Djezzy est par excellence l’affaire la plus complexe qu’a connue l’Algérie, s’accordent à dire des économistes et des politiques.
Par Benachour Mohamed
Djezzy est par excellence l’affaire la plus complexe qu’a connue l’Algérie, s’accordent à dire des économistes et des politiques. Complexe de la complexité de son mélange des genres. Entre le scandale, l’amateurisme affairiste, les sous-entendus politiques et l’inflexibilité de l’Etat algérien au nom de la puissance publique…l’issue de cette affaire est pour le moment sous la tyrannie du statu quo.
Moussa Benhamadi, ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication, a déclaré dimanche dernier aux journalistes que la position de son gouvernement reste «inflexible et elle ne sera pas modifiée». Cette déclaration intervient juste après les derniers soubresauts du PDG d’OTH, Naguib Sawiris.
L’offensive de Sawiris commença par sa citrique acerbe contre l’Etat algérien, lors du sommet londonien des marchés émergents organisé par le quotidien économique The Economist. En effet, en septembre dernier, le patron égyptien a craché dans la soupe algérienne, en accusant les responsables algériens d’avoir volontairement voulu nuire à son Djezzy. Depuis, les déclarations de Naguib Sawiris se multiplièrent et par médias interposés une vraie bataille s’est déclenchée.
Au sujet des sorties médiatiques de Naguib Sawiris, le ministre des TIC dira que la « riposte » de Naguib Sawiris aux dernières décisions du gouvernement algérien sont destinées « à rassurer les actionnaires d’OTH ». L’Etat algérien est donc déterminé à ne pas céder le moindre pouce du terrain, la moindre miette.
Pense-bête
Le 31 juillet 2001, c’est la date de l’ouverture des plis de la vente aux enchères de la deuxième licence GSM de l’Algérie, après celle de Mobilis. L’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT), fraîchement installée (suite à la loi n°2000-03 du 5 août 2000 fixant les règles générales relatives à la Poste et aux Télécommunications), chapeaute l’opération l’ouverture des plis.
D’après les prospections effectuées par OTH, la licence devra être cédée entre 710 et 740 millions de dollars. On raconte que Sawiris avait eu un tuyau sur le prix. Pendant cette journée estivale, au palais du gouvernement, l’offre du français Orange s’est située, loin derrière, à 420 millions de dollars. Selon le témoignage d’un journaliste qui était présent à cette vente, lors de l’ouverture des plis d’OTH, «le visage de Sawiris devient pâle. Il regarde les plis. Il ne sait certainement pas qu’il n’y avait que deux soumissionnaires, pensant qu’il y en avait trois tel que prévu» ; le consortium Téléfonica (Espagne) et Telecom Portugal n’a pas soumissionné ». Et puis tomba le verdict, 737 millions de dollars pour OTH ; la deuxième
licence GSM algérienne a été attribuée au holding de Sawiris pour une durée de 15 ans. Naguib Sawiris a fait l’affaire de sa vie. En fait, OTH a investi trois milliards de dollars y compris le prix de la licence, en contrepartie, il a récolté des milliards de bénefs. 15 millions d’abonnés algériens se sont dirigés vers Djezzy, depuis le lancement effectif de Djezzy le 7 novembre 2001. Vers la fin de la même année, Orascom lance les ventes de SIM et de packs, dans sa première agence, installée à la Safex d’Alger.
Le mouvement de foule est énorme : bagarres, bousculades, toutes les catégories sociales se chamaillent une Sim Djezzy. Les Algériens sacrifiés par l’opérateur public passent sous le rouleau compresseur d’Orascom. Le 15 février 2002, Djezzy lance son réseau GSM en post-payé. Mais, il faudra attendre août 2002 pour que la SIM prépayée soit disponible sur le marché.
Le premier million est atteint en septembre 2003. Et après les autres millions d’Algériens affluèrent. Jusqu’à 2008, Djezzy est le symbole de prospérité chez les Sawiris. Mais 2008, c’est aussi l’année de l’avènement de la crise financière mondiale. Pour Orascom, c’est le moment de faire ses comptes et de changer son directeur général.
2008, le début de la valse des pantins
Les bénéfices sont toujours au rendez-vous : le chiffre d’affaires pour 2008 a été de 2,04 milliards de dollars, enregistrant une hausse par rapport à 2007 qui s’évaluait à 1,755 milliard de dollars, selon le bilan annuel officiel d’OTH. Entre temps, vers la fin 2007, le groupe français Lafarge annonce l’acquisition totale de l’égyptien Orascom-Ciment pour près de 10 milliards de dollars.
L’Etat algérien avait cédé au nouveau groupe de Sawiris, présidé par le frère cadet de Naguib, Nassef, deux grandes cimenteries, l’une située à M’sila et l’autre à Sig dans la wilaya de Mascara, spécialisées dans la production du ciment blanc. Cette vente qui s’est faite, à l’insu des autorités algériennes, a discrédité à jamais les Sawiris. Les procédures de divorce commencèrent, dès cette périod. Mais Orascom a été aussi affecté par la crise, à travers son fonds d’investissement Weather Investments. Il faut savoir qu’au début juin 2005, 50% des actions d’Orascom plus une action ont été transférées à Weather Investments, permettant à cette dernière d’accroître ses actifs afin de pouvoir contracter des financements bancaires de plusieurs milliards d’euros et ainsi
acquérir la majorité du capital de l’opérateur italien Wind Italia. La société Wind Italia Spa a été valorisée à 12,2 milliards d’euros. En 2007, Weather Investments a également acquis l’opérateur grec du fixe et du mobile TIM Hellas, rebaptisé depuis Wind Greece pour un montant de 3,4 milliards d’euros.
