En Kabylie, le marasme social a pris des proportions qui dépassent l’entendement.
Les difficultés de la vie quotidienne auxquelles font face les ménages, sur tous les plans, touchent une grande partie de la population dont le niveau de vie est juste au-dessus de zéro.
Les manques sont multiples, et joindre les deux bouts pour de nombreuses familles, pour ne pas dire la quasi-totalité, n’est pas une sinécure. Les raisons sont multiples.
A commencer d’abord par la cellule familiale. La Kabylie a ses spécificités, notamment la structure sociale de la famille kabyle qui est connue pour être une famille élargie, même si on se dirige vers la famille restreinte.
Nous avons essayé de voir comment vit une famille composée de sept personnes qui habitent une maison composée de quatre chambres et d’un salon. Cette famille type habite la localité de Boudjima, au nord de la wilaya de Tizi Ouzou. Sur les sept, il n’y a que Mohand Akli qui travaille comme fonctionnaire. Le père est un retraité de l’éducation
Sa femme n’a jamais travaillé de sa vie. Sur les sept enfants, dont trois filles et deux garçons, seul Mohand Akli, l’aîné travaille. Yacine est diplômé de l’université. Il est au chômage depuis trois années à cause de son diplôme qui ne lui ouvre pas de débouchés
«Après avoir perdu tout espoir, il ne pense qu’à partir d’ici», nous dit son grand frère. Les filles quant à elles, dont la plus jeune poursuit toujours ses études à l’université, ne contribuent pas à faire vivre la famille.
La plus grande s’apprête à se marier cet été. Le mariage de la grande sœur constitue pour Mohand Akli un véritable casse-tête.
Comment faire pour lui faire son trousseau à temps ? Avec son salaire et la maigre retraite du père, ce qui avoisine les 40 000 DA le mois les deux réunis, il est déjà difficile de joindre les deux bouts. «On se dirige droit vers la contraction de nouvelles dettes pour passer ce cap», lâchera avec dépit le grand frère.
Une facture lourde à supporter
La facture alimentaire est déjà lourde à supporter. La famille débourse en moyenne la somme de 25 000 DA chez l’épicier du coin pour ses besoins en produits alimentaires : deux sacs de semoule à raison de 1900 DA par mois, deux bidons d’huile 1200 DA (déjà que la famille possède quelques oliviers qui lui procure de l’huile d’olive),
environ 3000 DA pour les légumes secs et les pâtes alimentaires, huit pains (là aussi la maman prépare parfois de la galette), trois sachets de lait par jour (plus de 2000 DA/mois), deux kilogrammes de café (1000 DA), de la viande ou du poulet une fois par semaine, le dessert, les détergents et autres produits.
Ajoutez à cela, les dépenses liées à la consommation du gaz butane (pour cuisiner et se chauffer) qui avoisinent les 2000 DA/mois, les factures d’électricité et les dépenses liées au communications téléphoniques (à part la mère, tout le monde a son téléphone mobile), et bien d’autres dépenses secondaires encore.
La somme déboursée par mois se résume au minimum vital. On ne songe même pas à améliorer son ordinaire, ce qui relève de l’impossible. Dans cette famille, comme dans d’autres, on ne mange pas souvent un dessert. On s’en passe. Comment cette famille arrive donc à joindre les deux bouts quand on ajoute les frais de déplacement
les frais médicaux quand quelqu’un tombe malade, d’autant que seul le père et Mohand Akli bénéficient d’une couverture sociale ? Notre interlocuteur dira que la vie à la montagne est rude mais plus facile à gérer qu’en ville. «Déjà que pour tout ce qu’on consomme, l’épicier du village nous fait crédit comme à tout le monde.
On paye au mois et on n’est pas obligés de payer l’intégralité de la facture. Pour le reste, je dirai qu’on se débrouille comme on peut. On joint les deux bouts difficilement, et les fins de mois sont toujours difficiles», nous dit-il avant d’ajouter : «Pour être franc, nous vivons constamment avec des dettes sur le dos.»
Si cette famille réussit tant bien que mal à survivre avec 40 000 DA, c’est que la maison qu’elle habite est un bien propre au père (la maison constituée du rez-de-chaussée seulement a été construite du temps de la grand-mère qui touchait une pension de reversement de son mari).
Certaines commodités sont un mot d’une autre langue qu’ils n’arrivent pas à pénétrer. Là où habite la famille de Mohand Akli, il n’y a ni téléphone ni internet.
L’eau est puisée à la fontaine ou au puits du voisin. La mère contribue comme elle peut à apporter quelque chose de plus. Son jardin donne toujours quelque chose : pommes de terre, oignons, petits pois, asperges,… et en été elle cultive des piments, de la tomate, des haricots.
Pauvres mais dignes
Le drame, c’est que Mohand Akli a déjà contracté un crédit à la consommation chez Société Générale depuis un peu plus d’une année. Sur son salaire de 25 000 DA, on lui prend chaque mois 6400 DA pour rembourser un prêt de 170 000 DA sur 36 mois. Le crédit court pour 18 mois encore. Le prêt a servi à l’achat de quelques meubles et de produits électroménagers.
Notre interlocuteur nous informera aussi qu’il s’est acheté un téléviseur et une autre antenne parabolique qu’il a placée dans sa propre chambre, vu qu’il ne peut regarder la télé avec les autres membres de sa famille.
En Kabylie, comme on dit, c’est les anciens émigrés, les anciens moudjahidine et les veuves de chahid qui font vivre de nombreuses familles grâce à leurs pensions.
Quoi qu’il en soit, la misère est là, on la vit, on la supporte en silence et dignement et on se contente de ce qu’on a. Le Kabylie reste une région pauvre, et l’investissement dans le domaine économique, seul créneau créateur de richesse, est un vain mot.
Le niveau de vie est bas. Les richesses naturelles rares. Le chômage fait des ravages, et la vie quotidienne devient de plus en plus difficile. De nombreuses familles vivent dans le manque et dans un éternel endettement.
B. B.