mesure que l’enquête judiciaire avance, l’affaire des faux bacs qui a éclaté à l’université d’Oran livre, peu à peu, ses secrets. On connaît maintenant, à quelques détails près, comment et à quel maillon du circuit d’inscription se faisait le trafic de diplômes de bac, le «sésame» pour accéder à l’Enseignement supérieur.
En attendant la clôture de l’information judiciaire ouverte, il y a une semaine, par le juge d’instruction de la 5e Chambre du tribunal d’Oran, laquelle procédure n’en est encore qu’à la phase de la première présentation, force est de constater que le « passe-partout » qui permettait aux indus bacheliers d’accéder à une branche de choix n’était pas possible sans la (grosse) faille qui existait dans le dispositif d’inscription.
Dans la chaîne mise en place pour le traitement des dossiers des nouveaux bacheliers, de la pré-inscription au centre unique, au niveau du vice-rectorat de l’université qui chapeaute 12 départements, jusqu’à l’inscription finale à l’institut vers lequel le candidat a été orienté, en passant par la vérification du bac, via l’OREC (Office régional des examens et concours), il y a lieu de relever qu’il n’y avait pas de coordination entre le premier maillon et le tout dernier.
Selon le système adopté, le bachelier se présente au niveau du vicerectorat de l’université, muni de l’attestation de réussite au bac (un document administratif délivré, à titre provisoire, au bachelier pour, entre autres, les besoins d’une pré-inscription, et ce, en attendant la délivrance du diplôme proprement dit au niveau central, à Alger, lequel prend beaucoup de temps), du relevé de notes (bulletin exhaustif des notes obtenues pour chaque module par le bachelier à l’examen du bac, avec la moyenne générale et la mention) ainsi que d’un dossier administratif.
Le service, dépendant du vice-rectorat, garde à son niveau le dossier, y compris les originaux de l’attestation provisoire de réussite – qu’on appelle «le bac», tout court- et du relevé des notes, et oriente le candidat vers l’institut ou le département qui lui convient, en fonction d’un nombre de critères, dont en premier lieu, la moyenne générale et les notes obtenues au bac, dans les matières dites «essentielles». Du bac et du bulletin des notes, le bachelier n’en gardera que des photocopies légalisées.
De plus, un papier en carton, rassemblant les cartes de tous les services annexes (oeuvres universitaires, carte d’abonnement à la bibliothèque, transport, internat, etc.), est remis au concerné. Un contrôle de l’authenticité du bac et du relevé de notes qui lui est rattaché, se fait par le vice-rectorat, en collaboration avec l’OREC, qui centralise toutes les données relatives à la liste des lauréats du bac, du BEM et de l’examen de Sixième. A ce niveau-là, pas moyen donc de passer sous le nez de l’administrateur, un bac ou un bulletin falsifiés.
Ensuite, le bachelier se présente auprès de l’administration de l’institut, la faculté ou le département vers lequel il a été orienté et, au moyen des photocopies du bac et du relevé des notes, s’y inscrit.
Autrement dit, la structure pédagogique d’accueil admet et inscrit le bachelier sur dossier présenté par lui. Et c’est là où réside, justement, la faille, accentuée par une communication trop lente, voire carrément absente, entre la structure d’accueil et le service centralisé au rectorat.
C’est ce point de dysfonctionnement du mécanisme d’inscription qui a été exploité par les mis en cause, selon des sources proches du dossier. Avec ce dispositif, le rectorat, quant à lui, ne pourrait détecter le faux qu’en fin de cursus de l’étudiant, à l’occasion de l’examen du parcours pédagogique.
Il y a deux types de falsification mis à nu par les enquêteurs: les faux bacs montés de toutes pièces et les bacs, des vrais certes, mais avec des notes «gonflées» pour se faire inscrire dans telle ou telle spécialité que les résultats, réellement obtenus, n’en permettaient pas l’accès.
Pour cette catégorie de «vrais-faux» bacs, c’est-à-dire avec des notes gonflées, la source du trafic, remontée par les enquêteurs, n’était autre que l’inspecteur de l’Académie universitaire, inculpé et placé sous mandat de dépôt, la semaine écoulée, qui, selon les éléments de l’enquête, proposait aux parents des bacheliers mis en cause, de faire recours pour changer la filière d’inscription, en se chargeant lui-même de leur produire le faux bac pour appuyer le dossier du recours.
Pour ce genre d’interventions «très exceptionnelles» le service centralisé du rectorat était carrément court-circuité, de sorte que les faux bacs injectés dans le recours échappaient à tout contrôle, en amont. Le cas le plus révélateur, à plus d’un titre, divulgué par notre source se rapporte à l’inculpation de trois personnes d’une même famille, résidant à Oran. Il s’agit de deux soeurs et leur frère.
Deux parmi eux, avaient pu accéder à la faculté de droit au moyen d’un faux bac, totalement faux, dont une fille, avait même achevé son cursus et réussi à ouvrir, quelques années plus tard, un cabinet d’avocat, sur la place d’Oran, tandis que l’autre, un garçon, s’est fait renvoyer par l’institut après avoir été débusqué, alors qu’il était en 2e année du cursus de la licence en droit.
La troisième, quant à elle, s’était inscrite à la faculté de médecine, en utilisant un bac dont les notes avaient été gonflées, selon la même source.
Il y a lieu de noter que 107 personnes sont mises en cause, jusqu’ici, bien que le juge d’instruction ait toute latitude d’inculper d’autres, y compris parmi celles auditionnées comme témoins par la police judiciaire au cours de l’enquête préliminaire.
La même source indique qu’après avoir entendu les mis en cause concernant les instituts de droit et des sciences économiques, le magistrat instructeur planchera, la semaine prochaine, sur les cas propres à la faculté de médecine et l’institut des langues étrangères.
La même source rappelle qu’en plus d’une étudiante en droit, placée sous mandat de dépôt ainsi qu’un inspecteur de l’Académie universitaire, 40 personnes ont été inculpées et placées sous contrôle judiciaire, parmi elles le doyen de la faculté de droit et vice-recteur de l’université d’Oran, par ailleurs chargé des inscriptions.
C’était suite à deux lettres de dénonciation anonyme, une écrite en arabe et l’autre en français, qu’une enquête avait été ouverte, il y a huit mois, par le parquet général de la Cour d’Oran.
Dans un premier temps, l’enquête préliminaire se menait sur trois fronts différents, à savoir : le parquet d’Es Sénia, le Commissariat central et le groupement de la Gendarmerie d’Oran, avant que le PG n’ordonne une jonction des trois dossiers en un seul, qui sera confié, tout en bloc, à la section de recherches de la Gendarmerie nationale, qui jouit d’une compétence territoriale nationale.
Houari Saaïdia