La Révolution du 14 janvier 2011 a eu raison du régime Ben Ali, une dictature où il n’y avait pas de place pour les libertés et la justice. La nouvelle ère qui s’ouvre est grosse d’espérances en même temps que s’affirme chez l’ensemble des acteurs une forte volonté de réussir la transition démocratique, bien qu’on se retrouve avec des projets différents, voire antagonistes.
Pour le gouvernement actuel qui doit préparer les élections du 23 octobre, d’où émergera une Assemblée constituante, et pour les institutions futures qui sortiront des urnes, les défis sont immenses face aux attentes en matière d’emploi, d’amélioration du niveau de vie, au moment où la Tunisie est confrontée à un contexte des plus difficile avec la chute de l’activité touristique et l’afflux des réfugiés fuyant les affrontements en Libye.
Un directeur dans un grand hôtel cinq étoiles qui vous invite personnellement à donner votre appréciation et vos suggestions sur la qualité des services dans son établissement, voilà qui donne une idée sur le know-how indispensable en matière de relation aux clients dans le tourisme moderne. Le voyage de presse organisé par l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) nous a permis de voir quelques facettes de cette industrie touristique moderne dont la Tunisie s’est dotée au fil des ans, tant au plan des infrastructures que pour ce qui concerne la maîtrise des ficelles d’un art qui peut rapporter gros. Dans les villes côtières que nous avons visitées (Sousse, Monastir, Yasmin Hammamet, Tunis) d’immenses complexes touristiques ont surgi portant l’enseigne de chaînes hôtelières réputées. Le touriste peut trouver une riche gamme de prestations à des tarifs correspondant au niveau de standing des établissements et considérés comme très compétitifs par rapport à d’autres pays.
Que la vie est belle…
Des infrastructures qui ont nécessité un accompagnement avec la réalisation d’autoroutes qui font apprécier la fluidité de la circulation sur la plupart des liaisons, le développement des produits de l’agriculture et de la pêche pour la gastronomie, l’artisanat indispensable pour les cadeaux-souvenirs. Un modèle de développement non dépourvu de risques, comme on l’a constaté avec le retournement de conjoncture dans le sillage des évènements de la Révolution du 14 janvier. Les pertes consécutives sont évaluées à 40% des recettes annuelles qui se chiffrent à 2,5 milliards de dollars en moyenne. Pour amortir le choc, la clientèle algérienne est ciblée durant cette saison par une campagne publicitaire mobilisant tous les médias.
Notre marge de manœuvre limitée ne pouvait entraver notre soif d’en savoir plus sur cette transition démocratique que l’ensemble des acteurs sur la scène se montrent aujourd’hui déterminés à mener à bon port.
La révolte populaire a emporté le régime Ben Ali décrit comme une dictature où l’exercice des libertés était impossible. Un régime fondé sur la corruption, la rapine, la répression et la prédation. L’évocation de ce passé douloureux dans la bouche de l’homme de la rue s’achève immanquablement par la même conclusion “Plus jamais ça !”
“Du pain et de l’eau, Ben Ali non !” un slogan qui revient souvent. Pour se convaincre qu’on en a fini une fois pour toutes avec le régime déchu, des tags un peu partout rivalisent en trouvailles brocardant les frasques du despote : “Que la vie est belle, sans Ben Ali Baba et les 40 voleurs !”
