QUI METTRA FIN AU DIKTAT DES GANGS ?
Deux jours après l’annonce du ministre de l’Intérieur, Tayeb Belaïz, de la prochaine installation de 2 000 nouveaux postes de police pour faire face aux gangs dans les grandes villes, Liberté fait le point de la situation en abordant ce fléau sous toutes ses facettes. Parole aux jeunes et aux habitants des quartiers chauds, aux services de sécurité et aux spécialistes de la question.
Mercredi 8 janvier 2014. Il est 8h30 quand nous arrivons aux quartiers qui entourent la cité des 1600-Logements de Sebala, sur les hauteurs d’Alger. Après avoir sillonné certains endroits réputés pour être le fief des gangs, nous bifurquons sur le rond-point menant vers Saoula. Dans les nouvelles cités construites tout près de Draria ou de Tixeraïne, une lourde atmosphère se dégage.
La question revient lancinante : pourquoi les Algériens ne cohabitent plus comme avant ? Aux alentours, des dizaines de travailleurs du bâtiment sont en grève. Ils tiennent un sit-in. Mais la colère est perceptible. À 9h30, nous pénétrons dans la cité des 1600-Logements de l’AADL. Très spacieuse, calme, décorée par des petits arbres et autres rosiers, des espaces verts aux côtés des aires de jeux, mais surtout point de tours de
16 étages. La cité est belle. Vivable à première vue. “Je vis à Draria depuis 35 ans. Je n’ai jamais vu ce phénomène de violence entre les jeunes armés de sabres, de couteaux et de bombes lacrymogènes. Ils circulent torse nu dès la tombée de la nuit. On dirait un film d’horreur. À un moment donné, j’ai pensé quitter Draria à cause d’eux. Mais le fléau est national apparemment. Je n’ai pas où aller. J’ai même changé de lycée et de CEM pour mes enfants à cause de ces énergumènes qui nous empoisonnent la vie”, témoignera un vieux commerçant visiblement désabusé. Coléreux, un jeune nous accoste : “Ils sont de Bateau Cassé et nous sommes de Diar Echems. Nous prenons le même bus et nous prenons nos cafés dans la même cafétéria. Le soir, chacun surveille son cercle. Je ne comprends rien. Pourtant, lors du dernier match Algérie-Burkina Faso, nous avons défilé sur la même artère sans aucun incident. Là aussi, je ne comprends plus rien. Mais je vous conseille de quitter les lieux et de nous laisser vivre comme on veut.” Contrarié par nos propos, il lancera : “Ils n’ont qu’à installer un commissariat de police. De toutes les façons, une caserne ne suffira pas.” Méfiants, les habitants s’interrogent sur notre venue. Les premières camionnettes de fruits et légumes arrivent. La cité se réveille lentement. Les enfants sont déjà à l’école et la cité respire un air de confiance. By night, chacun dispute son espace.
Le marché du cannabis ou la bourse des gangs
Mais le drame est à la cité Aïn Malha, dépendante de Gué de Constantine. Première image : des villas à perte de vue ceinturées par des centaines de bidonvilles. Le décor est sinistre. Au moindre faux pas, on risque gros. Un jeune, la trentaine, sortant d’un bidonville, nous menacera de quitter les lieux, à défaut c’est la loi du plus fort. Sous l’effet de psychotropes, et après notre enquête, le bonhomme n’habite même pas le quartier. À chacun sa version, il s’agirait d’un dealer.
Tout autour, ces bidonvilles surplombent de belles cités de l’AADL et du social. Il est 11h45 quand, enfin, nous croisons un citoyen à la cité AADL 1516-Logements, qui voulait dire des choses. “Nous avons des énergumènes, certes, mais en général c’est très calme. Il y a même un joueur du Mouloudia d’Alger qui habite ici et de hauts fonctionnaires. Notre cité n’a jamais été touchée, mais entre les habitants du social et des bidonvilles, majoritairement issus de Bab El-Oued et de Diar Echems, c’est souvent la guerre !”, témoignera-t-il. Selon lui, les batailles rangées se déclenchent souvent à l’école primaire. Il suffit d’un malentendu entre deux gamins pour que le quartier s’enflamme. Visiblement gêné, un jeune commerçant, à qui nous n’avons même pas posé la question, s’en mêle.
Et de quelle manière ! Il en veut aux policiers et aux gendarmes qui n’interviennent pas à temps, alors qu’à quelques mètres de là, un dispositif composé d’éléments de la Gendarmerie nationale et d’une unité spéciale d’intervention (SSI) est en place. Dans ce secteur relevant de la GN, il y a même une plaque sur laquelle on pouvait lire “15-48 : la Sûreté nationale à votre service”. Son voisin s’en prendra à lui : “Oui, mais si on éduque nos enfants, ils ne seront plus jamais manipulés par ces gangs ! Vous savez, ici, c’est la guerre des clans qui se disputent le marché du cannabis et de la cocaïne. C’est vrai ou pas ? Alors au lieu de rouspéter, lève-toi tôt et va travailler. Tu as un diplôme et tu tournes dans la cité ? Je t’ai même proposé un emploi et tu as refusé. Au moins, aide-nous à rendre la vie agréable à nos enfants.” Dernière image avant de quitter les lieux, et sous des regards hostiles, des enfants, cartable sur le dos, escaladent un mur de 5 m de hauteur.
Des caméras de surveillance placées sous l’axe menant vers Blida sont braquées sur la route. Mais pas vers la cité de l’enfer !
À quand des commissariats et des brigades de proximité ?
À 13h tapantes, nous changeons de lieu, mais pas de décor. Nous sommes à Baraki. Ici, en novembre 2013, des jeunes issus de deux quartiers avaient fait usage d’armes blanches, de bombes lacrymogènes et de 250 cocktails Molotov lors d’une bataille rangée. 21 individus avaient été arrêtés et plus de 200 cocktails Molotov avaient été saisis, en plus de sabres et autres gourdins. Les impacts sont encore présents sur les façades des maisons. La tension aussi. Sur les murs des immeubles, des graffitis avertissent le visiteur : “Carrière, chouaker echaâb”, “Kaboul”, “Mafia” et d’autres écriteaux obscènes. Tout autour de ces cités, des tonnes d’ordures sont tassées dans un terrain nu.
Les ordures débordent même sur les trottoirs. “Dieu merci, pour le moment le calme est revenu. Mais nous avons passé une semaine noire. Nos enfants ne sont pas allés à l’école et nous avons envoyé nos familles dans les mosquées. Les voyous sont imprévisibles. Le jour, ils sont ensemble, le soir ils organisent des batailles. Je suis issu de Fontaine fraîche et j’ai des amis de Bab El-Oued et de Baraki. Je vous jure que l’ambiance est parfaite. Mais à cause de la drogue et de cette bande de voyous, nous vivons dans la peur. Il est temps de penser aux commissariats et aux brigades de proximité. Nous n’en pouvons plus !”, se plaint un habitant. Son voisin poursuit : “Je fumais au balcon quand la bataille s’est déclenchée. Il y avait même des jeunes balafrés qui ne sont pas de notre cité. Heureusement que les gendarmes et les policiers ont vite encerclé les lieux pour empêcher ces voyous d’aller au bout de leur logique.” Jouant au chat et à la souris, ces gangs reviennent à la charge dès le départ des policiers et des gendarmes. On a l’impression qu’ils ont une mission définie : empoisonner la vie des habitants.
F. B