Loin d’être un simple effet d’annonce, tout se prépare en France pour que l’accord bilatéral de coopération algéro-français dans le domaine militaire soit «mis en route» après la visite de François Hollande en Algérie.
Pragmatique, le président français compte joindre l’utile à l’agréable dans la gestion de la relation toujours en dents de scie entre les deux capitales : dépasser les rengaines historiques en mettant en avant un domaine stratégique qui est celui de la défense, et assurer un marché qui donne des «mirages» à l’industrie militaire française.
Jean-Pierre Raffarin s’est gardé d’en parler ou d’y faire la moindre allusion. En visite, ce week-end, à Alger, l’envoyé spécial du président français pour les relations économiques franco-algériennes a surfé sur nombre de dossiers bilatéraux.
Mais en homme soucieux de se limiter à son seul champ d’intervention, il a évité d’évoquer la coopération bilatérale dans le domaine de la défense. Longtemps réduite à la portion congrue – poids et contentieux de l’histoire obligent –, la coopération militaire devrait entrer bientôt dans une nouvelle phase.
Un accord de coopération sectorielle est appelé à entrer en vigueur dans les toutes prochaines semaines. Sitôt publié au Journal Officiel de la République française, ce texte donnera le coup de starter de cette coopération sous de nouveaux auspices. Cet accord est loin d’être une thématique nouvelle dans le champ sémantique francoalgérien.
Signé le 21 juin 2008 à l’occasion de la visite à Alger de François Fillon – alors Premier ministre sous Sarkozy –, le texte est resté dans les tiroirs faute de ratification définitive. Présenté par le discours diplomatique bilatéral comme un temps fort du réchauffement franco-algérien, l’accord n’a pu être mis sur les rails faute de ratification de l’autre côté de la Méditerranée.
Ratifié par l’Algérie dès 2009 au moyen d’un décret présidentiel, il a attendu, en effet, quatre longues années pour achever son parcours réglementaire légal, condition sine qua non à sa mise en oeuvre. Sitôt installés, François Hollande et son gouvernement ont tiré le dossier du fond du tiroir pour l’adresser au législateur aux fins d’adoption.
Signe de la volonté de Hollande de donner un nouveau souffle à une relation bilatérale refroidie par les querelles mémorielles, la nouvelle équipe a réactivé le dossier en l’estampillant du sceau de l’urgence. Entré en fonction le 21 juin 2012 dans la foulée des législatives, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a engagé – au profit de l’accord en veilleuse – la »procédure accélérée ».
Un projet de loi portant approbation de l’accord a été élaboré au pied levé par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Adopté en Conseil des ministres le 4 juillet, il a été déposé le même jour auprès de l’Assemblée nationale. Depuis, le texte a cheminé à un rythme accéléré entre l’Assemblée nationale et le Sénat qui l’ont adopté respectivement les 19 et 23 novembre.
Le texte attend de sacrifier à un dernier virage formel : sa transmission au secrétariat général du gouvernement qui le soumettra à son tour au paraphe de François Hollande avant sa publication au Journal Officiel. Cela devrait prendre une quinzaine de jours, selon la tradition législative française. Selon toute vraisemblance, l’accord devrait jouir d’un (bel) effet d’annonce à l’occasion de la première visite de François Hollande en Algérie dans le costume de chef d’Etat.
Comme son intitulé ne l’indique pas, l’accord franco-algérien dans le domaine de la défense est loin d’être un accord à l’identique des accords liant – depuis les indépendances – Paris à ses ex-colonies de l’Afrique subsaharienne.
A la différence des accords franco-africains, l’instrument franco- algérien ne contient pas de clause d’assistance en cas de menace ou d’agression extérieure ni de crise interne. Pour autant, il donne la part belle à des coopérations tous azimuts dans le domaine militaire, selon des sources médiatiques françaises.
Il ouvre des opportunités de coopération nouvelles dans le registre de l’acquisition de systèmes d’armes et d’équipements de défense, des transferts de technologies et de recherche scientifique et technologique dans le secteur de la défense. Autre facette importante de cet accord : le développement d’échanges dites »stratégiques ».
Paris et Alger entendent également cultiver et partager leurs atouts et leur savoir-faire respectifs pour faire face aux crises et risques de désordres dans la région. L’accord prévoit la mise en place d’une commission mixte franco-algérienne à qui il appartiendra de définir les axes de coopération, d’en arrêter l’échéancier et de les traduire à l’épreuve du terrain.
Voulue par le législateur dans les deux pays comme une »instance de dialogue », cette commission aura pour vocation de définir la feuille de route franco-algérienne dans le domaine militaire. Co-présidée par un représentant du ministère de la Défense des deux pays, elle se réunira »au moins » une fois par an alternativement à Paris et à Alger.
Cet accord a pour ambition d’offrir à la coopération bilatérale dans le domaine de la défense un »cadre juridique plus adapté », selon les termes du législateur français. Concrètement, l’accord de juin 2008 remplace un cadre juridique devenu caduc, qui reposait sur une convention de coopération technique signée le 6 décembre 1967. Fruit de cinq années de négociations, la signature de l’accord en juin 2008 avait été présentée alors comme un temps fort dans la chronologie franco-algérienne.
Paris et Alger avaient entamé les pourparlers autour de ce texte au plus fort de la lune de miel franco-algérienne. C’était en 2003 sur fond de la »visite d’Etat » du président Chirac à Alger, la première de cette nature d’un président français depuis la signature des accords d’Evian.
François Mitterrand et avant lui Valéry Giscard d’Estaing y avaient effectué une »visite de travail ». Plus que tout autre domaine, la coopération militaire a subi fortement les effets collatéraux de la crise algérienne au début des années 1990.
C’était le temps où Paris – à l’image d’autres pays occidentaux – soumettait l’Algérie à un embargo qui n’osait pas dire son nom dans le domaine de la livraison d’armes. Suspendue en 1992, la coopération dans le domaine de la défense s’était progressivement normalisée au début des années 2000, boostée par la lune de miel entre les deux pays.
Dès novembre 2003, Paris abritait une première réunion d’état-major entre les deux armées, prélude à d’autres contacts au plus haut niveau : visite du chef d’état-major des armées françaises à Alger en juin 2003, suivie de celle du chef d’état-major de l’ANP à Paris en 2006 et la visite en juillet 2004 à Alger du ministre français de la Défense, Mme Michèle Alliot-Marie, la première d’un ministre français en charge de la défense depuis 1962.
En examinant le projet de loi soumis par le gouvernement Ayrault en procédure accélérée, la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a déploré le retard accusé par la France pour la ratification de l’accord. »C’est un obstacle regrettable au développement de la coopération bilatérale » dans le domaine de la défense, a souligné le rapporteur de la commission, Jean-Pierre – Dufau.
M. K.