Un vent de liberté
La fierté d’avoir eu raison de la dictature est visible, comme est perceptible également la joie de goûter aux premiers fruits de la nouvelle ère qui commence. “Effectivement, il y a une floraison d’ouvrages sur l’ère Ben Ali accessibles aux Tunisiens résidants, chose impossible avant”, nous dit un gérant de la librairie El Kitab sur l’avenue Bourguiba, principale artère de la capitale. En bonne place quelques titres : Ben Ali le ripou, de Bachir Turki, La régente de Carthage, main basse sur la Tunisie de Nicolas Bear et Catherine Graciet, La Tunisie de Ben Ali, miracle ou mirage de Florence Beaugé, Quand le peuple réussit là où toute la société a échoué de Boudjemea Remili, Tunisie-Algérie-Maroc : la colère des peuples de Martine Gozlan. Envie forte d’écrire pour témoigner, mais sans doute aussi pour peser sur les évènements au moment où chacun est plus ou moins conscient que le peuple tunisien vit des heures décisives. “On s’est libéré du politique, il reste les tabous du religieux, du sexe. L’art n’a pas de limites, il doit vivre dans un environnement de liberté. Une loi supprimant le contrôle sur les livres a été promulguée il y a deux ans, mais il y a d’autres formes de contrôle pernicieux : l’intégrisme, les salafistes, le courant nationaliste qui sont des menaces sur la libre expression des opinions, note Kamel Riahi, écrivain, rencontré dans un centre culturel du centre-ville lors d’une exposition en hommage à quatre jeunes martyrs victimes de la répression en 1988, dans la région de R’dif. Sur les mêmes lieux l’écrivaine et enseignante Emna Boussaïdi auteure d’un premier roman Une femme en exil de mots, s’exprime sur la condition de la femme. “Les lois existantes ne sont que de l’encre sur le papier, la réalité est des plus dures, notamment pour la femme rurale exploitée et souffrant de conditions économiques éprouvantes. Certes, il y a des acquis qu’il a fallu arracher, mais beaucoup reste à faire pour sortir des ténèbres et accéder au progrès et à la modernité. La femme tunisienne ne doit pas être perçue comme une marchandise, une mentalité encore ancrée dans certains esprits malheureusement.” “Depuis la fuite de Ben Ali, le citoyen tunisien commence à recouvrer la liberté, mais force est de constater que les choses ne se passent pas aussi facilement que ça. La scène est semée d’embûches où on reconnaît la main de l’ancien système. Le pays est mis en situation de tension permanente de sorte qu’on ne peut jouir de la sécurité, indispensable à une vie sociale et économique prospère”, observe le professeur Adnan Fadhel de la faculté des sciences économiques de Tunis, spécialiste en management. La tâche consistant à faire émerger des institutions légitimes issues des urnes est au premier rang des priorités pour pouvoir mobiliser les énergies dans la mise en œuvre du programme de la future majorité. Une commission nationale indépendante de consensus national a été mise en place et a été investie de la mission d’organiser des élections libres et honnêtes pour l’Assemblée constituante dont le scrutin a finalement été fixé pour le 23 octobre prochain. La constituante va rédiger la nouvelle Constitution et peut-être aussi quelques lois et on passera à l’organisation des élections législatives et présidentielle, selon le secrétaire général du PSG (Parti socialiste de gauche), M. Mohamed Kilani. Le leader du PSG s’est dit confiant que cette démarche puisse aboutir estimant que la commission “est d’autorité” à le faire. “L’essentiel est que tout le monde croit à la légitimité, celle qui sortira des urnes le 23 octobre et que tout le monde croit à la constituante. Après, le peuple aura à se prononcer lors des consultations législatives et présidentielles.”
La course au pouvoir est lancée
La course pour le pouvoir est lancée avec sur la scène politique près d’une centaine de formations politiques. “90% des 92 partis actuels sont issus du RCD, le parti dominant sous Ben Ali”, estime un militant du parti Ennahda de tendance islamiste, un parti considéré comme un poids lourd sur la scène. Dans le siège modeste de la section de Hammamet où on a fêté récemment le 30e anniversaire de la naissance d’Ennahda, les militants avec lesquels nous nous sommes entretenus tout en décochant quelques flèches contre les partis de gauche ne doutent pas de remporter par un large score les prochaines élections. Dans le document donnant un aperçu sur le projet défendu par le parti Ennahda on apprend que le mouvement islamiste œuvre à restaurer la personnalité islamique de la Tunisie, comme base de la civilisation islamique en Afrique tout en mettant fin à l’égarement, comme il œuvre au renouveau de la pensée islamique sur la base des constantes et les nécessités de la vie moderne, le recouvrement par les masses populaires de leur droit à l’autodétermination en dehors de toute tutelle ou domination étrangère, la reconstruction de la vie économique sur des bases humanistes en répartissant les richesses nationales de façon juste en partant du principe que chaque individu a le droit de profiter des fruits de son labeur dans les limites de l’intérêt général. Il s’agit également de promouvoir l’être politique et civilisationnel musulman sur le plan local, maghrébin, arabe et dans le reste du monde pour sauver nos peuples et l’humanité entière. Que pensent les partis influents du déploiement d’Ennahda à l’approche d’échéances décisives et quelles stratégies sont échafaudées pour l’empêcher de prendre le pouvoir ?
