Dély Ibrahim plaque tournante des produits pyrotechniques
Pour la première fois donc depuis des années, cette fête religieuse est en mode «silencieux», enfin… presque! Car depuis quelques jours les «pétards» ont refait leur apparition.
Une fois n’est pas coutume, le Mawlid ennabaoui arrive sur la pointe des pieds! En effet, l’Algérien célèbre cette année cette fête religieuse avec moins de produits pyrotechniques. Tout le monde l’aura remarqué, ces produits prohibés sont en nette diminution. Moins de vendeurs de pétards sur les trottoirs, moins d’explosions qui résonnent pour annoncer plus d’un mois à l’avance, l’arrivée du Mawlid! Cela est dû au fait que les importations ont chuté. Les autorités filtrent mieux le passage de ces produits pyrotechniques aux frontières. Elles contrôlent également mieux les marchés.
Les différentes saisies en temps record attestent de la volonté des responsables à arrêter la circulation de ces produits dangereux clairement interdits par la loi. Pour la première fois donc, depuis des années, cette fête religieuse est en mode «silencieux», enfin… presque! Car depuis une semaine les «pétards» ont refait leur apparition. Mergueza, Chitana, Boumba, TNT, Double Bombe, Triple Bombe, grenades, Zerbout, Ronaldo, la Tueuse, Pétards-missiles, Ben Laden…ce genre de noms est redevenu à la mode cette semaine. Ce sont en fait ceux des pétards, qui ressemblent plus à de véritables arsenaux de guerre, comme on en voit dans les films américains. On les retrouve dans les étals des vendeurs informels des rues d’Alger. «Il y a même des pistolets pour lancer les Doubles Bombes que vous pouvez fabriquer vous-mêmes, je peux vous montrer, c’est facile. Sinon, vous me les commandez, je vous les ramène», explique Sofiane, un jeune qui a posé son étal au niveau d’une ruelle de la paisible ville de Rouiba, entre ceux d’un marchand de fruits et un autre de légumes. «Mais attention, la police est très à cheval sur ce genre de lanceurs, s’ils vous attrapent vous allez avoir de gros ennuis», ajoute-t-il comme pour témoigner de la dangerosité de l’«arme». Notre «armurier» de fortune nous fait savoir qu’il n’a installé son «armurerie» que depuis une semaine. «Il n’y avait pas de marchandise. Seuls les stocks de l’an dernier étaient disponibles. Maysahoulnèche lina (ils ne nous sont pas destinés) petits vendeurs que nous sommes», témoigne-t-il. «Zayrouha fel diouana (les Douanes ont restreint les passages de ce genre de marchandise), assure-t-il en soulignant que la police était aussi moins tolérante, contrairement à d’habitude.
Une semaine de tolérance…
Cette situation a fait que ceux qui optent pour ce métier «saisonnier» très rentable, ont vu leurs calculs complètement faussés. C’est le cas de Rahim qui se fait chaque année beaucoup d’argent grâce à la revente de ces produits pyrotechniques. Gardien de parking le reste de l’année, il range ce costume pour en vendre. «J’investis l’argent que je gagne en gardant les voitures, dans cette marchandise. Cet argent est rapidement fructifié. Les Algériens sont accros aux pétards. Pour eux un Mawlid ennabaoui sans pétards, n’est pas un Mawlid. Ils mettent des fortunes pour égayer leurs soirées avec», soutient ce jeune qui venait de revenir, «bien chargé», de la «Mecque» des jeunes Algériens amateurs de pétards, à savoir le marché de la rue Amar-Ali, à la Casbah ou plus communément appelé Djamaâ Lihoud. Ce dernier est considéré comme le marché de gros des produits pyrotechniques. Tous les petits marchands que l’on trouve au niveau de la capitale se fournissent la-bas! Rahim, comme tous les saisonniers de ce commerce tient à dénoncer la situation de cette année qui a vu «adawla», les autorités, resserrer les boulons. «Harkouna el tbaznis (ils nous ont massacré notre business). Heureusement qu’ils ont été un peu plus cools ces derniers jours», assure-t-il.
