Les Turcs expriment leur ras-le-bol face à l’opposition française à leur candidature d’adhésion.
«Quel homme politique italien a été président de la Commission européenne de 1999 à 2004 ?» «En quelle année la charte des droits fondamentaux a-t-elle été signée ?» «La Turquie est-elle le premier pays à avoir conclu un accord d’union douanière ?» … Imbattables en histoire et dans le domaine des institutions européennes, l’équipe du lycée de Küçükçekmece, un faubourg d’Istanbul, a fait un sans-faute, lundi, au «Jeu de l’Europe», une compétition organisée par la délégation de la Commission européenne à Ankara et le ministère de l’Éducation. «Bien sûr, je compte sur l’entrée de la Turquie dans l’UE, ensemble nous serons plus forts et c’est le chemin montré par Atatürk», précise Murat Karabag, un des jeunes champions. Miné, en grande partie, par l’opposition répétée de Nicolas Sarkozy à une adhésion turque à l’UE, cet «euro-optimisme» devient une denrée de plus en plus rare en Turquie. Et, depuis quelques jours, les Turcs manifestent leur exaspération de voir que leur candidature constitue un des thèmes de la campagne électorale pour les élections européennes du 7 juin.
«Le manque de vision»
Dimanche, le président de la République, Abdullah Gül, a estimé qu’une remise en cause des négociations «serait inacceptable». Auparavant, il avait dénoncé «le manque de vision» des dirigeants français et allemand, réagissant au refus réitéré d’Angela Merkel d’une Turquie membre à part entière, au cours d’un meeting électoral auquel participait Nicolas Sarkozy. En Pologne, la semaine dernière, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a également appelé à ne pas modifier les critères d’adhésion : «On ne peut pas changer les règles du jeu en plein match, c’est ridicule.» Enfin, dans des termes plus diplomatiques, le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, en visite à Stockholm, a demandé aux pays membres de ne pas faire «du processus d’intégration (…) une question de politique intérieure».
Au-delà de cet agacement généralisé, l’hostilité du tandem franco-allemand réduit la marge de manœuvre du gouvernement pour mener à bien les réformes demandées par Bruxelles. «Cette rhétorique renforce les opposants à l’UE, analyse Emre Gönen, spécialiste des questions européennes à l’université de Bilgi. Le gouvernement manque de motivation, il a besoin d’encouragements, pas d’humiliations, et d’être convaincu que l’intégration reste la finalité de l’alignement sur l’acquis communautaire.»
Seuls dix chapitres, sur les 35 compris dans les négociations, ont été ouverts depuis 2005. D’ici à fin juin, la présidence tchèque prévoyait le déblocage des chapitres sur «la fiscalité» et la «politique sociale». Mais le second n’est pas prêt, car le Parlement n’a toujours pas voté de loi sur les droits des syndicats. Plus «tragique», selon Sinan Ülgen, président d’Edam, un think-tank qui étudie les relations Turquie-UE, «le soutien européen devient même un handicap pour faire passer des réformes auprès d’une opinion publique qui doute de plus en plus ». Pour défendre son projet de modification de la Constitution, le premier ministre ne fait ainsi plus aucune référence aux standards européens. Privé de ce levier, il se retrouve confronté à une résistance virulente de l’opposition.