“Le parti Ennahda est un parti fort qui veut accaparer les fruits de la Révolution. Au pouvoir, les islamistes ne peuvent que former un Etat despotique, parce qu’ils utilisent la religion. La démocratie sera balayée. Dire qu’ils ne toucheront pas aux acquis démocratiques, au code du statut personnel de la femme, c’est croire au loup qui ne touche pas aux agneaux”, dira le leader du PSG. Un front démocratique composé de 8 partis, plus des indépendants, des personnalités de la société civile, a pour tâche déclarée de faire obstacle à la mainmise d’Ennahda sur le pouvoir lors des prochaines consultations.
“Cette pression ne constitue pas pour nous une source majeure de préoccupation. L’essentiel est que les Tunisiens n’acceptent plus un pouvoir despotique. Le peuple tunisien est un peuple modéré, d’ouverture, de liberté, de tolérance qui ne veut pas de l’extrémisme. Le tout est de canaliser ce potentiel intrinsèque pour devenir la force politique du moment en prévision des élections du 23 octobre”, observe M. Kilani. Le gouvernement actuel et celui qui sortira des élections auront la lourde tâche de répondre à la demande sociale particulièrement pressante au plan de l’emploi, de l’amélioration du niveau de vie. Le contexte est des plus difficiles avec les destructions et dommages ayant affecté nombre d’entreprises ayant pâti des événements.Une bonne partie des groupes étrangers activant dans l’off-shore (zones franches) ont fui vers le Maroc, l’Espagne et le Portugal.
Il y a 700.000 chômeurs et la baisse de l’activité touristique a poussé nombre d’établissements hôteliers à licencier massivement les contractuels notamment qui se retrouvent au chômage sans filet de secours, comme nous l’a déclaré cet employé victime de ces dégraissages lors d’une manifestation devant le commissariat régional au tourisme dans la ville de Sousse. Le syndicat doit modérer ses revendications car le rétablissement de la stabilité est essentiel si on veut encourager les investisseurs à participer à la relance économique. Ça va exiger au moins 3 à 5 ans pour que la reprise ait lieu, note le leader du PSG. Ces difficultés sont aggravées par les milliers de réfugiés libyens qui fuient les bombardements de l’OTAN et les affrontements entre les partisans de Kaddafi et les groupes armés de la rébellion.
Le refoulement des émigrants clandestins de Lampedusa, les conflits tribaux dans certaines régions comme Kasserine, les troubles dans le bassin minier de Gafsa sont un sujet de grande préoccupation pour le gouvernement conscient de l’impératif de garantir la paix et la sécurité. Le gouvernement espère voir se concrétiser la promesse du G8 lors du dernier sommet de Deauville (France) où il a été question de l’octroi de crédits à l’Egypte et à la Tunisie d’un montant de 40 milliards de dollars (45% pour la Tunisie et 55% pour l’Egypte). D’autres crédits émanant de la Banque africaine de développement (BAD) et de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) sont promis à la Tunisie pour l’empêcher de sombrer dans le chaos”. “Il faut de la bonne gouvernance. Le gouvernement, les partis politiques, le syndicat et la société civile doivent œuvrer à assurer la stabilité du politique, du social, de l’économique et du sécuritaire.
Ce dialogue est en train de se faire.
Nous sommes confiants, il s’agit de compter d’abord sur ses efforts pour réussir “Djouhdouka ya âllef, comme on dit chez nous”, a souligné le leader du PSG, M. Kilani.
De notre envouyé spécial
Zoubir Gadoum