La vaillance des femmes, de Camille Lacoste-Dujardin : À l’image de Chemsi et de Lalla Fadhma N’soumer

La vaillance des femmes, de Camille Lacoste-Dujardin : À l’image de Chemsi et de Lalla Fadhma N’soumer
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Il n’est plus désormais à présenter, Camille Lacoste-Dujardin, cette ethnologue familière de l’Algérie et plus précisément de la Kabylie. Nonobstant quelques critiques contestant les thèses de l’auteur et mettant en doute la résistance des femmes dont parle la chercheuse du CNRS, les ouvrages de cette dernière sur cette région ont contribué à ressusciter par écrit et à universaliser une belle part de la mémoire de la société kabyle et algérienne.

La Vaillance des femmes, ou les relations entre femmes et hommes dans le contexte traditionnel, traduit la place de la femme, sa résistance au sein d’une société patriarcale, une population régie et façonnée par les hommes. L’expression berbère, pour dire la place majeure que tiennent les femmes dans leur foyer, est «tiguejdith». Image symbolique interprétant la poutre centrale de la maison sur laquelle repose le toit. On ne peut qu’être vaillante, résolue et courageuse pour supporter le poids de toutes les responsabilités ménagères et celles inhérentes aux travaux des champs. Car les femmes kabyles étaient et restent pour nombre d’entre elles cultivatrices, donc pourvoyeuses d’aide financière au ménage, et c’est ainsi que la décrit Camille Lacoste-Dujardin.

D’abord, il y a le conte ou la transmission par l’oralité. D’ailleurs, c’est par cette expression féminine qu’est entamée cette étude. Univers créé par la femme, en l’occurrence la conteuse, celle qui transmet la fable par la voix et la voie du dire aux enfants les modes de tradition, le passé ; le conte devient alors, selon l’auteur, «le vecteur d’un savoir initiatique à la vie sociale (…) un enseignement récréatif et théâtral (… un discours social des mères». Le propos narrateur féminin est employé comme une arme et un emblème allusifs faisant apparaître le rôle indispensable des femmes dans le paysage social, sans pour autant qu’elles soient les héroïnes des légendes véhiculées, car elle n’a pas les moyens de bousculer les valeurs traditionnelles dominantes dans une société patriarcale. En conséquence, si la femme joue un rôle secondaire dans le récit, il n’en est pas moins qu’elle impose, par le biais de la narration, le fantastique et l’imagination sa présence, qu’elle se met en scène comme complément indispensable dans la vie conjugale. Elle devient la «clef de voûte», de la vie familiale, celle qui assure la procréation, le legs de la descendance.

Et comme pour une remise en cause du pouvoir masculin, l’imaginaire crée la femme de toutes les revanches sur un monde d’hommes «Tseriel», «résolument rebelle qui refuse d’asservir… sa féminité »

L’ogresse horrible et cruelle, la femme «ghoul» dévoreuse de tous les petits enfants mâles. Mise en scène dans des contes, Tseriel est là pour montrer à l’auditoire enfantin et masculin, qu’il existerait une femme sur qui les hommes n’ont aucune emprise. Pour les fillettes, l’ogresse est un exemple de résistance. L’autre représentation féminine véhiculée par les fables et le merveilleux est la féministe «Tadellala». Une héroïne, marchande ambulante qui se révèle libre de toute entrave mâle, belle de surcroît et qui «s’autorise de multiples prises de parole, tout en usant du pouvoir féminin de séduction». Tadellala est le modèle de révolte au modèle traditionnel.

L’auteur dans le chapitre «des représentations aux pratiques» replace le conte dans son contexte allégorique pour concéder aux femmes cette part «friponne» qu’elles dissimulent avec intelligence. Entre autres efficacités, habiles, elles ont pour elles leur force procréatrice qu’elles brandissent comme premier pouvoir sur les hommes : «En usant de dons propres, à l’image de la nature créatrice, par l’exercice de nombreuses pratiques magico-religieuses, inquiétantes et fort redoutées par les hommes.» Là est la force des femmes, la magie. Leur science dont elles usent pour affûter leurs armes et consolider «leurs contre-pouvoirs». Outre la fécondité indispensable à la survie du groupe, elles imposent le code du lien de parenté par l’allaitement et font admettre également la croyance du bébé «endormi» dans leur ventre «une gestation plus ou moins longue qui leur permet un certain choix de la paternité qu’elles ont porté et engendré».

Consolidant sa thèse sur la vaillance des femmes, l’auteur rappelle que si des contraintes étaient imposées à ces dernières par un ordre patriarcal séculaire désavantageux, il n’en reste pas moins que des femmes valeureuses ont émergé dans la société algérienne d’antan. Ce sont Chemsi, chef des Ath Iraten et Lalla Fadhma N’soumeur : «deux femmes (…) devenues célèbres pour avoir joué, à quelque cinq siècles de distance, chacune un rôle historique de chef dans la défense de la patrie».

Dans la dernière partie du livre «d’hier et d’aujourd’hui», Camille Lacoste-Dujardin fait référence à la déstabilisation peu à peu de «l’autorité patriarcale». La guerre de libération au cours de laquelle les femmes se sont investies, la politique de scolarisation après l’indépendance, «les bouleversements économiques, juridiques et sociaux» ont contribué à l’émergence d’aspirations nouvelles. L’autonomie financière des femmes, le mariage tardif et désiré ont affecté la domination masculine et les lois sociales traditionnelles. La vaillance des femmes depuis un demi-siècle constitue une force face aux mutations de la société algérienne. L’exemple de leurs aïeules dont elles «puisent leur force», le combat des femmes moudjahidate leurs aînées, connues ou anonymes, constituent des repères auxquels elles se référent.

La Vaillance des femmes, de Camille Lacoste-Dujardin. Éditions Barzakh.