévision, qui a transformé ses « révélations » en un feuilleton interminable, pénible à suivre et totalement inutile.

Quand Khaled Nezzar parle, il s’en prend naturellement à d’autres, des civils, mais aussi des généraux, dont Liamine Zeroual, et son compagnon et ami le plus proche, Mohamed Betchine. Zeroual a été ministre de la Défense puis chef de l’Etat; Nezzar a également été ministre de la défense avant de cumuler ce titre avec celui de membre du Haut Comité d’Etat et Betchine a été patron des services spéciaux.

Particulièrement visé, Betchine a répliqué, mettant en cause Nezzar et Toufik Mediène, le fameux « rab dzayer », l’homme supposé avoir été la principale émanation du pouvoir durant un quart de siècle. La rumeur laisse aussi entendre que Mohamed Touati, l’homme qui se prend pour l’idéologue de l’armée, serait à son tour prêt à intervenir dans le débat. Liamine Zeroual est également sous pression : Nezzar l’a tellement mis en cause qu’il est contraint de répondre.

De quoi parlent tous ces éminents personnages? De l’armée, de son organisation, de sa restructuration, de l’organigramme des services spéciaux, de leurs chefs et de leurs différentes dérives. Des révélations qui, en d’autres temps, auraient été classées comme des divulgations de secrets d’Etat et auraient valu à leurs auteurs de sérieux ennuis.

Tirés vers le bas

Dans cette polémique, personne ne s’en sort indemne. Khaled Nezzar, par exemple, est trainé dans la boue. Officier de l’ALN, ancien ministre de la défense, il est traité de vulgaire « sergent de la France ». Comme Zohra Drif et Yacef Saadi, il subit une sorte d’effacement de la partie la plus positive de sa propre histoire. Mais tout le monde est logé à la même enseigne. Faut-il évoquer Abdelaziz Bouteflika et cette manière lamentable dont il finit sa vie et sa carrière, lui qui, qu’on le veuille ou non, a été commandant le l’ALN?

Et puis, comment en arrive-t-on à cette situation où un pays s’en prend de manière méthodique à ses propres symboles? Dire que c’est le résultat d’un échec politique ne suffit pas. Cela ne justifie pas, du moins, que ces dérives en arrivent à consacrer ce qui s’apparente à une faillite morale d’une génération. Comme si le pays, après avoir miné son présent et hypothéqué son avenir, voulait s’en prendre à ce qui devait être incontestable: son histoire.

Il est évident que si les Algériens pouvaient débattre librement d’autre chose -économie, libertés, chute du prix du pétrole, Etat de droit-, ils regarderaient dans d’autres directions. Ils se tourneraient vers l’avenir, pour débattre de la manière dont ils peuvent se faire une place dans le monde. Mais quand ces perspectives sont verrouillées, il ne leur reste plus qu’à s’en prendre à eux-mêmes, à douter d’eux-mêmes, à se détruire, et au final, à se suicider.

Jusqu’au jour où ils diront à Abdelaziz Bouteflika, à Khaled Nezzar et à tous les autres : partez, prenez l’argent, prenez le pétrole, prenez tout ce que vous voulez, mais partez, et laissez-nous juste notre histoire et nos symboles, laissez nous Zohra Drif, l’ALN, Djamila Bouhired, Ben Boulaïd et l’ANP. Ils nous suffiront pour construire un grand pays.