L’entreprise de la création de ce nouvel Etat moderne est fascinante à suivre. Mais à quel prix?
Incroyable destin d’une région qui, en 24 heures, a connu un basculement inédit. Au moment où la Tunisie se trouve sur le banc d’essai en se préparant demain pour ses premières élections libres, la Libye ferme une page longue de 42 ans de dictature avec l’élimination du colonel Mouamar El Gueddafi. Du coup, le sort de la principale région du Monde arabe est remis sur la table. Toutes les cartes sont à redistribuer. Cette surprenante dynamique qui donne un autre cours à l’Histoire, se déroule sur le flanc oriental de l’Algérie.
Des milliers de kilomètres d’incertitude. Qui aura l’impertinence de ne pas saluer un peuple qui s’affranchit d’une dictature? On ne pleure pas un tyran et on applaudit fortement sa chute. Seulement, la paternité de la victoire libyenne n’est pas du seul ressort des rebelles du CNT. En grande partie «héliportée», elle est l’oeuvre des avions de l’Otan et de quelques unités d’élite britanniques et françaises au sol. Quitte à froisser ses alliés du CNT, l’Otan conforte l’idée d’un bombardement décisif ayant tué El Gueddafi pour mettre un point final aux opérations entamées depuis mars dernier. Mais cet élan victorieux ne va-t-il pas donner à l’Otan, désormais bras armé de l’ONU, l’idée d’entamer d’autres aventures? Allons-nous assister au retour à la politique de la canonnière? A Alger, on n’a plus d’yeux que pour ce qui se passe aux frontières Est qu’on partage avec ces deux pays. Il y va de sa stabilité économique, politique et particulièrement sécuritaire.
La Tunisie, par où tout a commencé, se réveille de son ivresse. Une fois le dictateur renversé, elle se trouve face à l’hydre islamiste qu’elle doit affronter. Demain, les Tunisiens vont élire leur première assemblée constituante. Plus de cent partis se présenteront devant le peuple pour quêter un siège au sein de la future assemblée constituante qui sortira des urnes ce dimanche 23 octobre.
Toutes les probabilités sont possibles pour la jeune Tunisie qui passe son examen. Celui de la légitimité démocratique de l’assemblée élue, de la représentativité et de la souveraineté de cette Constituante. L’examen consistera également à définir le rôle des différents pouvoirs et leur l’équilibre, la forme du régime à adopter. Et la place de la religion? Telle est la grande inconnue car si les islamistes raflent la mise – ce qui n’est pas écarté – ils ne se laisseront pas faire avec le legs de Bourguiba. C’est ce climat empreint d’incertitudes qui règne à présent dans la région. Les Tunisiens se rendront aux urnes demain, la peur au ventre de voir le fruit de leur révolution cueilli par les islamistes d’Ennahda qui menacent déjà d’occuper la rue. Le défi consiste donc à intégrer, sans grands dégâts, les islamistes dans un champ politique remanié.
A côté du voisin tunisien qui joue son sort, la Libye avec qui l’Algérie partage 9000 km de frontières, remet le curseur au point zéro avec la mort du tyran El Gueddafi. Ce pays recèle les ingrédients d’un mélange explosif. Il y a les islamistes qui ne sont pas près d’abandonner le terrain maintenant que l’ennemi commun a été éliminé. Les miliciens qui revendiquent la paternité du terrain des batailles. La problématique des armes qui circulent entre les mains des citoyens se posera de manière plus accentuée.
On a vu leur volonté d’affirmer l’idée que la victoire totale repose sur leur seul et unique moyen sur le terrain de la guerre. Devant les caméras des télévisons du monde, des rebelles sur le terrain revendiquent l’élimination du colonel El Gueddafi.
La stratification tribale est également un élément à prendre très au sérieux. Il n’est pas exclu que des tiraillements vont se réveiller dans les tout prochains jours arrivera l’heure des bilans. Et enfin, les dissensions et la course au pouvoir entre les membres du CNT. Les divergences éclateront au grand jour lorsque quand il s’agira de constituer un nouveau gouvernement. Les décideurs politiques occidentaux auront une lourde responsabilité dans les choix politiques de la Libye future. L’Etat libyen au sens moderne du terme n’existe pas. L’entreprise de la création de ce nouvel Etat moderne est fascinante à suivre. Mais à quel prix?