L’opération de lâchers de 800 à 1.000 outardes Houbara se poursuivra jusqu’à la semaine prochaine. Une fois libérés de leur « asile », ces oiseaux devront apprendre à survivre dans un environnement envahi par des prédateurs animaux et …humains.
Comme toutes les wilayas situées au seuil du désert, El Bayadh est couleur sable en ce mois de septembre. A peine quelques plantes égayent le paysage sec. Quant aux palmeraies, elles se cachent bien derrière les rochers ocres. Il faut parcourir des centaines de kilomètres pour apercevoir quelques arbres. Les oueds, pour leur part, désséchés, doivent attendre l’hiver pour reprendre leur cours normal. Un endroit qui parait désolé pour l’œil humain. Mais les outardes Houbara ne s’en plaignent pas. Car, dans ces lieux, elles sont chez elles. La seule menace qui semble les guetter dans cette région, vient de l’homme. Ce chasseur insatiable finira, peut-être, par avoir raison d’elle. Car, aujourd’hui, elle figure parmi les espèces menacées de disparition.
Les efforts des uns et des autres pour la conserver et perpétuer sa « lignée », seront presque vains si les braconniers poursuivaient leur besogne, préviennent certains chercheurs. Mais le « presque » fait quand même la différence. « C’est difficile de conserver une espèce très prisée par les chasseurs. Mais nous ne devons pas baisser les bras. Si nous le faisons, nous ne pourrons sauver aucune des espèces menacées. Dans ce cadre-là, les Emiratis nous aident beaucoup puisque ce sont eux qui financent, en Algérie, les opérations de repeuplement des outardes Houbara dans la région », indique Wahida Boucekkine, vétérinaire spécialisée dans les animaux sauvages, affectée à la Direction générale des forêts. Aujourd’hui, c’est, en effet, le Centre d’élevage émirati (EBBCC), de droit algérien, implanté dans la région depuis 2007, qui est chargé, en partenariat avec la Direction générale des forêts, d’élever et de faire reproduire la Houbara, à travers un processus d’insémination artificielle et d’incubation pour sa réintroduction dans cette région. Pour réussir ce processus, les oiseaux naissent dans un milieu qui se rapproche de leur environnement naturel.
Ils y apprennent à chasser avant qu’ils ne soient libérés dans la nature. Un programme qui a engendré une cinquantaine d’emplois directs pour la partie algérienne, et des centaines d’emplois indirects. Sans oublier la formation. « Le problème qui se pose pour nous, c’est que les jeunes chômeurs que nous formons avant de les employer ne restent pas. Ils finissent par s’ennuyer et partent. Nous sommes donc obligés de former, à chaque fois, d’autres personnes », confie Keith Scotland, directeur technique de l’EBBCC. C’est ainsi donc que le premier groupe d’outardes Houbara, au nombre de 500, produits dans le centre, a été lâchées en 2011, à El Bayadh, avec autour du cou, des émetteurs pour assurer le suivi. « 75% des oiseaux libérés ont survécu », affirment les chercheurs.
Les émiratis veulent une chasse durable Les 25% restants ont été attaqués par des renards, des chats sauvages ou chassés par l’homme. Et si les deux premiers prédateurs agissent par nécessité, le troisième le fait pour son plaisir. Selon les affirmations locales, le foie du volatile serait un aphrodisiaque. « La Houbara est un oiseau très fragile, émotif. Il peut mourir d’une crise cardiaque pour un rien.
Un bruit de pas peut l’amener à se briser les ailes », explique M. Scotland. C’est donc prudemment et dans un silence presque religieux que le deuxième groupe de Houbara a été ‘’libéré’’, dimanche, à El Bayadh, en présence d’officiels et de membres de la presse. Une opération simple en apparence mais qui est, en fait, bien compliquée. Dans leurs cages respectives, les oiseaux, sentant la présence de la foule, même silencieuse, s’agitent, se cognent. Il fallait faire vite face au risque de les voir s’abimer les ailles. Deux employés s’avancent délicatement, comme dans une sorte de rituel, pour ne pas les effrayer. Ils ouvrent délicatement l’une des extrémités de la cage avant de se retirer. Tout en continuant de s’agiter, les oiseaux s’approchent de l’issue. Ils ont tout le loisir de sortir, mais semblent hésiter. Chasser à l’abri d’une cage est une chose, le faire en plein nature en est une autre. Les plus téméraires finissent par quitter leur « asile » et prennent leur envol. D’autres, plus prudents, avancent doucement, histoire de tâter le terrain, puis, finissent par déployer leurs ailles avant de se poser à quelques mètres de là. Quant aux ‘’peureux’’, ils reculent vers le fond, se collant presque à la cage. Là, les deux employés interviennent pour les faire sortir. « Toute opération de lâchers comporte des risques. Ces oiseaux sont tellement stressés qu’ils peuvent succomber avant même de voler », affirment les chercheurs. La preuve : l’un des oiseaux, perturbé par la foule, et à peine dans les airs, retombera et ne se relèvera qu’après un long moment. Son nouvel environnement le perturbe.
« Notre objectif n’est pas seulement de montrer et de défendre une approche de modèle pour la conservation de cet oiseau, mais aller aussi vers la chasse durable. Evidemment, pour ce qui est de l’Algérie, ce n’est pas encore possible, car la loi l’interdit. Mais nous aimerions bien que cela se fasse aussi en Algérie, comme partout dans le monde, d’une façon organisée, avec limitation de la période de la chasse et du nombre de têtes à chasser », confie Fouad Alrifai, directeur général de la société algéro-émiratie d’investissement, partenaire dans cette opération.Cet objectif ne semble pas, cependant, figurer parmi les priorités actuelles des pouvoirs publics. Pour le moment, le sanglier est le seul animal autorisé à la chasse. Selon Mohamed Seghir Noual, DG de la direction des forêts, il n’est permis de le chasser que quand il est nuisible aux récoltes.
Pour les autres espèces, c’est formellement interdit. D’ailleurs, pour les outardes Houbara, une fois relâchées, des brigades de surveillances sont mises en place pour les protéger contre les braconniers. « Mais cela est insuffisant. La population locale devrait être impliquée pour atténuer la pression sur les ressources naturelles. D’où un programme de développement rural pour améliorer leurs revenus », signale le DG des forêts.
F.B.