De peur d’être pourchassées encore, la plupart des victimes ont baissé les bras. Pas Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura.
La comédienne Nadia Kaci leur a prêté sa plume pour un témoignage qui a pris la forme d’un livre : “Laissées pour mortes”.
Treize juillet 2001 : les trompettes de la “moussalha” résonnaient dans le pays laissant croire à un cri de victoire de la barbarie. C’est en tout cas le message qu’a cru percevoir un imam de Hassi-Messaoud, la très précieuse capitale de l’industrie pétrolière, surveillée comme aucune autre ville par les forces de l’ordre et les sociétés de sécurité qui y ont fait florès.
Il faut garantir la tranquillité des cadres expatriés des firmes étrangères ! Des firmes qui ont attiré des bataillons de nouveaux habitants alléchés par les perspectives d’un emploi. Et chassés par la misère qui a prospéré dans le nord du pays.
Cet appel d’air chaud a happé des femmes soucieuses d’assurer dignement la pitance à leurs familles. Happées parce qu’elles ne rêvaient pas de Hassi-Messaoud. Leur eldorado était plutôt celui d’un foyer simple peuplé d’un mari et d’enfants et agrémenté de bibelots. La misère les a conduites au fond du “puits”, dans la gueule d’El-Haïcha, la “bête immonde”, nom du quartier où elles ont posé leurs ballots.
Tu parles de quartier ! “Misère et laideur à perte de vue” étalées sur des kilomètres de désordre urbanistique et de voracité insatiable. Hassi-Messaoud qui fait vivre le pays, qui finance la construction de villas à Hydra et l’achat de châteaux en France et en Suisse n’a rien fait pour elle-même.
On n’y vient jamais avec le projet de s’y installer. Que des femmes isolées y arrivent, c’est un défi à la raison.
Une déclaration de guerre au machisme dominant, une atteinte intolérable à nos vieilles traditions.
Des péchés qui ne peuvent être expiés que par le prix du feu et du sang sous peine que Dieu déverse sa colère sur tous. Sans discernement. L’imam s’est érigé en procureur avec à sa solde une horde d’abrutis shootés au venin de la haine.
Comme à Raïs, Bentalha, Ramka, le nom d’Allah a été invoqué pour légitimer cette barbarie.
Des centaines d’hommes contre une cinquantaine de femmes, mères de famille pour certaines, mais sûrement catins pour les bourreaux. “Armés de gourdins, de bâtons, de couteaux ou de sabres. Armés de toute la haine qu’on leur avait inculquée contre ces femmes. Bien décidés à se prouver, à leur prouver leur suprématie.
Bien décidés à se venger de toutes les frustrations que leur simple présence réveillait et alimentait.” Il était minuit en ce 13 juillet 2001. Dans le ciel incandescent de Hassi-Messaoud, s’élevait la fumée de pneus enflammés et jetés dans la rue pour empêcher toute velléité de venir en aide aux victimes.
Coups de poignard dans la chair vive, tortures, viols… Laissées pour mortes. Le lendemain, un journaliste plus féru des prêches de l’imam que de ses manuels évoquait une expédition contre des prostituées. Donc “normal”, comme on dit dans le nouveau jargon d’un pays qui n’a plus aucun repère.
Des années après, les victimes continuent d’affronter maintes péripéties. Comment retrouver la considération auprès d’un entourage qui tète goulûment le mensonge ? Comment obtenir réparation auprès d’une justice tatillonne, mais sans pouvoir d’assurer l’égalité entre les parties.
De peur d’être pourchassées encore, la plupart des victimes ont baissé les bras. Pas Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura. La comédienne Nadia Kaci (Viva Laldjérie et Délice Paloma) leur a prêté sa plume délicate pour un témoignage qui a pris la forme d’un livre. Laissées pour mortes paraît cette semaine à Paris. Les deux survivantes doivent s’y rendre pour rencontrer le public.
Et témoigner. Témoigner pour aider que la terre d’Algérie ne soit plus arrosée du sang d’innocentes victimes et que son ciel ne soit plus empli de leurs râles de suppliciés. Témoigner pour la paix de nos filles, de nos sœurs, de nos femmes et de nos mères.