La chambre d’accusation près la cour d’Alger a tranché dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest. Ainsi, à moins d’un rebondissement, les dix-huit personnes mises en cause dans ce scandale seront jugées en assises. Aux dernières nouvelles, la défense compte se pourvoir en cassation auprès de la Cour suprême.
Abder Bettache – Alger (Le Soir) -C’est tard dans la soirée de mercredi dernier que la chambre d’accusation près la cour d’Alger a rendu son verdict dans l’affaire de l’autoroute Est- Ouest. Ainsi, outre le renvoi du dossier devant le tribunal criminel, l’instance judiciaire a signifié une fin de non-recevoir aux demandes formulées par la défense, concernant la levée du contrôle judiciaire et la liberté provisoire pour les mis en cause. La chambre d’accusation a, par ailleurs, selon des sources judiciaires sûres, inculpé cinq sociétés étrangères, dont deux suisses, une portugaise, une italienne et une canadienne de «trafic d’influence et corruption», tout en les disculpant du grief «d’association de malfaiteurs». Les mêmes chefs d’inculpation ont été retenus également à l’encontre de la société japonaise Coojal et la société chinoise CITIC – CRCC. En d’autres termes, et selon le code de procédure pénal, les sociétés susnommées seront jugées en correctionnel. Pour leur part, l’ex-inspecteur secrétaire général du ministère des Travaux publics, Mohamed Bouchema, et l’ex-officier du DRS, le colonel Khaled ont vu la chambre d’accusation retenir à leur encontre des chefs d’inculpation relevant de la correctionnelle mais dont le jugement est conditionné par la procédure des assises.
La Cour suprême sera saisie
Le verdict prononcé par la chambre d’accusation a soulevé stupéfaction et étonnement des robes noires. Des avocats en charge du dossier ont indiqué sous le sceau de l’anonymat que «des contradictions flagrantes ont caractérisé le verdict prononcé par la chambre d’accusation. Si non comment expliquer que c’est cette même chambre qui a criminalisé dans un premier temps toutes les personnes morales ou physiques poursuivies dans cette affaire et qui décide de renvoyer certains devant les assises et d’autres devant la correctionnelle ?» Et d’ajouter : «Ce dossier n’a aucun corollaire criminel. Le collectif des avocats de la défense va se concerter et décider de la démarche à suivre. Une chose est certaine : des pourvois en cassation seront introduits au niveau de la Cour suprême.» L’affaire mise en délibérée sous quinzaine a vu une dizaine d’avocats, à l’instar de MM. Samir Sidi-Saïd, Khaled Bourayou, Bounineche ou encore Miloud Brahimi et Fetnassi, plaider devant les magistrats de la chambre d’accusation. Pour cette dernière, il a fallu près de cinq heures de délibération pour trancher les différentes interrogations et fixer pour les uns comme pour les autres les chefs d’inculpation. Des chefs d’inculpation que les observateurs n’ont cessé de qualifier de «plus grand scandale de corruption en Algérie».
927 km pour 11,4 milliards de dollars
Le chantier le plus cher du continent africain, les 927 km de l’autoroute Est-Ouest à réaliser en 40 mois pour 11,4 milliards de dollars, est devenu aussi le plus grand scandale de corruption en Algérie. Dix-huit personnes, dont le secrétaire général du ministère des Travaux publics, le directeur du cabinet du ministre, un colonel du DRS et plusieurs hauts fonctionnaires sont poursuivis dans cette affaire. Les révélations anonymes rapportées par la presse, dont le quotidien El Watan,évoquent des pots-de-vin de plusieurs centaines de milliers d’euros perçus par ces prévenus après le début de l’exécution du contrat, en 2006. L’affaire, recoupée par d’autres médias, met en scène un homme d’affaires algérien, Chani Medjdoub, résidant au Luxembourg, qui a réussi à s’imposer auprès du ministère, maître d’ouvrage, comme le représentant du consortium chinois CITIC-CRCC en charge de la réalisation de deux des trois lots d’autoroute, celui du Centre (169 km pour 2,6 milliards de dollars) et celui de l’Ouest (359 km pour 3,6 milliards de dollars). Alertés par des services étrangers sur des flux financiers douteux, notamment sur des comptes d’Algériens ouverts en Espagne, les enquêteurs du DRS ont arrêté Chani Medjdoub, ont remonté la filière du réseau de «facilitateurs» travaillant pour aider les Chinois à tenir leurs délais, à éviter certaines contraintes coûteuses du cahier des charges et à débloquer le recouvrement de leurs créances.
L’énigme Pierre Falcone
Selon les mêmes sources, la corruption dans l’affaire des lots chinois de l’autoroute Est-Ouest ne se limiterait pas à la phase de la réalisation de cet immense projet. Les révélations de la «source cachée» d’ El Watan en novembre 2009 insinuent que c’est un gigantesque pot-de-vin qui a décidé, dès le départ, de l’attribution des deux chantiers du Centre et de l’Ouest aux Chinois de CITIC-CRCC. Selon des enquêtes de la presse, les services vendus aux Chinois par Chani Medjdoub pour la bonne conduite du projet ne seraient que la partie éventée de l’affaire. C’est un autre intermédiaire qui aurait défendu les intérêts du consortium CITIC-CRCC à Alger avant le dépôt des offres : le Français Pierre Falcone, homme d’affaires impliqué notamment dans une vente d’armes illégale à l’Angola, et récemment condamné dans son pays pour cette affaire. Dans sa déposition devant le juge d’instruction, Medjdoub a indiqué que Pierre Faclone était présent à Alger en avril 2006, au moment de l’attribution des marchés. Le nom de trois autres ministres, en dehors de celui de Amar Ghoul, concerné par le projet, sont cités comme partenaires d’une négociation avec les Chinois à travers la personne du sulfureux vendeur d’armes français. Question : l’énigme Pierre Falcone sera telle élucidée le jour du procès ? Il n’en demeure pas moins que la commission qui a attribué les marchés n’a jamais publié – comme la loi l’y oblige – les montants des autres offres. Les principaux rivaux, dit-on, étaient américain (Bechtel), franco- allemand (Vinci, Razel et Bilfinger), italien (Groupement Italia) et portugais (Luso groupe).
A. B.