Selon Farid Bourenani, expert financier algérien, «ce qu’il faut comprendre, c’est qu’indirectement, environ 48% de OT Algérie est la propriété de Weather Investments Spa (société de droit italien). Ces mêmes 48% d’OTA avec les autres actifs détenus indirectement par Weather Investments Spa via le contrôle de OTH SAE ont été donnés en garantie aux banques internationales en contrepartie de concours financiers ». Toute cette expansion a été effective grâce aux bénefs de Djezzy qui roulait à toute allure.
En 2009, les bénéfices de Djezzy ont baissé, son chiffre d’affaires de 1,86 milliard de dollars, en baisse par rapport à 2008 mais qui représente plus de 50% des revenus de Naguib Sawiris.
Le PDG d’OTH veut soudainement vendre, il formulera des offres aux français Bouygues et Vivendi qui les refuseront en bloc. Même si ces deux groupes français ont démenti, « il n’y a pas de fumée sans feu », rétorquent des observateurs externes de ce dossier. Entre temps, éclatèrent les évènements du Caire.
En 2010, Weather Investments a lancé un nouvel opérateur au Canada, «Wind Mobile Canada». Le bilan des neuf premiers mois de Djezzy souligne que le nombre des abonnés a baissé substantiellement de 200.000. Toutefois, Djezzy continue à faire des bénéfices et reste la première affaire de Sawiris.
2010, le divorce est consommé
En 2010, plusieurs opérateurs télécoms mobiles internationaux affichent leur volonté d’acquérir Djezzy. Après l’Emirati Etisalat, le Sud-africain MTN était sur le pont du rachat de Djezzy.
Après la visite d’Etat du président Jacob Zuma, accompagné par le PDG de MTN, à Alger, la transaction avec OTH a été mise au placard. Pour rappel, on parlera à l’époque de la coquette somme de 10 milliards de dollars offerte par MTN, puis de plus de 7,5 milliards de dollars. Orascom a toujours voulu faire de cette offre un prix de référence pour son opérateur numéro un ; d’où également les 7,5 milliards de dollars fixés par le groupe russo-norvégien Vimpelcom pour une cession à l’Etat algérien.
En fait, tout le monde ou presque a pensé que l’épisode Vimpelcom était la fin de ce feuilleton égyptien. Mais, lors de la visite d’Etat du président russe, Dimitri Medvedev, accompagné par le PDG de Vimpelcom, Alexander Izosimov, le gouvernement algérien a été ferme : «on ne reconnaît qu’un seul interlocuteur, les Egyptiens».
Depuis cette date, les actionnaires de Vimpelcom ont senti qu’ils ont mis la main dans un panier à crabes. Les Norvégiens qui détiennent 35% des actions de Telenor se sont montrés sceptiques et ont déclaré qu’ils ne donneront pas leur accord avant le règlement définitif du conflit Orascom/Etat algérien. Même réaction chez l’oligarque Fridman.
En somme, plusieurs blocages se sont apparus dans la concrétisation de ce deal. De son côté, le ministère des Finances a lancé un avis d’appel d’offres restreint auprès des banques d’affaires et des sociétés d’expertise afin d’être accompagné dans le futur rachat de la filiale algérienne d’Orascom Telecom. L’ouverture des plis de l’appel d’offres aura lieu, dans quelques jours, avant la fin de ce mois de novembre, avait dévoilé dimanche dernier Moussa Benhamadi.
La cession de Djezzy interviendra normalement à l’issue d’un choix de bureau d’études et de la banque devant accompagner le processus, avait fait savoir le ministre. Ce n’est donc qu’après cette évaluation que le gouvernement fera sa proposition financière aux responsables d’OTH. En attendant, le gouvernement algérien ne donne pas de répit à Naguib Sawiris.
Les déclarations fermes des ministres Karim Djoudi et Moussa Benhamadi se font toujours retentir à la bourse du Caire. La dernière intervention du premier ministre Ahmed Ouyahia devant les parlementaires où il fait rappeler aux responsables d’OTH les quatre
exigences de l’Algérie que Naguib Sawiris, rejette en bloc. Pour édulcorer la chute des actions d’OTH, le PDG d’Orascom intervient, en écrivant une lettre au premier ministre. Il écrira : «nous ne sommes pas disposés à participer à un processus de cession visant à nationaliser Djezzy à un prix significativement sous-évalué et nous n’accepterons aucun processus d’évaluation unilatéral et notamment un processus qui prendrait prétexte du traitement abusif infligé par le gouvernement à la société pour réduire la valeur de Djezzy». Ceci dit, le 1er responsable d’OTH menace de requérir à un arbitrage international.
Conclusion
L’affaire Djezzy et celle des cimenteries révèlent l’amateurisme affairiste des Algériens qui baignant dans la rente pétrolière ne savent plus rien du monde des affaires. La pensée dominante veut que seuls le pétrole et les matières premières puissent ramener de la devise. L’affaire Djezzy ponctue le fait que l’Algérie peut monter de A à Z une entreprise pour lui donner une dimension internationale, de la valeur à l’étranger. L’Etat doit reconsidérer les potentialités de ses marchés intérieurs.