Mais comment expliquer que les services de sécurité ont fini par lâcher du lest cette semaine, demandons-nous naïvement? (rires) «Hahahha! Tout le monde a ses intérêts dans ces produits pyrotechniques. Ils ont bloqué pour une période et nous laissent juste le temps d’écouler la marchandise. C’est pour faire croire à un semblant de lutte contre ce phénomène!», affirme-t-il. «On n’est que le dernier maillon de la chaîne, ce n’est pas nous qui les importons, mais une mafia très bien placée», précise-t-il. Mais qui est cette mafia? «Personne ne sait exactement, mais en tout cas une chose est sûre, ils ont le bras long», répond-il avec assurance. «Regardez tous les pétards qui sont apparus comme par magie ces derniers jours. Vous pensez que si les importateurs n’avaient pas le bras long pourraient-ils faire passer toutes ces quantités en si peu de temps?», assure-t-il avec un clin d’oeil qui en dit long… «Sérieusement, vous croyez que c’est pour nos beaux yeux qu’ils nous laissent les vendre, ces jours-ci, en toute liberté alors que c’est censé être interdit par la loi et qu’ils nous ont bloqué pendant tout ce temps?», nous demande Rahim. «On parle ici d’un marché qui se chiffre en millions de dollars. Il faut donc bien que cette mafia fasse son beurre comme chaque année…», souligne-t-il.
Les pétards «flambent» avant le Mawlid!
Les «mharèkes» (pétards) comme ils sont appelés dans le jargon populaire ont donc refait surface. Mais qu’en est-il de leur prix cette année? Comme toute bonne économie de marché, la vente de pétards à l’informel dépend de la fameuse loi de l’offre et de la demande. Avec les mesures de restriction prises par les autorités, l’offre est faible alors que la demande est forte. Ce qui a engendré une véritable flambée des prix. Ainsi, les fusées éclairantes à titre d’exemple, sont proposées aux alentours de 700 DA, alors que leur prix l’an dernier était dans la fourchette des 400 DA.
Les fumigènes sont affichés à 1000 DA, alors qu’ils coûtaient 700 DA l’unité.
Les Doubles Bombes sont entre 35 DA et 40 DA l’unité, contre 30 DA, l’an dernier. Les «Mergueza» sont à 50 DA contre 40 il y a un an. Les Bombes ou TNT vont jusqu’à 800 DA, si on en trouve, alors qu’elles ne dépassaient pas les 500 DA. Malgré ces prix exorbitants, les citoyens ne semblent pas refroidis! Preuve en est avec les longues files qui se forment devant ces marchands d’un autre genre. Ils prennent leur temps, admirent ces «munitions», les pelotent, certains vont même jusqu’à les sentir. Comme s’ils choisissaient les légumes de leur repas! Salah est l’un de ces accros aux pétards du Mawlid. Il nous fait part de son «ouf» de soulagement de les retrouver à la vente. «Hamdoulillah. J’avais peur de ne pas en trouver cette année», fait-il savoir avec un sourire qui ressemble à celui d’un drogué devant sa dose. «Je fais partie des personnes qui se permettent des folies pour le Mawlid. Et cela en déboursant des sommes incroyables, atteignant jusqu’à 20.000 DA!», témoigne ce père de famille qui partage son «butin» avec ses deux enfants. «Pendant que mes petits jouent avec leurs copains, moi je suis avec les miens pour perpétuer une tradition » que sont les batailles entre quartiers. J’y participe depuis mon plus jeune âge et ce n’est pas demain la veille que je m’arrêterais…», atteste-t-il tout heureux.
Alors, tant qu’il y aura des gens qui éprouvent du plaisir à voir le fruit de leur travail partir en fumée, toutes les mesures restrictives du monde n’empêcheront pas ces marchands de nuisance de sévir..