L’inclusion de l’Algérie dans la liste noire des pays dont les ressortissants seront soumis à des mesures spécifiques de contrôle vers ou à partir de points d’entrée aériens américains a provoqué indignations et vives protestations du côté d’Alger.
La diplomatie algérienne, fidèle à ses principes de pondération et de mesure, n’a pourtant pas mis de gants pour répondre à Washington. Emboîtant le pas aux Américains, les Français ont eu droit aux mêmes protestations algériennes. Ces mesures américaines et françaises sont tout simplement incompréhensibles à l’égard d’un pays «allié» dans la guerre contre le terrorisme.
L’attentat manqué contre le vol Amsterdam-Détroit a provoqué de grands remous dans les relations internationales. En décidant de réserver un contrôle particulièrement sévère et poussé aux ressortissants de 14 pays, les Etats-Unis ont jeté le froid sur leurs relations avec ces derniers.
La liste noire de l’Administration Obama inclut pêle-mêle alliés, amis et ennemis de Washington. Les «black-listés» sont : l’Afghanistan, l’Algérie, l’Arabie saoudite, Cuba, l’Irak, l’Iran, le Liban, la Libye, le Nigeria, le Pakistan, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen.
Dès le 6 janvier, l’ambassadeur d’Algérie à Washington a entrepris des démarches auprès des autorités américaines protestant contre l’inclusion de notre pays dans cette liste noire.
Tout en estimant que les Etats-Unis étaient dans leur bon droit de protéger leurs citoyens et leur territoire, Abdallah Baâli a déclaré qu’«il s’agit de mesures discriminatoires à l’égard de citoyens d’Algérie qui ne posent pas de risque particulier pour les Américains ».
Le jour même, le diplomate algérien a ajouté qu’il comptait déposer une protestation officielle une fois qu’il aura reçu «un avis officiel de changements opérés dans les mesures de sécurité relatives aux passagers à destination des Etats-Unis».
Une réponse graduée
En diplomatie, la démarche algérienne est des plus normales. La graduation dans la prise de décision étant la règle généralement admise ; après les protestations de la chancellerie, c’est au tour de la tutelle de prendre le relais. Ainsi, le 11 janvier, un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères a révélé que l’ambassadeur américain à Alger, David D. Pearce, a été convoqué.
«Suite à la décision prise par les autorités américaines d’inclure les ressortissants algériens dans une liste de pays dont les nationaux seront soumis à des mesures spécifiques de contrôle vers ou à partir des points d’entrée aériens américains, le ministre des Affaires étrangères, M. Mourad Medelci, a convoqué l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique à Alger pour lui faire part des vives protestations du gouvernement algérien devant cette mesure malencontreuse, injustifiée et discriminatoire», peut-on lire dans ce communiqué.
Le département de Mourad Medelci prend tout de même la peine de préciser que «cette convocation fait suite à plusieurs démarches antérieures effectuées en leur temps, aussitôt les mesures connues, aussi bien par l’administration centrale que par notre ambassadeur à Washington, auprès des autorités américaines concernées». En décryptant le message, la réaction d’Alger n’est pas tardive et encore moins empreinte de mollesse ou de faiblesse.
Medelci s’explique
Le 13 janvier, le chef de la diplomatie algérienne a précisé, lors de son passage à la radio nationale, que son département a convoqué le 5 janvier, l’ambassadeur français en Algérie puis celui des Etats-Unis pour protester contre les mesures «malencontreuses, injustifiées et discriminatoires» de Paris et Washington.
«J’ai écrit une lettre officielle à mon homologue français, Bernard Kouchner, pour protester et souligner que la décision de classer l’Algérie parmi les pays à risque est une humiliation», a déclaré Mourad Medelci.
D’autres mesures appropriées seront prises en leur temps pour répondre à cette «humiliation », a promis le ministre algérien. «Il faut évaluer ces décisions dans les prochaines semaines. Pour nous, il ne s’agit pas de la bonne méthode. Nous refusons ce deux poids deux mesures qui isole sept ou quatorze pays.
C’est une solution artificielle qui n’a aucune perspective », a-t-il averti. Usant d’un langage direct et franc, le chef de la diplomatie algérienne a tenu à mettre les points sur les i : «Pour défendre la dignité de l’Algérie, il était impératif de clarifier les choses avec la France et les Etats-Unis à travers la convocation des ambassadeurs en poste à Alger.
J’ai dit à l’ambassadeur américain que l’Algérie attend d’être retirée de cette liste.» A ce niveau de l’analyse, il paraît utile de revenir à la terminologie utilisée par la diplomatie algérienne dans cette affaire : humiliation, dignité de l’Algérie, mesures malencontreuses, injustifiées et discriminatoires.
Il sied de relever, en effet, que la machine diplomatique algérienne a entrepris de cerner la question avec lucidité. Pour Alger, c’est clair : ce n’est pas une affaire interétatique, entre deux pays souverains, à un niveau diplomatique, que seules les joutes oratoires et les lettres épistolaires sont les moyens de communiquer telle ou telle décision, de prendre position, ou de réagir à une action.
Il s’agit ici de mesures qui visent les citoyens algériens et, à travers eux, l’image du pays et son crédit sur la scène internationale.
Une humiliation délibérée ?
Les précautions d’usage utilisées par le communiqué du Quai d’Orsay pour justifier le renforcement des mesures contre les détenteurs de passeports algériens n’exonèrent pas la France d’arrières-pensées «algérophobes».
Le fait que Paris déclare «ne pas oublier le combat douloureux mené par l’Algérie contre le terrorisme dans les années 1990» et que la France «salue la détermination de nos partenaires algériens à lutter contre le terrorisme», réaffirmant, ainsi, la volonté du gouvernement français de continuer de travailler «en étroite coordination» avec l’Algérie, est en totale contradiction avec les mesures prises.
Le plus grand tort est causé à un peuple qui a combattu, seul, l’hydre terroriste, tandis que les terroristes pavoisaient dans les capitales qui prennent aujourd’hui des mesures contre ce même peuple vaillant, d’où la réaction diplomatique de l’Algérie, «en attendant d’autres mesures appropriées», parmi lesquelles la réciprocité, malgré le fait de souligner que les aéroports algériens sont parmi les plus sécurisés au monde, expérience oblige !
Que diront les Algériens aux responsables américains attendus dans les prochaines semaines à Alger ? Il en est de même pour Bernard Kouchner attendu, lui, au début du mois de février. En tout cas, l’affaire des pays «black-listés» n’a pas fini de provoquer des remous.
M’hamed Khodja